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LETHIELLEUX 10, rue Cassette Paris 1959 Sommaire Couverture Page de titre DĂ©dicace PREFACE Chapitre I - LA MORALE CHRETIENNE EST UNE MORALE THEOCENTRIQUE ET SURNATURELLE I. — La vie chrĂ©tienne est une morale thĂ©ocentrique IT. — La morale chrĂ©tienne est une morale essentiellement surnaturelle Conclusion Chapitre IT - LA MORALE CHRETIENNE EST UNE MORALE CHRISTOCENTRIQUE I. — JĂ©sus-Christ est notre centre IL. — JĂ©sus-Christ est la source de notre vie morale IT. — JĂ©sus-Christ est notre modĂšle Chapitre IT - LA MORALE CHRETIENNE EST UNE MORALE EFFICACE I. — Les sacrements, source de vie morale IT. — Place de l’Église dans notre vie morale Chapitre IV - LA MORALE CHRETIENNE EST UNE MORALE A DOMINANTE ESCHATOLOGIQUE I. — La morale chrĂ©tienne est une morale de renoncement IL. — ProphĂ©tisme et apocalyptique IT. — Mystique de l’échec IV. — Morale Ă©quilibrĂ©e Chapitre V - LA MORALE CHRETIENNE EST UNE MORALE DE LA CONVERSION I. — Nous sommes pĂ©cheurs IL. — NĂ©cessitĂ© de la conversion Chapitre VI - INSERTION DE LA PHILOSOPHIE DANS LA MORALE CHRETIENNE I. — Transcendance et adaptation Il. — NĂ©cessitĂ© d’une assimilation rationnelle du donnĂ© rĂ©vĂ©lĂ© IT. — Valeur de la pensĂ©e grecque Chapitre VII - INSERTION DE LA PHILOSOPHIE DANS LA MORALE CHRETIENNE I. — La synthĂšse de saint Augustin IL. — La synthĂšse thomiste A EMPRUNTS A LA MÉTAPHYSIQUE DYONISIENNE B EMPRUNTS A LA MÉTAPHYSIQUE ARISTOTÉLICIENNE C EMPRUNTS A LA PSYCHOLOGIE ARISTOTÉLICIENNE D EMPRUNTS A LA MORALE ARISTOTÉLICIENNE PROPREMENT DITE IT. — Thomisme et christianisme Chapitre VIIT - LE ROLE DE LA FINALITE EN THOLOGIE MORALE I. — La finalitĂ© dans la nature IT. — La finalitĂ© dans l’ordre surnaturel Chapitre IX - LA BEATITUDE I. — L'annonce de la Bonne Nouvelle IL. — Bonheur chrĂ©tien et eudĂ©monisme grec III. — Fondement ontologique de la bĂ©atitude Conclusion Chapitre X - LES ELEMENTS DE LA MORALITE I. — MatiĂšre et forme en morale IT. — La moralitĂ© de l’objet IT. — MoralitĂ© de la fin IV. — La moralitĂ© des circonstances V. — ConsĂ©quences de ces principes Chapitre XI - LA LIBERTE DE L’ACTE MORAL I. — LibertĂ© et dĂ©terminisme psychologique normal IL. — LibertĂ© et dĂ©terminisme pathologique IT. — LibertĂ© et dĂ©terminisme social Chapitre XII - LE MERITE I. — MĂ©taphysique du mĂ©rite IL. — Notion biblique du mĂ©rite III. — ThĂ©ologie du mĂ©rite Chapitre XIII - LA GRACE HABITUELLE I. — La grĂące habituelle dans le Nouveau Testament IL. — Principes thĂ©ologiques IT. — PossibilitĂ© d’un approfondissement doctrinal IV. — Opinions thĂ©ologiques rĂ©centes Conclusion Chapitre XIV - LA NORME DE LA MORALITE I. — La norme de la morale philosophique IT. — La norme de la moralitĂ© surnaturelle XV - LA VERTU I. — La vertu en mĂ©taphysique IT. — La vertu en morale III. — La vertu en thĂ©ologie XVI - L'OBEISSANCE AUX LOIS I. — Les lois sont essentielles Ă  l’homme IT. — La loi Ă©ternelle IT. — La loi naturelle IV. — La loi positive XVII - LA LOI NOUVELLE I. — La libertĂ© de perfection IT. — La libertĂ© du chrĂ©tien Chapitre XVIII - LE DESODRE ORIGINEL I. — Principes mĂ©taphysiques et observations psychologiques IT. — La corruption de la nature humaine Chapitre XIX - LA GRACE ACTUELLE I. — Fondements mĂ©taphysiques de la grĂące IT. — La rĂ©vĂ©lation de la grĂące IT. — ThĂ©ologie de la grĂące actuelle Chapitre XX - LA FOI I. — L'objet de la foi IT. — Le motif de la foi IT. — La vie de la foi Chapitre XXI - L'ESPERANCE I. — Objet de l’espĂ©rance IT. — Le motif de l’espĂ©rance III. — Grandeur de l’espĂ©rance Chapitre XXII - LA CHARITE POUR DIEU I. — Le motif de la charitĂ© IT. — Nature de la charitĂ© Chapitre XXIIT - LA CHARITE POUR LE PROCHAIN I. — Opinions diverses sur la nature de l’amour du prochain IT. — Opinion proposĂ©e la charitĂ© pour le prochain a pour objet formel la bontĂ© essentielle de Dieu III. — Le mystĂšre de la charitĂ© chrĂ©tienne Chapitre XXIV - LE REGNE DE LA CHARITE I. — RĂŽle fondamental de la charitĂ© IT. — La charitĂ©, forme des vertus III. — CharitĂ© et mĂ©rite Conclusion Chapitre XXV - LA PRUDENCE I. — La prudence naturelle IT. — La rĂ©vĂ©lation de la prudence surnaturelle IT. — ThĂ©ologie de la prudence Chapitre XXVI - LA CONSCIENCE I. — Prudence et conscience IL. — Les systĂšmes de morale » III. Conclusions thĂ©oriques et pratiques Chapitre XX VII - LE PECHE I. — PossibilitĂ© du pĂ©chĂ© IL. — GravitĂ© du pĂ©chĂ© mortel IT. — FrĂ©quence du pĂ©chĂ© vĂ©niel Chapitre XX VIII - CONCLUSION I. — Soumission au donnĂ© rĂ©vĂ©lĂ© II. — La foi en quĂȘte de l’intelligence IT. — Morale et spiritualitĂ© BIBLIOGRAPHIE LEXIQUE INDEX ANALYTIQUE DES MATIÈRES Notes AchevĂ© de numĂ©riser A la Vierge MARIE Chef-d’Ɠuvre et ModĂšle de nature et de grĂące. En souvenir des Ă©lĂšves de ThĂ©ologie du Grand SĂ©minaire de Langres, qui ont eu la primeur de ces pages en 1955-1957. Imprimi potest fr. J. KOPF, Lecteur en S. ThĂ©ologie Prieur Provincial. Imprimatur Langres, le 8 dĂ©cembre 1958 G. MICHEL Vicaire gĂ©nĂ©ral. PREFACE Les thĂ©ologiens contemporains s’accordent Ă  souhaiter une nouvelle prĂ©sentation de la morale thĂ©ologique. Celle des manuels leur semble souvent manquer de sĂšve Ă©vangĂ©lique, de richesse dogmatique, de soliditĂ© mĂ©taphysique et de valeur spirituelle !. Les griefs ne datent pas d’aujourd’hui voilĂ  bientĂŽt cent ans, un apĂŽtre aussi prudent et expĂ©rimentĂ© que Timon-David les formulait discrĂštement’. Mais ce qui caractĂ©rise notre Ă©poque, c’est l’ampleur des plaintes, surtout dans la jeunesse cultivĂ©e, et le souci d’y remĂ©dier de la part des thĂ©ologiens. Ceci ne va pas sans risques. La critique, qu’on dit pourtant aisĂ©e », est parfois pĂ©rilleuse, et l’Ɠuvre constructive est encore plus difficile. Il faudra de nombreuses annĂ©es d'efforts collectifs pour aboutir Ă  une synthĂšse satisfaisante. Toutefois, si mĂ©diocres que soient les rĂ©sultats actuels, certaines rĂ©formes semblent s’imposer sans conteste, ne fĂ»t-ce que parce qu’elles sont un retour Ă  d’anciennes traditions qui ont fait leurs preuves telle l’utilisation de la Bible et le retour Ă  saint Thomas. Il s’agit non pas de renoncer aux acquisitions de ces trois derniers siĂšcles, mais de les prĂ©senter sous un Ă©clairage nouveau, ou plutĂŽt renouvelĂ©, Ă  la fois plus profondĂ©ment religieux et plus solidement philosophique. C’est pourquoi nous pensons qu’il ne sera peut-ĂȘtre pas inutile de chercher Ă  montrer dĂšs maintenant en quoi pourrait consister cet Ă©clairage. Nous n’avons nullement l'intention de faire Ɠuvre scientifique, ni mĂȘme originale, et encore moins complĂšte. Nous voudrions seulement faciliter aux prĂȘtres et aux catĂ©chistes l’enseignement d’une morale authentiquement chrĂ©tienne et en mĂȘme temps adaptĂ©e aux exigences de l’esprit critique. Nous supposerons connu l’enseignement des manuels courants, et nous mettrons seulement en relief les principes qui nous paraissent les plus essentiels. Notre exposĂ© n’est pas destinĂ© Ă  un emploi catĂ©chĂ©tique » immĂ©diat. Nous voulons seulement faciliter aux lecteurs un travail d’assimilation personnelle qui leur permettra d’adapter la doctrine aux divers milieux*. Chapitre I LA MORALE CHRETIENNE EST UNE MORALE THEOCENTRIQUE ET SURNATURELLE Il semble bien que ce qui manque le plus Ă  la masse des fidĂšles de notre temps, c’est d’avoir une notion exacte de la transcendance de la morale chrĂ©tienne. Pour beaucoup d’entre eux, toute la morale rĂ©vĂ©lĂ©e tient dans le DĂ©calogue et les vertus naturelles. Quand ils se confessent, ils suivent volontiers l’ordre des commandements de Dieu et de l’Eglise, puis ils ajoutent un examen sur les sept pĂ©chĂ©s capitaux, et ils en restent lĂ . Certes, les vertus naturelles s’imposent aux catholiques comme aux paĂŻens, et mĂȘme incomparablement plus aux catholiques qu’aux paĂŻens. Ainsi que nous le verrons amplement dans la suite, toutes les obligations de la loi naturelle, loin d’ĂȘtre supprimĂ©es par la Loi Ă©vangĂ©lique, sont assumĂ©es, surĂ©levĂ©es et transformĂ©es par elle. Mais ce qu’il faut bien retenir pour l’instant, c’est que la Loi Ă©vangĂ©lique contient autre chose que la Loi naturelle, et qu’on se trompe gravement quand on la vide de son contenu surnaturel. Il importe de dire et de redire inlassablement aux fidĂšles que la morale chrĂ©tienne, tout en s’étendant aux moindres dĂ©tails d’ordre naturel, est avant tout une participation Ă  la vie mĂȘme de Dieu. I. — La vie chrĂ©tienne est une morale thĂ©ocentrique PrĂ©cisons tout d’abord un premier point, fortement mis en relief par les Ă©vangiles synoptiques c’est que toute notre activitĂ© morale doit ĂȘtre orientĂ©e vers Dieu. Il y a lĂ , en vĂ©ritĂ©, un enseignement rĂ©volutionnaire. En effet, la plupart des philosophies morales de l’antiquitĂ© et de tous les temps sont anthropocentriques. Leur but est de procurer aux hommes leur Ă©quilibre, la maĂźtrise d’eux-mĂȘmes, en un mot leur bonheur, individuel ou social. Dieu n’est pas toujours exclu de leurs prĂ©occupations, mais c’est seulement Ă  titre d’Etre transcendant inaccessible Ă  l’homme, donc Ă  titre d’objet de culte. mais non d’amour ni de source de la moralitĂ©. LĂ  mĂȘme oĂč le souci de Dieu est tellement accentuĂ© qu’il est le caractĂšre dominant des systĂšmes — par exemple dans les religions syncrĂ©tistes de l’ancien Orient — il est loin d’avoir une influence heureuse sur la morale. Ou bien les adeptes s’efforcent d’atteindre la divinitĂ© par des moyens purement naturels contemplation orgueilleuse, Ă  base d’ascĂšse parfois excentrique et morbide ; ou bien ils croient se la concilier par des procĂ©dĂ©s cultuels de nature magique sacrifices souvent bizarres, sinon suspects qui ignorent l’effort moral proprement dit, quand ils ne favorisent pas le dĂ©chaĂźnement des passions. La grande rĂ©vĂ©lation de JĂ©sus, au contraire, c’est que l’homme n’est pas abandonnĂ© Ă  lui-mĂȘme, fermĂ© sur lui-mĂȘme il est orientĂ© vers Dieu, il est fils de Dieu en le priant, il doit lui dire Notre PĂšre ». Par suite, toute sa vie morale est transformĂ©e. Non seulement ses sentiments religieux doivent ĂȘtre pĂ©nĂ©trĂ©s d’amour pour le PĂšre cĂ©leste, mais toute sa conduite doit s’en ressentir il doit vivre en fils de Dieu, conscient de sa dignitĂ© et des exigences qu’elle entraĂźne. Travaillant avant tout pour plaire Ă  Dieu qui voit dans le secret », il ne se soucie guĂšre d’ĂȘtre vu par les hommes quand il prie ou qu’il fait l’aumĂŽne il lui suffit d’ĂȘtre rĂ©compensĂ© par son PĂšre cĂ©leste. Sachant que la saintetĂ© de Dieu est exigeante, il ne se contente pas d’éviter les pĂ©chĂ©s extĂ©rieurs et matĂ©riels, mais il fuit mĂȘme les mauvais dĂ©sirs. Quelle que soit la pauvretĂ© de ses rĂ©alisations, il a confiance en Dieu qui tient compte surtout des intentions et des possibilitĂ©s de chacun. Tous les hommes Ă©tant les crĂ©atures et les fils du mĂȘme PĂšre, il les aime comme des frĂšres et il fait du bien mĂȘme Ă  ses ennemis. Le royaume des Cieux lui paraĂźt si merveilleux qu’il est prĂȘt Ă  tous les sacrifices, Ă  tous les renoncements, au martyre et Ă  la mort pour y entrer. Cette foi en la PaternitĂ© de Dieu, la confiance qu’il a en sa protection toute-puissante, l’amour infini dont il se sent entourĂ©, transforment radicalement ses sentiments et ses actions. Il n’est plus centrĂ© sur lui-mĂȘme et sur son perfectionnement Ă©goĂŻste il est centrĂ© sur Dieu, il mĂšne dĂšs ici- bas une vie cĂ©leste, IT. — La morale chrĂ©tienne est une morale essentiellement surnaturelle Cette morale n’est pas seulement cĂ©leste par son objet, ses motifs et ses effets elle l’est aussi dans son principe. Tel est l’enseignement formel de S. Paul et de S. Jean. DĂšs maintenant le chrĂ©tien participe rĂ©ellement et pour ainsi dire physiquement Ă  la vie de Dieu. Au baptĂȘme il est envahi par la grĂące qui le transforme comme un brasier ardent transforme en feu le morceau de fer qui y est jetĂ©. La filiation divine prĂȘchĂ©e dans les Ă©vangiles synoptiques n’est pas une simple notion mĂ©taphorique exprimant les relations des crĂ©atures par rapport au crĂ©ateur elle est une rĂ©alitĂ© ontologique qui, tout en laissant l’homme dans sa condition de crĂ©ature bornĂ©e et misĂ©rable, l’élĂšve spirituellement au plan transcendant de la DivinitĂ© et le fait participer Ă  la vie mĂȘme de Dieu. Ceci est un mystĂšre insondable. Jamais la raison philosophique, dĂ»ment avertie de la vraie nature de Dieu, n’aurait osĂ© entrevoir pareille Ă©lĂ©vation et moins encore la dĂ©sirer efficacement. DĂšs que l’on a une idĂ©e un peu exacte de la transcendance divine, on considĂšre comme une folie que l’homme puisse prĂ©tendre devenir Dieu. C’est pourtant la rĂ©alitĂ© affirmĂ©e sans cesse par le quatriĂšme Ă©vangile et prĂȘchĂ©e avec insistance par les apĂŽtres dans leur kĂ©rygme » l’Incarnation et la RĂ©demption du Christ nous arrachent Ă  la mort et nous constituent fils de Dieu. La grĂące s’épanouit en nous sous forme de vertus thĂ©ologales qui nous permettent d’avoir une activitĂ© proprement divine. Les vertus morales ne sont pas celles des philosophes, nĂ©cessairement Ă©troites dans leur magnanimitĂ© » elles sont le rayonnement de la grĂące et des vertus thĂ©ologales et ont une valeur infinie. Le corps mĂȘme du chrĂ©tien est purifiĂ© jusque dans ses activitĂ©s les plus spĂ©cifiques ainsi le mariage devient chose sainte et sanctifiante. Dieu rĂ©side en l’ñme et y fait sa demeure. Il vit en elle avec une familiaritĂ© stupĂ©fiante. L'Esprit divin y rĂ©side comme en son temple et l’éclaire de ses lumiĂšres, l’encourage de ses attraits, l’embellit de ses dons, lui communique une mentalitĂ© cĂ©leste, et surtout l’entraĂźne dans sa propre charitĂ©. ElevĂ© Ă  ces hauteurs, le chrĂ©tien est vraiment une nouvelle crĂ©ature, un homme nouveau, un dieu par participation. La morale chrĂ©tienne est une morale de fils de Dieu”. Conclusion Quand on sait cela, on se demande comment certains hommes en quĂȘte d’union mystique avec Dieu ont pu renier leur christianisme et frapper Ă  la porte d’autres religions purement humaines. Les malheureux ignoraient Ă©videmment la marque essentielle de la vraie religion. Ils furent sĂ©duits par des promesses de divinisation de nature panthĂ©istique. Or le panthĂ©isme, qui promet l’absorption de la personne humaine dans la divinitĂ©, n’est au fond qu’une chimĂšre puisqu'il ne promet la possession de Dieu que moyennant la disparition du moi. Par contre le christianisme enseigne que la grĂące permet Ă  l’homme de participer rĂ©ellement Ă  la vie divine sans qu’il perde pour cela sa personnalitĂ©. Bien mieux, celle-ci est incomparablement dilatĂ©e dans la bĂ©atitude cĂ©leste. Il est donc vain de chercher ailleurs une solution, mĂȘme purement thĂ©orique, du problĂšme de la destinĂ©e seul le christianisme rĂ©pond aux aspirations infinies de l’ñme humaine. Chapitre II LA MORALE CHRETIENNE EST UNE MORALE CHRISTOCENTRIQUE La morale chrĂ©tienne n’est pas seulement surnaturelle et thĂ©ocentrique elle est christocentrique. C’est-Ă -dire que, selon l’enseignemest des Ă©vangiles et de S. Paul, nous ne pouvons atteindre Dieu que par et en JĂ©sus- Christ, et notre vie morale consiste pratiquement Ă  participer Ă  la vie du Christ et Ă  le prendre comme modĂšle en toutes nos actions. I. — JĂ©sus-Christ est notre centre JĂ©sus-Christ est notre mĂ©diateur auprĂšs de son PĂšre Nul, dit-il, ne va au PĂšre que par moi » Jo., XIV, 6. Mais cette mĂ©diation n’est pas celle d’un ambassadeur interposĂ© entre Dieu et nous. JĂ©sus est si bien Dieu lui- mĂȘme qu’il se prĂ©sente dĂšs les synoptiques comme notre fin derniĂšre, au mĂȘme titre que son PĂšre. En effet, il demande qu’on le suive sans condition, exactement comme il faut suivre Dieu Si quelqu'un veut venir Ă  ma suite, qu’il se renie lui-mĂȘme » Mt. XVI, 24. Si tu veux ĂȘtre parfait, Va. vends ce que tu possĂšdes.. puis viens, suis-moi » Mt., XIX, 21. Qui aura perdu sa vie Ă  cause de moi la trouvera » Mt., x. 29. Non seulement il parle en lĂ©gislateur souverain, rĂ©formant l’enseignement de MoĂŻse et des ProphĂštes Mt., V-VIT il se donne comme l’objet propre de l’amour de ses disciples Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ?.
 » Jo, XXI, 15-17. Demeurez en mon amour » Jo., xv, 9. Et c’est cet amour ardent qui doit ĂȘtre le motif de toute l’activitĂ© morale Dans la mesure oĂč vous l’avez fait Ă  l’un de ces plus petits de mes frĂšres, c’est Ă  moi que vous l’avez fait » Mt., xxv, 40. Il est donc clair qu’on ne peut avoir une vie morale chrĂ©tienne que si l’on oriente toutes ses actions vers le Christ. Il n’est pas seulement le Chemin » Jo., XIV, 6 il est l’ Alpha et l’OmĂ©ga » Apoc. I, 8. IT. — JĂ©sus-Christ est la source de notre vie morale Nous avons vu cf. Ire leçon que notre vie morale n’est pas simplement naturelle elle est essentiellement surnaturelle ; elle est une participation de la vie mĂȘme de Dieu. Il faut prĂ©ciser maintenant que cette vie divine est un rayonnement de la propre vie du Christ. Ceux que d’avance Dieu a discernĂ©s, il les a aussi prĂ©destinĂ©s Ă  reproduire l’image de son Fils, afin qu’il soit l’aĂźnĂ© d’une multitude de frĂšres » Rom., VIII, 29. DĂ©terminant d’avance que nous serions pour lui des fils adoptifs par JĂ©sus-Christ » Eph., I, 5. Le baptĂȘme nous introduit dans cette vie du Christ, et nous fait participer Ă  son mystĂšre de mort et de rĂ©surrection. Par le baptĂȘme, nous rĂ©pĂšte S. Paul, nous sommes morts au monde et nous vivons de la vie du Christ. Nous recevons de sa plĂ©nitude tout ce qui fait notre valeur aux yeux de Dieu. Nous ne pouvons plaire Ă  notre PĂšre cĂ©leste que si nous participons aux vertus de son Fils, vertus non seulement humaines, mais divino- humaines, puisque son humanitĂ© possĂšde la PlĂ©nitude de la DivinitĂ© » Col., IT, 9. Pour exprimer ce mystĂšre de notre union vitale au Christ, S. Jean nous rapporte l’allĂ©gorie de la Vigne et des sarments Jo., xv, 1-8 Qui demeure en moi, comme moi en lui, porte beaucoup de fruit ; car hors de moi vous ne pouvez rien faire » Ćž. 5. Et S. Paul emploie la comparaison du Corps et des membres, comparaison qu’il approfondit et dĂ©veloppe, depuis les premiĂšres Ă©pĂźtres jusqu’à celles de la captivitĂ© Nos corps sont les membres du Christ » I Cor., VI, 15. Nous ne formons qu’un seul corps dans le Christ, Ă©tant, chacun pour sa part, membres les uns des autres » Rom., XII, 5. Vous ĂȘtes morts, et votre vie est dĂ©sormais cachĂ©e avec le Christ en Dieu quand le Christ sera manifestĂ©, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestĂ©s avec lui pleins de gloire » Col., IT, 3. Il est aussi la TĂȘte du Corps, c’est-Ă -dire de l’Eglise » Col. I, 18. Il est la TĂȘte, dont le Corps tout entier reçoit concorde et cohĂ©sion par toutes sortes de jointures qui le nourrissent et l’actionnent selon le rĂŽle de chaque partie, opĂ©rant ainsi sa croissance et se construisant lui- mĂȘme, dans la charitĂ© » Eph., IV, 15-16. Comme le souligne le chanoine Cerfaux”, et comme Pie XII l’a expliquĂ© dans l’encyclique Mystici Corporis Christi », cette image doit ĂȘtre bien comprise. Il n’y a pas d’amalgame entre la personne du Sauveur et l’Eglise ce sont deux rĂ©alitĂ©s entitativement distinctes. Mais la vie de l'Eglise est une participation de celle du Christ. Et nous pouvons dire avec le P. de Jaegher que JĂ©sus aime tant son PĂšre qu’il veut continuer de l’aimer sur terre au moyen des membres qu’il s’est incorporĂ© À chacun de nous, ses membres, il demande tout notre ĂȘtre, notre corps et notre Ăąme avec toutes ses puissances, pour se les assimiler, se les approprier, et vivre en eux sa vie d’amour envers son PĂšre trĂšs aimĂ©. Oh ! non, trente-trois ans ne lui suffisent pas. Il veut dans son amour inassouvi aimer encore, prier encore, souffrir encore. Il nous demande Ă  chacun de nous une humanitĂ© de surcroĂźt, selon la belle expression de SƓur Elisabeth de la TrinitĂ©. Notre vie Ă  chacun de nous n’est pas seulement notre petite vie personnelle avec son Ă©troit horizon, elle a une signification bien plus haute. Elle est et doit ĂȘtre avant tout et surtout la vie du Christ en nous, la continuation de la vie de JĂ©sus. Magnifique idĂ©al bien propre Ă  transformer et Ă  rendre sublime notre vie entiĂšre ». III. — JĂ©sus-Christ est notre modĂšle Cette assimilation fonciĂšre du chrĂ©tien au Christ inaugurĂ©e au baptĂȘme et consommĂ©e dans la gloire, est une rĂ©alitĂ© mystĂ©rieuse qui ne resplendira que dans la clartĂ© du ciel. Mais elle n’est pas sans rapports avec le comportement moral du fidĂšle durant sa vie terrestre elle est au contraire la source d’une transformation profonde qu’il ne tient qu’à nous de dĂ©velopper et de faire rayonner dans toutes nos actions. Il suffit pour cela de prendre sans cesse modĂšle sur le Christ. Nous devons, disent les ApĂŽtres, imiter son humilitĂ© Ayez entre vous les mĂȘmes sentiments qui furent dans le Christ JĂ©sus. Il s’anĂ©antit lui-mĂȘme, prenant condition d’esclave, etc. » Phil. IL, 5 et ss.. et sa charitĂ© Suivez la voie de l’amour, Ă  l’exemple du Christ qui vous a aimĂ©s et s’est livrĂ© pour nous » Eph., v, 2. et sa patience Le Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un modĂšle afin que vous suiviez ses traces » I Petr., IT, 21. Les Ă©poux doivent modeler leur affection rĂ©ciproque sur celle du Christ et de son Eglise Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimĂ© l’Eglise.. Que les femmes soient Ă  leurs maris comme au Seigneur » Eph., v, 25, 22. Et ainsi de suite. On sait combien S. Paul affectionne les expressions dans le Christ », avec le Christ ». C’est que partout et en tout, le chrĂ©tien doit vivre dans l’amour et l’imitation du Sauveur. Ce trait est une caractĂ©ristique essentielle du christianisme. Les auteurs de systĂšmes philosophiques, et mĂȘme les fondateurs de religions n’ont jamais osĂ© se donner comme des modĂšles de vertu ils ont seulement montrĂ© de loin un idĂ©al plus ou moins Ă©levĂ© qu’ils s’efforçaient eux-mĂȘmes d'atteindre tant bien que mal. Par contre, le chrĂ©tien n’a pas seulement Ă  mettre en pratique les conseils Ă©vangĂ©liques ; il a plus et mieux Ă  faire il doit s’identifier mystiquement au Christ par la participation Ă  sa vie divine, et il doit autant que possible reproduire dans ses actes les vertus sublimes dont JĂ©sus nous a donnĂ© l’exemple. Nous pouvons conclure, une fois de plus, que la morale chrĂ©tienne transcende incomparablement toutes les autres morales philosophiques ou religieuses. Chapitre III LA MORALE CHRETIENNE EST UNE MORALE EFFICACE Un troisiĂšme caractĂšre de la morale chrĂ©tienne est d’avoir une efficacitĂ© merveilleuse pour soutenir les Ăąmes dans la pratique du bien. Elle ne donne pas seulement des conseils moraux elle ajoute la force nĂ©cessaire pour les mettre en pratique. Et ceci grĂące surtout aux sacrements. I. — Les sacrements, source de vie morale Cette assertion les sacrements sont une source de vie morale, a quelque chose d’étonnant pour la raison humaine. ConsidĂ©rĂ© philosophiquement, le fait moral apparaĂźt essentiellement distinct du fait cultuel. MĂȘme s’il est orientĂ© vers Dieu comme fin derniĂšre, ainsi qu’il convient, sa fin prochaine et son objet propre ne sont ni Dieu ni la religion son objet n’est autre que l’action, bonne ou mauvaise ; sa fin prochaine varie selon les cas, mais elle est toujours d’ordre moral. Donc, si l’on reste sur le plan de la raison humaine, le culte ne peut guĂšre influencer la conduite morale, au moins directement et essentiellement. Et de fait, dans les religions naturelles, le culte n’est souvent qu’un chapitre parmi d’autres du code social. Les adeptes se sentent tenus en conscience de rendre leurs devoirs Ă  la divinitĂ© pour des raisons analogues Ă  celles qui leur font respecter toute personne douĂ©e d’autoritĂ© et de dignitĂ©. MĂȘme si leur sentiment religieux est trĂšs accentuĂ© — et c’est souvent le cas chez les peuples primitifs — ils ont recours aux dieux plus par superstition, utilitĂ©, ou attrait personnel, que par souci moral. De mĂȘme Ă  notre Ă©poque, dans les milieux fortement imprĂ©gnĂ©s de laĂŻcisme, on considĂšre la religion comme affaire de sentiment, et la morale comme entiĂšrement autonome, relevant uniquement de la raison et des convenances sociales. Et beaucoup de fidĂšles se ressentent de cette ambiance. Eux aussi font souvent de la religion une question de sentiment, et ils ne voient pas bien le lien Ă©troit qui unit le culte et la morale. C’est pourquoi il faut redire une fois de plus que LA MORALE CHRÉTIENNE N’EST PAS COMME LES AUTRES MORALES elle les dĂ©passe infiniment. Elle ne nous laisse pas Ă  notre niveau de crĂ©atures, mais nous introduit au cƓur mĂȘme de la DivinitĂ©, en nous faisant participer Ă  la propre vie du Christ. Or il n’y a qu’un moyen normal de recevoir cette vie divine c’est de recourir aux sacrements Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du PĂšre et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant Ă  observer tout ce que je vous ai prescrit »Mt., XX VIII, 19-20. Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous » Jo., VI, 53. Le baptĂȘme est donc absolument nĂ©cessaire si l’on veut possĂ©der cette vie surnaturelle. C’est lui qui transforme l’ñme humaine, lui infuse un esprit nouveau, une moralitĂ© nouvelle. L’Eucharistie alimente la vie divine. Elle augmente spĂ©cialement la charitĂ©, qui est la piĂšce maĂźtresse de tout l’organisme surnaturel, le moteur qui entraĂźne toutes les vertus morales. Et ainsi de suite pour tous les sacrements. Tous contribuent Ă  l’accroissement de notre vie divine, et favorisent par le fait mĂȘme le dĂ©veloppement de notre moralitĂ©. De plus, chacun d’eux apporte avec lui des secours spĂ©ciaux que les thĂ©ologiens appellent grĂąces actuelles, destinĂ©s Ă  soutenir les fidĂšles dans la pratique de la vertu. Ainsi le sacrement de pĂ©nitence ne remet pas seulement les pĂ©chĂ©s par l’infusion de la grĂące habituelle il soutient vigoureusement le pĂ©nitent dans sa lutte contre les tentations et les efforts qu’il fait pour se corriger de ses dĂ©fauts. Ainsi donc la morale chrĂ©tienne fait preuve d’une efficacitĂ© vraiment unique. Ceci est vrai pour tout homme qui veut se bien conduire. Mais c’est surtout vrai pour ceux qui dĂ©sirent pratiquer la vertu d’une maniĂšre hĂ©roĂŻque. Les sommets vertigineux atteints par tant de saints catholiques n’ont Ă©tĂ© franchis que grĂące au secours de Dieu et Ă  la vertu des sacrements. Nous pouvons donc conclure que les sacrements sont absolument nĂ©cessaires — au moins de dĂ©sir et implicitement — pour tout homme qui veut mener une vie morale intĂ©grale et surtout hĂ©roĂŻque. Quiconque refuse consciemment et volontairement de les recevoir, s’exclut lui-mĂȘme du Royaume de Dieu. Il ne peut participer Ă  la vie divine. Il manque donc sa fin surnaturelle en mĂȘme temps que sa fin naturelle, et il est ainsi exclu de l’ordre moral. Il. — Place de l’Église dans notre vie morale Ceci explique Ă  quel point l’Église est nĂ©cessaire Ă  notre vie morale, et combien la pratique cultuelle fait partie intĂ©grante de toute notre conduite humaine. Certains, scandalisĂ©s Ă  juste titre de voir tant de catholiques pratiquants » nĂ©gliger les prĂ©ceptes les plus Ă©lĂ©mentaires de la morale naturelle, proclament qu’il vaudrait mieux ne pas tant pratiquer et avoir une conduite plus exemplaire. On comprend ce qu’ils veulent dire. Mais leur solution est boiteuse il ne s’agit pas de rĂ©duire la pratique religieuse, mais d’en bien profiter. En rĂ©alitĂ© l’Eglise nous est si nĂ©cessaire qu’elle tient Ă  toutes les fibres de notre Ăąme. Elle seule peut nous donner les sacrements, source de vie surnaturelle et de vie morale. Elle seule peut nous faire atteindre Dieu au moyen de la Liturgie. La pratique cultuelle bien comprise nous Ă©lĂšve au plan de Dieu, nous met dans une atmosphĂšre surnaturelle, nous infuse des mƓurs divines, tant par les grĂąces mystĂ©rieuses qu’elle nous envoie que par l’éducation psychologique, individuelle et communautaire, qu’elle nous donne. Au sortir d’une rĂ©union liturgique, le fidĂšle est armĂ© pour la lutte. Il doit pouvoir agir en toutes choses comme un enfant de Dieu et de l’Eglise, et donner partout l’exemple de la vertu Nous savons que quiconque est nĂ© de Dieu ne pĂšche pas, Mais l’EngendrĂ© de Dieu le garde et le Mauvais n’a pas de prise sur lui. Nous savons que nous sommes de Dieu et que le monde entier gĂźt au pouvoir du Mauvais... Nous sommes dans le VĂ©ritable, dans son Fils JĂ©sus Christ. » 1 Jo., v, 19-20. En un mot la morale catholique n’est pas seulement thĂ©ocentrique et christocentrique elle est, pour ainsi dire, ecclĂ©siocentrique ». Chapitre IV LA MORALE CHRETIENNE EST UNE MORALE À DOMINANTE ESCHATOLOGIQUE Les morales naturelles sont intemporelles? ce sont des systĂšmes fondĂ©s sur la nature de l’homme telle que chaque philosophe la conçoit. Leur but est de favoriser l’épanouissement de la personne humaine dans la situation oĂč elle se trouve, et en fonction des exigences de cette situation. On pourrait aussi, semble-t-il, concevoir thĂ©oriquement une morale surnaturelle du mĂȘme type la divinisation de l’homme n’aurait pour ainsi dire qu’une dimension verticale et non horizontale ; atteignant dĂšs maintenant sa fin derniĂšre par la possession de Dieu, l’homme devrait se contenter de cette vie de foi et y conformer ses actions sans envisager pour cela un transfert de l’objet de son espĂ©rance dans un monde futur. En fait les perspectives bibliques et surtout Ă©vangĂ©liques sont diffĂ©rentes. Nous sommes en marche vers un monde meilleur ; notre vie terrestre est un exil qui n’a d’autre sens que de nous prĂ©parer Ă  une restauration universelle. Et le chrĂ©tien ne doit pas oublier cette Ă©ventualitĂ©. Donc, pour avoir une vue d’ensemble des principes directeurs de la morale chrĂ©tienne, il ne suffit pas de savoir qu’elle est centrĂ©e sur Dieu, le Christ et l’Eglise il faut se rappeler qu’elle est aussi orientĂ©e vers le Christ tel qu’il apparaĂźtra au Jugement dernier, c’est-Ă -dire Ă  la Parousie!°, C’est son aspect eschatologique » qui entraĂźne des consĂ©quences remarquables. I. — La morale chrĂ©tienne est une morale de renoncement Le monde futur nous est prĂ©sentĂ© dans l’Evangile comme tellement transcendant qu’il ne comporte aucune commune mesure avec le nĂŽtre. Les biens d’ici-bas les plus sĂ©duisants santĂ©, fortune, plaisirs corporels ou esthĂ©tiques, sociĂ©tĂ© de nos semblables, etc. nous sont montrĂ©s comme Ă©phĂ©mĂšres, bornĂ©s, mĂ©langĂ©s de toutes sortes de maux, et fort dĂ©cevants. Mais la vie du ciel Ă©tant une participation au bonheur de Dieu, apportera une inconcevable somme de joies, de lumiĂšre, d’amour, d’activitĂ©, et mĂȘme de jouissances sensibles, puisque nos corps ressusciteront glorieux. Et cela pour l’éternitĂ©. Or nous aurons part Ă  ce bonheur dans la mesure oĂč nous aurons aimĂ© Dieu ici-bas. Il est donc urgent de nous dĂ©tacher des biens terrestres et de tendre Ă  Dieu d’un amour exclusif et toujours grandissant. Sur ce point il y a contradiction totale entre la morale chrĂ©tienne et les morales philosophiques. Aux yeux du monde il est absurde de renoncer aux richesses et au bien-ĂȘtre, de quitter ses amis et ses plaisirs, de vivre dans la pauvretĂ©, l’humiliation et la pĂ©nitence. Ces excĂšs paraissent une mutilation de la nature humaine et donc un obstacle au bonheur visĂ© par la morale. En rĂ©alitĂ© ces prĂ©tendus excĂšs sont le moyen le plus sĂ»r d’obtenir le vrai bonheur, et l’Evangile nous les recommande avec insistance. Il faut chercher avant tout le Royaume des Cieux Mt., vi, 33 et lui sacrifier tout Mt., XIII, 44-45. Il faut passer par la porte Ă©troite Mt., VII, 13-14, renoncer aux biens terrestres Mt., VI. 19-34 ; XIX, 16-29, Ă  la famille Mt., VIIL, 22, Ă  soi-mĂȘme Mt., x, 38-39 et porter sa croix chaque jour Le., IX, 23. Et en tout cela le chrĂ©tien doit tendre vers la restauration finale, oĂč le divin Juge viendra rendre Ă  chacun selon ses Ɠuvres Mt., XXV, 31-46. De cet esprit de dĂ©tachement la charte la plus caractĂ©ristique est l’énoncĂ© des bĂ©atitudes, oĂč l’on reconnaĂźt de portrait des anawim », ces pauvres malheureux, rebut du monde, mais privilĂ©giĂ©s du Seigneur Mt., v, 1 -12. IT. — ProphĂ©tisme et apocalyptique Des textes aussi catĂ©goriques que ceux que nous venons de citer se rĂ©fĂšrent Ă©videmment Ă  l’enseignement eschatologique de l’Evangile. Mais sont-ils les seuls Ă  rentrer dans cette catĂ©gorie ? Certains prĂ©ceptes du Seigneur, qui relĂšvent apparemment du genre sapientiel et prophĂ©tique, ne doivent-ils pas, eux aussi, ĂȘtre compris dans un sens eschatologique et apocalyptique ? Il semble bien que oui. On sait en quoi consiste, dans l’ Ancien Testament, la diffĂ©rence entre la littĂ©rature prophĂ©tique et la littĂ©rature apocalyptique!!. Le prophĂšte cherche seulement Ă  obtenir la conversion des pĂ©cheurs qu’ils cessent de faire le mal ; qu’ils commencent Ă  faire le bien. Les auteurs d’apocalypses vont plus loin ils sont tournĂ©s vers le Jour du Seigneur qui englobe dans son mystĂšre un bouleversement gĂ©nĂ©ral, un terrible jugement des mĂ©chants et la rĂ©compense dĂ©finitive des justes. Par suite leur ton est beaucoup plus tragique, leurs instances plus pressantes il ne s’agit pas seulement d’un changement moral, qui se terminerait Ă  l’intĂ©rieur de l’ñme, mais d’une attitude aux consĂ©quences cosmiques ». Et c’est, nous venons de le dire, le contexte dominant de la morale Ă©vangĂ©lique. Mais certains conseils sont susceptibles d’ĂȘtre donnĂ©s aussi bien dans un contexte que dans l’autre. Tel celui de la priĂšre le sage doit prier, et la littĂ©rature sapientielle contient des priĂšres sublimes, surtout parmi les psaumes. Mais on doit prier aussi dans la perspective de la Parousie, et la priĂšre est alors encore plus ardente. Or c’est un fait remarquable !? que le Pater. cette priĂšre modĂšle du chrĂ©tien, a un ton nettement eschatologique » et apocalyptique. Les notions de sanctification du Nom divin, de RĂšgne de Dieu, d’accomplissement de la volontĂ© divine, se rĂ©fĂšrent Ă©videmment Ă  l’avenir, et Ă  un avenir dont l’aboutissement est la Parousie. Il en rĂ©sulte que des demandes qui, en soi, ne se rĂ©fĂšrent pas Ă  la Parousie, donnez-nous aujourd’hui notre pain. », s’y rĂ©fĂšrent cependant du fait de leur insertion dans le Pater. Un chrĂ©tien doit avoir en vue le Royaume de Dieu mĂȘme quand il demande au Seigneur sa subsistance quotidienne. Et nous penserions volontiers que quand il y a doute sur l’appartenance d’un logion » Ă  un genre littĂ©raire, il est plus conforme Ă  la direction d'ensemble du Message Ă©vangĂ©lique d’opter en faveur du genre apocalyptique. Ainsi la parabole du riche imprĂ©voyant a sans doute des parallĂšles dans le genre sapientiel ; mais il est permis de penser que JĂ©sus voit plus loin que les Sages quand il la propose Ă  ses disciples il ne suffit pas d’ĂȘtre raisonnable en dominant l’appĂ©tit des richesses ; il faut les mĂ©priser Ă  la pensĂ©e du bonheur infini qui nous attend dans l’autre monde. Au reste, on peut trĂšs bien concevoir qu’un Ă©vangĂ©liste dans le cas de cette parabole, S. Luc ait insĂ©rĂ© de tels textes dans un cadre plutĂŽt que dans un autre. IT. — Mystique de l’échec L'orientation de la morale chrĂ©tienne vers la Parousie Ă©claire d’un jour unique la mystique de l’échec ». Un chrĂ©tien ne doit pas se scandaliser de rencontrer l’échec dans sa vie. Le divin MaĂźtre nous a donnĂ© l’exemple en cela ; apparemment tout Ă©tait perdu au Calvaire ; JĂ©sus avait humainement Ă©chouĂ©. Mais Dieu sait tirer le bien du mal ; il sait tourner en bien surnaturel un Ă©chec temporel, et le sacrifice du Christ a Ă©tĂ© le moyen de salut de l’humanitĂ©. De mĂȘme le chrĂ©tien ne doit pas hĂ©siter Ă  se sacrifier, car il n’y perdra rien Qui aura perdu sa vie Ă  cause de moi la trouvera » Mt., x, 39. Mais la mystique de l’échec prend en christianisme un sens inconnu des mouvements sans religion. Les partis qui exigent le sacrifice complet de leurs adeptes ne leur proposent rien en contre-partie qu’il leur suffise d’avoir l’honneur de mourir pour la communautĂ©. Au contraire l’échec temporel du chrĂ©tien n’est nullement un obstacle Ă  la victoire dĂ©finitive et souvent il en est la condition essentielle Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilĂ  ce que Dieu a choisi pour confondre la force » I Cor. I, 27. Il faut donc mĂ©priser les avantages humains et ne vivre qu’en vue du bonheur futur du ciel Oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l’avant, tendu de tout mon ĂȘtre, et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous appelle Ă  recevoir lĂ -haut, dans le Christ JĂ©sus » Philip. IT, 13- 14. IV. — Morale Ă©quilibrĂ©e Il est clair que la morale chrĂ©tienne est une morale eschatologique. Toutefois il ne faudrait pas comprendre ce caractĂšre d’une façon exclusive. Car alors nous risquerions de tomber dans le dĂ©faut des Thessaloniciens qui attendaient si prochainement la Parousie qu’ils ne travaillaient plus afin d’ĂȘtre prĂȘts Ă  l’arrivĂ©e du Seigneur. En rĂ©alitĂ©, la morale chrĂ©tienne, tout en Ă©tant Ă  dominante eschatologique comporte tous les thĂšmes de la morale sapientielle et prophĂ©tique qui, de soi, ne se rĂ©fĂšre pas Ă  la Parousie. Tels sont l’amour de Dieu, dĂ©crit en termes touchants par le prophĂšte OsĂ©e XI, 1-4 au VIII siĂšcle, vigoureusement prescrit au siĂšcle suivant par le DeutĂ©ronome VI, 4-5, mais qui ne prend tout son relief que sous la Nouvelle Alliance ; l’amour du prochain, restreint dans l’Ancien Testament, et universalisĂ© dans le Nouveau ; l’humilitĂ©, esquissĂ©e chez les Sages de l’antiquitĂ© et menĂ©e Ă  sa perfection dans l’enseignement et l’exemple de JĂ©sus. Tels sont encore les thĂšmes de la confiance en Dieu, de la patience, de la pratique des vertus morales, etc.!*. Il faut mĂȘme, si l’on veut ĂȘtre fidĂšle Ă  l'Evangile, aller plus loin et dire que LA MEILLEURE MANIÈRE DE SE PRÉPARER A LA PAROUSIE EST ENCORE D’AIDER LE PROCHAIN. C’est lĂ  en effet un des paradoxes les plus frappants du Nouveau Testament. Autant JĂ©sus prĂȘche le dĂ©tachement du monde et le dĂ©sir des biens futurs, autant il exige que ses disciples vivent dans l’instant prĂ©sent et se dĂ©vouent sans compter au service du prochain. Bien mieux c’est prĂ©cisĂ©ment ce dĂ©vouement empressĂ© et affectueux qui est la marque authentique du renoncement total. Des textes tels que la parabole du Bon Samaritain Luc, x, 29-37, les exhortations johanniques Jo., xv, 8-12, 17 ; I Jo., II, 8-11, etc., le tableau du Jugement dernier Mt., xxv, 31-46, etc., en sont la preuve. Et JĂ©sus donne l’exemple sur ce point. Lui qui vit dans l’éternitĂ©, puisqu'il est Dieu, apparaĂźt cependant comme parfaitement homme et attentif aux rĂ©alitĂ©s humaines dans toute sa conduite. Il travaille et veut qu’on travaille ; il goĂ»te les charmes de la nature et les douceurs de l’amitiĂ© ; il agit en tout avec prudence, respectant les autoritĂ©s constituĂ©es. payant l’impĂŽt, refusant de s’associer aux ZzĂ©lotes rĂ©volutionnaires, multipliant les bienfaits temporels en faveur de ses compatriotes. Tout cela prouve Ă  l’évidence que le christianisme, tout eschatologique qu’il est, n’ignore pas les nĂ©cessitĂ©s du temps prĂ©sent. Il oblige ses adeptes Ă  ĂȘtre de leur Ă©poque et Ă  agir sur leur milieu. Mais il reste vrai que les vertus les plus humaines du chrĂ©tien sont d’une autre qualitĂ© que chez les incroyants elles sont toutes modifiĂ©es et transformĂ©es par la perspective du bonheur qui nous attend au ciel, et il est capital de ne jamais perdre de vue cette dimension de la morale chrĂ©tienne. Chapitre V LA MORALE CHRETIENNE EST UNE MORALE DE LA CONVERSION Les systĂšmes de morale qui ne sont pas centrĂ©s sur Dieu ne connaissent pas la notion de pĂ©chĂ©. Le rejet de la rĂšgle des mƓurs y est considĂ©rĂ© seulement comme une faute contre l’idĂ©al ou contre soi-mĂȘme, un Ă©chec dans l’entreprise de formation de la personnalitĂ©, non comme un refus de l’amour de Dieu et une rĂ©volte contre son autoritĂ©. Et mĂȘme quand les morales philosophiques sont ouvertes sur Dieu, la notion de pĂ©chĂ© ne va pas bien loin. Dieu n’y apparaĂźt que comme l’auteur des lois de la nature et un rĂ©munĂ©rateur trĂšs mal connu. C’est donc indirectement que le pĂ©chĂ© est censĂ© l’atteindre, en tant qu’il viole ses lois. Par contre, en christianisme, Dieu n’est pas seulement le crĂ©ateur, et il ne reste pas cachĂ© dans une solitude inaccessible il se donne en personne dans l’Incarnation, il communique sa vie par la grĂące habituelle, il offre son amour aux hommes, si bien que le pĂ©chĂ© devient alors un acte quasi sacrilĂšge, qui exige en rĂ©paration tout autre chose qu’un simple regret moral. I. — Nous sommes pĂ©cheurs Que la rĂ©volte contre l’ordre moral soit une OFFENSE A DIEU, c’est ce qui ressort de tout l’enseignement de la RĂ©vĂ©lation. DĂšs le temps de MoĂŻse, le Seigneur impose en son nom personnel les prĂ©ceptes de la loi naturelle c’est le DĂ©calogue, qu’il donne lui-mĂȘme aux HĂ©breux sur le mont SinaĂŻ. Dans la suite des siĂšcles, les prophĂštes rĂ©pĂštent Ă  satiĂ©tĂ© que l’immoralitĂ© sous toutes ses formes est une injure Ă  Dieu, une dĂ©sobĂ©issance Ă  sa Loi, un refus de son amour semblable Ă  l’adultĂšre de la femme Ă  l’égard de son mari. Et cette authentification de la morale par Dieu lui-mĂȘme n’est pas rĂ©servĂ©e au peuple Ă©lu elle s’étend Ă  tous les hommes sans exception, surtout Ă  partir du Nouveau Testament. Car JĂ©sus n’abroge pas le DĂ©calogue il le perfectionne Mt., v, 17. Mais il y a plus le christianisme nous apprend que nos pĂ©chĂ©s ne sont pas seulement des actes de faiblesse superficiels et transitoires ils rĂ©vĂšlent chez nous un Ă©tat habituel de corruption morale qui nous assimile Ă  des malades naturellement incurables. DĂ©jĂ  l’Ancien Testament avait insinuĂ© cette doctrine Job. IX, 30, 31 ; XIV, 4, et ps. Miserere, W. 7 Vois je suis nĂ© dans l’iniquitĂ©, ma mĂšre m'a conçu dans le pĂ©chĂ© ». Mais c’est surtout le Nouveau Testament qui l’explicite Par un seul homme le pĂ©chĂ© est entrĂ© dans le monde, et par le pĂ©chĂ© la mort, et ainsi la mort a passĂ© en tous les hommes, du fait que tous ont pĂ©chĂ©. La faute d’un seul a entraĂźnĂ© sur tous les hommes une condamnation... Par la dĂ©sobĂ©issance d’un seul homme la multitude a Ă©tĂ© constituĂ©e pĂ©cheresse » Rom., v, 12, 18, 19. L’humanitĂ© est si corrompue qu’elle est pour ainsi dire tombĂ©e au pouvoir de Satan, et que seule une intervention toute-puissante de Dieu peut nous tirer de cet esclavage Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair » L. x, 18. Et c’est prĂ©cisĂ©ment le rĂŽle de la RĂ©demption de sauver l’homme pĂ©cheur. Tout ce que nous avons vu jusqu’à prĂ©sent action de Dieu, action de JĂ©sus-Christ, action de l’Eglise, s’explique dans cette perspective l’homme est pĂ©cheur, et Dieu seul peut le sauver par JĂ©sus-Christ et l'Eglise. Cette doctrine heurte violemment les systĂšmes naturalistes. Et mĂȘme quand les philosophes accentuent la misĂšre de l’homme ou l’importance des bas-fonds » inavouĂ©s de sa conscience tels les existentialistes athĂ©es et beaucoup de psychanalystes, leur pessimisme n’a rien qui ressemble Ă  l’humble repentir du chrĂ©tien sincĂšre. Il se tourne plutĂŽt en rĂ©volte ou indiffĂ©rence complĂšte. Heureux quand cette ambiance n’a pas contaminĂ© nos milieux chrĂ©tiens ! Il faut donc redire instamment qu’un des fondements de l’enseignement Ă©vangĂ©lique est la corruption de la nature humaine. Nous sommes par nature fils de colĂšre », selon l’expression hĂ©braĂŻque, c’est-Ă -dire par nature vouĂ©s Ă  la colĂšre » Eph.. IL, 3, et l’on ne peut ĂȘtre chrĂ©tien sans une conviction rĂ©flĂ©chie de cette corruption. II. — NĂ©cessitĂ© de la conversion La profondeur de notre misĂšre entraĂźne la nĂ©cessitĂ© d’une CONVERSION RADICALE. DĂ©jĂ  les prophĂštes rĂ©clamaient ce repentir Ez., XVIII, 21, 30. Dans le Nouveau Testament l’insistance est plus pressante encore S. Jean-Baptiste Mt., II, 2, JĂ©sus Marc, I, 15 et les ApĂŽtres Act. IIT, 19 commencent leur prĂ©dication par la proclamation Re pentez-vous » ! La pĂ©nitence rĂ©clamĂ©e n’est pas un simple regret moral, mais, selon le terme grec, un retournement » complet. Jusque-lĂ  les pĂ©cheurs s’éloignaient de Dieu, servaient les idoles, Ă©taient esclaves de leurs passions. DĂ©sormais ils devront revenir Ă  Dieu et renoncer complĂštement au mal. Se convertir, c’est essentiellement tout d’abord sortir de l’état de perdition, quitter le pĂ©chĂ© hamartia. Dans l’Ecriture, hamartia » se dĂ©signe pas seulement l’acte mauvais, mais l’état qui en rĂ©sulte, l’état de perte du salut, de sentiment d’inimitiĂ© divine on n’a pas seulement agi contre Dieu, on est dĂ©sormais et on vit loin de lui. Et le pire n’est pas l’acte mauvais passager, mais sa racine empoisonnĂ©e, le fond mauvais d’oĂč sort, librement sans doute, chaque nouveau pĂ©chĂ©... Il ne suffit donc pas de renoncer seulement Ă  un acte mauvais, ni mĂȘme Ă  une habitude de pĂ©chĂ©, c’est le centre mĂȘme de l’existence, tout le cƓur » et tout le comportement qui doivent ĂȘtre changĂ©s » 6. Le symbole de ce retour Ă  Dieu et au bien nous est donnĂ© dans la parabole de l’enfant prodigue L. xv, 11 Ă  32, texte central du sur la conversion » ib.. p. 523. On y remarque la misĂ©ricorde ineffable du PĂšre. C’est que, en effet, un retournement aussi profond que la conversion chrĂ©tienne ne peut se rĂ©aliser que par une grĂące exceptionnelle de Dieu. Nous en avons la preuve dans l’ Ancien Testament, oĂč nous voyons que Dieu prend l’initiative du salut des hommes et ne se lasse pas de pardonner, depuis l’Exode d'Egypte jusqu’au retour de l’Exil. Les prophĂštes rappellent ce pouvoir mystĂ©rieux de la grĂące Fais-moi revenir, que je revienne, car tu es YahvĂ©, mon Dieu ! » JĂ©r., XXXI, 18. Fais-nous revenir Ă  toi, YahvĂ©, et nous reviendrons. Renouvelle nos jours comme autrefois » Lam. v, 21. Le Nouveau Testament insiste encore plus sur cette gratuitĂ© du salut, que ce soit dans les Actes IV, 31 ; XI, 18, dans S. Jean Nul ne peut venir Ă  moi si le PĂšre qui m’a envoyĂ© ne l’attire », J., VI, 44 et surtout dans S. Paul Rom., V, 1, 2, 6 Ă  10, etc.. Il rĂ©sulte de tous ces textes que la conversion est bien un Ă©lĂ©ment essentiel de la vie du chrĂ©tien. Nul ne peut ĂȘtre sauvĂ© s’il ne prend conscience de ses pĂ©chĂ©s actuels et habituels, s’il ne s’en repent pas de toute son Ăąme dans l’humilitĂ© et l’amour de Dieu, et s’il ne forme pas le propos de vivre vertueusement avec la grĂące de Dieu. Nul ne peut progresser dans l’amour divin s’il ne progresse parallĂšlement dans la conviction de sa misĂšre insondable. Ce mystĂšre de cette corruption et cette nĂ©cessitĂ© d’une conversion aussi radicale posent des problĂšmes. Il faudra des siĂšcles pour que les penseurs chrĂ©tiens saisissent d’abord avec acuitĂ© la nature de la corruption humaine, puis pour qu’ils prĂ©cisent avec exactitude les conditions de notre guĂ©rison. C’est Ă  ce sujet qu’interviendront des gĂ©nies tels que S. Augustin et S. Thomas, et les controverses suscitĂ©es autour de ces graves questions motiveront plusieurs fois l’intervention du MagistĂšre infaillible de l’Eglise. Ce qui n’empĂȘchera pas, du reste, les discussions de renaĂźtre pĂ©riodiquement jusqu’à nos jours. Contentons - nous pour l’instant de noter qu’il y a lĂ  une donnĂ©e fondamentale de la doctrine chrĂ©tienne, et que le travail des thĂ©ologiens n’aura pour but que d’approfondir et de prĂ©ciser cette doctrine. Chapitre VI INSERTION DE LA PHILOSOPHIE DANS LA MORALE CHRETIENNE 1° CONVENANCE DE CETTE INSERTION Jusqu'ici nous n’avons pas fait un travail thĂ©ologique au sens complet du mot. Nous avons seulement amorcĂ© ce travail, en recherchant dans les Saintes Ecritures quels Ă©taient les caractĂšres essentiels de la morale chrĂ©tienne. Cette enquĂȘte Ă©tait d’ordre positif, et relĂšve de la thĂ©ologie biblique ». C’est ainsi que la morale chrĂ©tienne nous est apparue comme une morale surnaturelle, centrĂ©e Ă  la fois sur Dieu, sur le Christ et sur l’Eglise, et une morale eschatologique, orientĂ©e vers le monde Ă  venir, exigeant une conversion complĂšte, cependant nullement oublieuse des conditions temporelles de l’humanitĂ©. L’effort proprement thĂ©ologique est plus profond. Il consiste Ă  insĂ©rer dans la doctrine biblique ou donnĂ© rĂ©vĂ©lĂ© une armature intellectuelle, Ă  la fois logique et mĂ©taphysique, mettant au grand jour la cohĂ©rence profonde de l’Evangile et son harmonie avec les grands principes de la raison naturelle. L'entreprise est la mĂȘme en dogme et en morale. Aussi n’y a-t-il lieu d’en parler qu’une fois pour toutes, normalement au sujet du dogme, dans les synthĂšses thĂ©ologiques complĂštes. Mais dĂšs qu’on expose la morale sĂ©parĂ©ment du dogme, il convient de montrer comment cet effort thĂ©ologique s’impose aussi bien dans un domaine que dans l’autre. En morale rĂ©vĂ©lĂ©e, en effet, aussi bien qu’en dogme, l’esprit a pour objet de contemplation le MystĂšre de Dieu. C’est le MystĂšre de Dieu communiquant sa propre vie aux hommes. I. — Transcendance et adaptation On ne saurait trop insister sur la mystĂ©rieuse transcendance de la morale chrĂ©tienne, et c’est pour cela que nous avons commencĂ© par la mettre en relief. Contrairement aux Ă©thiques naturelles, la morale du est une morale de fils de Dieu, qui vivent en relations intimes avec les trois Personnes divines, et qui font rayonner leur vie surnaturelle dans toutes leurs actions. Cette morale transcende donc les temps et les lieux. Elle vaut Ă  la fois pour notre Ă©poque comme pour les annĂ©es de la vie terrestre du Christ. Elle vaut pour l’Orient comme pour l’Occident. Elle s’adresse aussi bien aux peuplades sans culture qu’aux nations les plus civilisĂ©es. Elle est apte Ă  ĂȘtre assimilĂ©e par tout homme qui pense et dont l’esprit n’a pas Ă©tĂ© dĂ©formĂ©. Et l’on comprend trĂšs bien les rĂ©actions — parfois excessives, il est vrai — de certains de nos contemporains contre ceux qui voudraient monopoliser la morale Ă©vangĂ©lique au profit exclusif d’un peuple, d’une culture ou d’une civilisation. Le christianisme s’adresse Ă  tous les hommes et veut les sauver tous. Il doit donc pouvoir s’adapter Ă  toutes les maniĂšres de penser, sans toutefois rien perdre de sa trancendance divine. Il doit ĂȘtre assimilable tout en restant mystĂ©rieux. Entreprise Ă©videmment dĂ©licate et que trĂšs peu d'hommes ont menĂ©e Ă  bien jusqu'ici. II. — NĂ©cessitĂ© d’une assimilation rationnelle du donnĂ© rĂ©vĂ©lĂ© Si pĂ©rilleuse que soit cette entreprise, elle s’impose cependant, vu la nature de l’esprit humain. 1° Il est conforme Ă  la PSYCHOLOGIE de chercher Ă  connaĂźtre ce qu’on aime, et de tĂącher de dĂ©finir clairement ce que l’on perçoit confusĂ©ment. Or les expressions anthropomorphiques, profondes, parfois mĂȘme paradoxales de la Bible sont une invitation continuelle Ă  rechercher ce qu’elles signifient. Que veulent dire, par exemple, des phrases telles que les suivantes Recherchez YahvĂ© et sa force, sans relĂąche poursuivez sa face. Ps. 105, 4. Si ton Ɠil est pour toi une occasion de pĂ©chĂ© arrache-le et jette-le Mt., XVIII, 9., Si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui accomplis l’action, mais le pĂ©chĂ© qui habite en moi Rom., VII, 20 ». Et combien d’autres, du mĂȘme genre, supposent, pour ĂȘtre bien interprĂ©tĂ©es, une connaissance exacte de l’ascĂšse et de la contemplation, de la nature humaine et de ses ressources morales, de la nature divine et des secours divins, etc. ! Et surtout les rĂ©vĂ©lations les plus Ă©blouissantes de la morale nĂ©o- testamentaire nous mettent en face d’un abĂźme de lumiĂšre qui attire inlassablement notre curiositĂ©. Nous sommes des fils de Dieu » Jo. I, 12 ; nous participons Ă  la nature de Dieu » II Petr., I, 4 ; la TrinitĂ© demeure dans l’ñme sainte Jo., XIV, 23 ; le Saint-Esprit nous inspire la maniĂšre de prier et de nous conduire Rom., VIIL, 15, 26 ; Gal., v. 16 ; toute la loi consiste Ă  aimer Rom., XIII, 10. Comment comprendre ces textes et mille autres ? Ils sont susceptibles des sens les plus divers, entraĂźnant chacun des consĂ©quences pratiques incalculables. On pourrait dire avec Bergson que l’allure paradoxale de beaucoup d’entre eux est un Ă©lĂ©ment de leur force. Ils font choc, ils mettent violemment l’homme en face de son destin, de son obligation et de ses responsabilitĂ©s, et le forcent Ă  rĂ©flĂ©chir. Mais prĂ©cisĂ©ment cet approfondissement n’est pas de tout repos. Il exige une vaste culture philosophique et une grande prudence dans l'interprĂ©tation thĂ©orique et l’application pratique. 2° D'autant plus que la morale de l’Evangile et des apĂŽtres ne se prĂ©sente pas sous la forme d’un systĂšme logiquement organisĂ© elle vise moins Ă  enrichir l’esprit qu’à convertir la volontĂ©. Or l’homme qui rĂ©flĂ©chit a besoin de se reprĂ©senter les choses d’une maniĂšre LOGIQUE. Il aime Ă  mettre de l’ordre dans les prĂ©ceptes moraux, Ă  distinguer principes et consĂ©quences, obligations et conseils, fautes graves et fautes lĂ©gĂšres, etc. Il aime Ă  prĂ©senter en un tout organique ce qui a Ă©tĂ© exprimĂ© au hasard des circonstances. 3° Plus profondĂ©ment encore, l’esprit humain aime Ă  trouver les fondements MÉTAPHYSIQUES de l’enseignement rĂ©vĂ©lĂ©. Au lieu, en effet, de considĂ©rer la RĂ©vĂ©lation comme une sorte d’aĂ©rolithe sans parentĂ© avec la nature humaine, on peut s’efforcer de trouver entre elle et la nature des notions communes qui fassent le pont » entre l’infini et le fini, et manifestent la convenance souveraine de l’intervention de Dieu dans le monde. Ce besoin n’est pas ressenti par tous Ă©galement, mais il est assez gĂ©nĂ©ral dans l’élite des penseurs pour que la thĂ©ologie tĂąche de le satisfaire. 4° Enfin l’'APOLOGÉTIQUE a un rĂŽle Ă  jouer en morale comme en dogme. Il convient de redresser les erreurs et de repousser les attaques relatives Ă  la morale chrĂ©tienne. Or cela exige l’intervention d’une dialectique accessible aux contradicteurs. IT. — Valeur de la pensĂ©e grecque Pour mener Ă  bien cette insertion des concepts dans la doctrine rĂ©vĂ©lĂ©e, il faut disposer d’un INSTRUMENT ADAPTÉ. Or il n’en est pas de plus perfectionnĂ© que la langue et l’esprit des Grecs. Il est de mode d’en douter, depuis une cinquantaine d’annĂ©es. Des sociologues se sont penchĂ©s sur les formes primitives de la culture et sur les civilisations les moins connues, et ils ont dĂ©niĂ© aux Grecs une supĂ©rioritĂ© jusqu’alors universellement admise. Plus rĂ©cemment, on a voulu renouveler la question en tentant de dĂ©montrer que la pensĂ©e hĂ©braĂŻque convenait mieux que la pensĂ©e grecque pour l’élaboration du donnĂ© rĂ©vĂ©lĂ©. Ce qu’il faut retenir de ces discussions, c’est l’imperfection radicale de tout instrument humain Ă  exprimer adĂ©quatement l'infini. Mais on peut maintenir qu’il y a des degrĂ©s dans cette imperfection et que c’est l’honneur des Grecs d’avoir surpassĂ© de beaucoup les autres peuples dans la mise au point de tout ce qui permet l’assimilation thĂ©ologique souplesse de la langue, prĂ©cision des concepts, rigueur des raisonnements, soliditĂ© des principes mĂ©taphysiques. Ceci est d’autant plus vrai que l’effort des Grecs de l’antiquitĂ© a Ă©tĂ© admirablement prolongĂ© par les PĂšres de l’Eglise — souvent des Grecs, eux aussi, — et par les thĂ©ologiens, Ă  l’intĂ©rieur de l’Eglise guidĂ©e par le Saint-Esprit, et garantie d’infaillibilitĂ© dans la formulation dogmatique. Non pas, certes, que l’Eglise canonise les systĂšmes philosophiques, mĂȘme expurgĂ©s. Mais on peut tenir pour certain que tout ce travail sĂ©culaire d’assimilation et d’adaptation ne s’est pas fait au hasard il est permis d’y voir l’action de la Providence et on comprend que le MagistĂšre se refuse Ă  le considĂ©rer comme secondaire et Ă©phĂ©mĂšre. Il faudra toujours en tenir compte, mĂȘme quand on se proposera de s’adapter Ă  des cultures trĂšs Ă©loignĂ©es de la civilisation grĂ©co-latine. Chapitre VII INSERTION DE LA PHILOSOPHIE DANS LA MORALE CHRETIENNE 2° L'ƒUVRE DE SAINT AUGUSTIN ET DE SAINT THOMAS L’assimilation du donnĂ© rĂ©vĂ©lĂ© par l’esprit humain, et sa formulation en termes dĂ©jĂ  connus, est quelque chose de si naturel qu’on en voit des traces DÈS L'ORIGINE DU CHRISTIANISME, dans les Ă©crits de S. Paul et de S. Jean. Certes cet apport humain est trĂšs faible chez eux, et de plus il faut bien se garder d’attribuer Ă  la philosophie paĂŻenne ce qui relĂšve uniquement du gĂ©nie hĂ©breu. AĂŻnsi on a cru assez longtemps reconnaĂźtre de notables infiltrations grecques en certains textes de S. Jean le Prologue sur le Logos ou de S. Paul vocabulaire des religions syncrĂ©tistes alors que des Ă©tudes plus approfondies montrent que tout, ou presque tout, s’explique par des in- influences bibliques. Il semble toutefois probable — au moins jusqu’à preuve du contraire — que S. Paul a parfois utilisĂ© non pas prĂ©cisĂ©ment et directement les philosophes paĂŻens, mais du moins certaines maniĂšres de penser ou de s’exprimer largement rĂ©pandues dans le milieu grĂ©co-romain qu’il frĂ©quentait telles certaines notions se rattachant originairement Ă  l’école stoĂŻcienne, comme celle de conscience. Et il semble prouvĂ© aussi que l’auteur de l’épĂźtre aux HĂ©breux a Ă©tĂ© influencĂ© par le philonisme!”. En tout cas, que les apĂŽtres se soient rĂ©fĂ©rĂ©s aux catĂ©gories grecques et aux traditions hĂ©braĂŻques, ou qu’ils aient eu une langue entiĂšrement originale, c’est un fait qu’ils n’ont pas reçu passivement la Parole divine, mais qu’ils l’ont approfondie sans relĂąche et exprimĂ©e en des termes accessibles Ă  leur entourage. Sur ce point les PĂšres de l’Eglise et les thĂ©ologiens ne feront que suivre leurs traces. Il va sans dire que le privilĂšge des auteurs inspirĂ©s est d’ĂȘtre Ă  la source de la RĂ©vĂ©lation, de l’exprimer sous l’inspiration du Saint-Esprit et sans risque d’erreur, et de chercher beaucoup moins Ă  faire Ɠuvre intellectuelle et logique qu’à prĂȘcher la VĂ©ritĂ© de toute leur Ăąme, en vue de convertir le monde. I. — La synthĂšse de saint Augustin Aux premiers siĂšcles du christianisme, les PĂšres Apologistes recourent volontiers Ă  la philosophie grecque pour exposer et dĂ©fendre la doctrine rĂ©vĂ©lĂ©e. En morale, c’est surtout le stoĂŻcisme qu’ils exploitent. Au V siĂšcle, la synthĂšse la plus brillante est due Ă  S. Augustin qui, lui, s’inspire avant tout du nĂ©o-platonisme. A la suite de Platon, il est surtout attentif Ă  la notion de BIEN. Il aime Ă  contempler Dieu sous cet aspect. Il ne s’arrĂȘte jamais Ă  l’étude purement thĂ©orique des attributs divins il les voit tout rayonnants des attraits de la BontĂ© divine et ses spĂ©culations les plus abstraites tournent toujours Ă  l'amour. Quels que soient les mystĂšres qu’il envisage prĂ©destination, grĂące, sacrements, etc., il voit sans cesse en eux leur valeur affective et leur rĂŽle sanctificateur. Si bien qu’avec lui on est toujours dans une chaude atmosphĂšre d’amour et de contemplation. Le dogme n’est jamais exposĂ© pour lui-mĂȘme, mais en vue de la morale dans le sens le plus Ă©levĂ© de ce mot. Mais cette extraordinaire puissance de sentiment ne nuit nullement chez lui au TRAVAIL DE L'INTELLIGENCE jamais homme de gĂ©nie n’a uni Ă  un si haut degrĂ© la vigueur de l’esprit et la tendresse du cƓur. Il a nettement tracĂ© dans un de ses ouvrages, le De Doctrina Christiana L. Il, le programme considĂ©rable qu’il fallait remplir pour mener Ă  bien l’exploitation rationnelle du DonnĂ© rĂ©vĂ©lĂ© Augustin veut mettre au service de l’intelligence des Ecritures, toutes les ressources aptes Ă  procurer ce service la connaissance des langues sacrĂ©es, celle de la nature des ĂȘtres, celle de la dialectique, qui permet de dĂ©celer et de rĂ©futer les sophismes et enseigne l’art de la dĂ©finition et de la division des matiĂšres, sans lequel aucune exposition de la vĂ©ritĂ© n’est possible ; la connaissance de l’éloquence, la science des nombres, l’histoire et le droit. Programme immense dont Augustin lui-mĂȘme, puis le Moyen Age, ne rĂ©aliseront en somme qu’une partie, le Moyen Age thĂ©ologique se limitant, dans son ensemble, Ă  la culture de la grammaire et de la dialectique » "8. Pratiquement, si nous recherchons en dĂ©tail quels sont ses PRINCIPAUX EMPRUNTS aux philosophes grecs et latins, nous constatons que c’est Ă  eux qu’il doit les grands principes qu’il utilise le plus souvent la notion de bonheur, qui occupe dans son systĂšme une place fondamentale ; celles d'ordre, de loi, et de vertu. C’est aux nĂ©o-platoniciens qu’il demande la thĂ©orie de la dialectique » pour s’élever par degrĂ©s jusqu’à la contemplation, autre Ă©lĂ©ment essentiel de sa spiritualitĂ©. Nous ne faisons que signaler ces donnĂ©es, qui mĂ©riteraient de longs dĂ©veloppements. Mais il ne faut pas oublier que, au cours de sa longue carriĂšre, tous ces emprunts ont Ă©tĂ© constamment et progressivement affinĂ©s, purifiĂ©s, CHRISTIANISÉS et si bien assimilĂ©s que le systĂšme augustinien est devenu en dĂ©finitive quelque chose de complĂštement indĂ©pendant par rapport aux philosophies qui lui ont fourni ces matĂ©riaux. Et il va sans dire que des notions aussi nouvelles que le pĂ©chĂ©, actuel et originel, la grĂące, actuelle et habituelle, les vertus thĂ©ologales, l’Incarnation, la RĂ©demption, l’Eglise, etc., Ă©taient de nature Ă  transformer radicament l’apport des philosophies paĂŻennes. IT. — La synthĂšse thomiste Si sĂ©duisante que soit la synthĂšse augustinienne pour quiconque se pĂ©nĂštre de l’Ɠuvre du Docteur africain, elle est dĂ©passĂ©e en rigueur scientifique par la synthĂšse thomiste 1. La notion fondamentale, chez S. Thomas, n’est plus la notion de Bien, mais la notion d’ETRE, plus universelle en ce sens qu’elle est l’objet propre de l’intelligence alors que celle de Bien est l’objet de la volontĂ©. Par suite le systĂšme thomiste n’est pas principalement dynamique et moral, comme l’augustinisme il est ontologique et spĂ©culatif. Cela lui permet de se constituer en une science solide et cohĂ©rente, qui met en relief la transcendance de Dieu et la relation des crĂ©atures par rapport Ă  Dieu. Et si la morale y perd son importance prĂ©dominante, elle y gagne en profondeur et en systĂ©matisation. Il suffit, pour s’en rendre compte, de signaler les principaux emprunts de S. Thomas dans ce domaine au Pseudo-Denys et Ă  Aristote. A EMPRUNTS A LA MÉTAPHYSIQUE DYONISIENNE S. Thomas a beaucoup utilisĂ© le Pseudo-Denys, auteur chrĂ©tien du VIS siĂšcle fortement imprĂ©gnĂ© de nĂ©o-platonisme, et qu’on identifia jusqu’au siĂšcle dernier avec Denys l’ArĂ©opagite, converti par S. Paul Ă  AthĂšnes. Il le cite plus de fois. Il lui emprunte quelques PRINCIPES admis comme Ă©vidents et qu’il rĂ©pĂšte souvent, tel l’axiome Le bien se diffuse et se communique naturellement », et des vues d’ensemble telles que la hiĂ©rarchie des ĂȘtres créés, en vertu de laquelle les ĂȘtres infĂ©rieurs confinent Ă  ceux qui leur sont immĂ©diatement supĂ©rieurs. Il lui emprunte surtout la vue grandiose de L'ÉMANATION ET DU RETOUR », qui lui permet d’insĂ©rer pour la premiĂšre fois la morale dans un ensemble mĂ©taphysique et donc scientifique au sens traditionnel de ce mot. Jusqu’ alors les PĂšres et les thĂ©ologiens avaient conservĂ© Ă  l’exposĂ© de la doctrine chrĂ©tienne, y compris la morale, son aspect originel — et original — qui est historique C’est en effet, nous l’avons vu, le propre du christianisme de n’ĂȘtre pas un systĂšme thĂ©orique et abstrait, mais le rĂ©sultat d’une intervention de Dieu dans le monde. Or l’histoire, qui a pour objet la succession d'Ă©vĂ©nements contingents, ne peut pas avoir la rigueur scientifique des autres disciplines comme les mathĂ©matiques, la physique, la mĂ©taphysique, etc. On ne pouvait donc donner Ă  la doctrine chrĂ©tienne une allure dĂ©monstrative et rigoureuse qu’en l’insĂ©rant dans un ensemble mĂ©taphysique, tout en lui conservant son caractĂšre historique. Ce fut prĂ©cisĂ©ment un trait de gĂ©nie de S. Thomas de construire sa Somme ThĂ©ologique Ă  partir du principe nĂ©o-platonicien et dyonisien, en le mettant au point. Dieu crĂ©e le monde des anges et l’univers matĂ©riel c’est l’émanation », objet de la I P. de la Somme, L’homme revient Ă  son Principe, et il y revient librement, moins par devoir imposĂ© de l’extĂ©rieur qu’en vertu de l’ordre naturel des choses, et c’est le retour », objet de la IF P. Et pour rĂ©aliser sa vocation, il lui faut s’insĂ©rer dans l’histoire de la vie du Christ, en participant Ă  ses mystĂšres et aux sacrements c’est la III P. Moyennant cette cohĂ©rence, nous ne sommes plus seulement dans le monde de la contingence nous sommes aussi dans l’ordre des essences et de la science”?. À Denys aussi S. Thomas emprunte une notion profonde du bonheur. Les auteurs grecs attribuent bien une importance fondamentale Ă  cette notion, mais ils la considĂšrent surtout dans son Ă©lĂ©ment subjectif. Avec Denys le bonheur prend une valeur ontologique, et S. Thomas saura exploiter cette propriĂ©tĂ© pour donner une grande rigueur au fondement de sa morale. Enfin c’est surtout chez Denys que S. Thomas trouve fortement Ă©laborĂ©e la doctrine de la contemplation de Dieu. Il en fera le but essentiel de sa morale, quoique en insistant sur la part qui y revient Ă  la charitĂ©, vertu non intellectuelle maĂŻs essentiellement affective, qui met la contemplation Ă  la portĂ©e de tous. B EMPRUNTS A LA MÉTAPHYSIQUE ARISTOTÉLICIENNE Si importants que soient les emprunts de S. Thomas Ă  la mĂ©taphysique dionysienne dans la constitution de la morale chrĂ©tienne, sa dĂ©pendance de la mĂ©taphysique d’Aristote est encore plus Ă©troite et plus universelle. Son principal emprunt dans ce domaine est la notion de nature, si prĂ©cieuse dĂ©jĂ  en dogme par ex. dans l’étude des mystĂšres de la TrinitĂ© et de l’Incarnation. Constamment en morale S. Thomas revient sur cette idĂ©e que les ĂȘtres ne sont pas de pures collections de qualitĂ©s individuelles et variables, mais avant tout des essences fixes, des natures immuables, et que sous cet aspect ils participent Ă  des types d’espĂšces prĂ©cises, soumises Ă  des lois propres. Cette notion de nature est un des piliers de l’armature mĂ©taphysique de la morale. Elle fonde le droit naturel et les nombreux devoirs et droits qui en dĂ©coulent. Elle crĂ©e l’unitĂ© de l’espĂšce humaine et de la morale naturelle. Elle demeure intacte dans les ĂȘtres surnaturalisĂ©s. Bien mieux l’organisme surnaturel lui-mĂȘme agit Ă  la maniĂšre des natures créées, et il y a correspondance parfaite entre nature et surnature. De plus les QUATRE CAUSES de chaque nature causes efficiente, matĂ©rielle, formelle et finale sont pour S. Thomas des principes d’explication lumineux et constamment employĂ©s. Ainsi la notion de cause efficiente se retrouve dans les rapports entre la Cause premiĂšre et les causes secondes. Il est vrai qu’ici la pleine lumiĂšre n’est faite que grĂące au platonisme de Denys, seul capable d’expliquer comment la Cause premiĂšre pose les choses dans la totalitĂ© de leur ĂȘtre sans pour cela diminuer l’efficacitĂ© des causes secondes. Principe aux consĂ©quences multiples, tant en mĂ©taphysique qu’en dogme et en morale. Il aide notamment Ă  saisir la nature de la grĂące actuelle. Les notions d’objets matĂ©riel et formel servent Ă  spĂ©cifier la moralitĂ© des actes humains et la distinction des vertus. Celle de forme explique bien des choses. Ainsi on la trouve dans l’analyse de la moralitĂ©, oĂč l’intention est assimilĂ©e Ă  la fin ; on la retrouve dans l’étude des lois, la forme Ă©tant la source des lois des ĂȘtres, puis dans l’étude des habitus acquis et infus, ceux-ci Ă©tant les principes prochains de l’action. La grĂące elle-mĂȘme est assimilĂ©e Ă  une forme accidentelle Quant Ă  la fin, elle joue un rĂŽle capital, qu’il s’agisse de la fin derniĂšre, qui oriente toute l’activitĂ© morale, ou de la fin particuliĂšre, avec la distinction de fin de l’action » et fin de l’agent ». C EMPRUNTS A LA PSYCHOLOGIE ARISTOTÉLICIENNE S. Thomas emprunte aussi Ă  Aristote des principes fĂ©conds sur la NATURE de l’ñme et ses RELATIONS avec le corps. — L'Ăąme est douĂ©e de facultĂ©s rĂ©ellement distinctes entre elles. Alors qu’elle est le principe Ă©loignĂ© des actes, les facultĂ©s en sont le principe prochain, diversifiable selon les qualitĂ©s ou habitus qui les dĂ©terminent. Ces prĂ©cisions mĂ©taphysiques seront prĂ©cieuses pour l’étude des vertus infuses, thĂ©ologales et morales?! — Les rapports de l’ñme et du corps sont expliquĂ©s en fonction de la THÉORIE HYLÉMORPHIQUE Ăąme forme du corps. De lĂ  rĂ©sultent des consĂ©quences remarquables Le corps n’est pas une rĂ©alitĂ© extĂ©rieure au moi, ni un objet de mĂ©pris qu’on puisse nĂ©gliger impunĂ©ment il faut en tenir compte si l’on veut prĂ©venir des surprises et des revanches de la nature. Les passions ne sont pas essentiellement mauvaises leur moralitĂ© est celle de leur orientation en bien ou en mal. La classification des passions et des vertus tient compte du corps aussi bien que de l’ñme. La contemplation n’a pas en thomisme la mĂȘme allure que dans l’augustinisme. On s’y souvient qu’elle est naturellement plus difficile Ă  atteindre qu’on ne le croit en climat platonicien. Il est vrai que la charitĂ© infuse compense la faiblesse constitutive de l’esprit. Notons encore que S. Thomas, Ă  la suite d’Aristote, attribue une grande importance aux actions concrĂštes et individuelles. Il emprunte au Philosophe une quantitĂ© de fines remarques psychologiques dont il parsĂšme ses Ɠuvres morales. D EMPRUNTS A LA MORALE ARISTOTÉLICIENNE PROPREMENT DITE Enfin on peut dire qu’à peu prĂšs toutes les notions de la morale aristotĂ©licienne se retrouvent dans la morale thomiste. En plus des notions dĂ©jĂ  signalĂ©es, telles que la bĂ©atitude ou la vertu, relevons entre autres celles d’amitiĂ©, de libĂ©ralitĂ©, de magnificence, de magnanimitĂ©, et beaucoup d’autres Ă©lĂ©ments de morale, soit individuelle, soit sociale, que S. Thomas utilise prĂ©cieusement, en classant le tout sous la mouvance des quatre vertus cardinales, selon un principe hĂ©ritĂ© des PĂšres de l’Eglise. Nous avons un indice de ces rapports dans le seul nombre de citations d’Aristote que nous trouvons dans la morale spĂ©ciale de la Somme Aristote y est citĂ© plus de 800 fois, et sur ce nombre, 600 textes sont empruntĂ©s Ă  la Morale Ă  Nicomaque, si riche en observations morales et psychologiques. Cette masse de matĂ©riaux divers permettait Ă  S. Thomas d’apporter partout en morale des notions nettes, des dĂ©finitions prĂ©cises, des principes solides, et d’édifier un SYSTÈME d’une cohĂ©rence et d’une beautĂ© qui n’ont jamais Ă©tĂ© Ă©galĂ©es. IT. — Thomisme et christianisme Les emprunts de S. Thomas Ă  Aristote sont donc trĂšs nombreux. Mais ce serait se tromper lourdement que de voir dans le thomisme un eudĂ©monisme aristotĂ©licien dĂ©marquĂ©. En morale, comme en mĂ©taphysique et en psychologie, S. Thomas MODIFIE PROFONDÉMENT ARISTOTE. La doctrine de la crĂ©ation lui permet d’éclairer des points capitaux, tels que la valeur de la matiĂšre, la relation des ĂȘtres avec Dieu, etc. Aristote ignorait l’union de l’immanence radicale et de la transcendance absolue du CrĂ©ateur dans la crĂ©ature. L’introduction de cette doctrine nouvelle fit l’effet d’une conversion » d’Aristote??. Tous les dogmes TrinitĂ©, Incarnation, RĂ©demption, sacrements, etc., Ă©lĂšvent la morale Ă  un plan transcendant. Avec Aristote, l’éthique Ă©tait orientĂ©e vers la citĂ© chez S. Thomas, elle est essentiellement thĂ©ocentrique. Aristote enseignait un humanisme » clos S. Thomas ne connaĂźt qu’un humanisme thĂ©ologal » s’il est permis d'employer rĂ©trospectivement un terme moderne. En un mot, quand les matĂ©riaux paraissent identiques de part et d’autre, ils sont en rĂ©alitĂ© transformĂ©s par le gĂ©nie chrĂ©tien et philosophique de S. Thomas. Le thomisme reste donc TOTALEMENT CHRÉTIEN, autant que l’augustinisme mĂȘme, car il ne nĂ©glige aucune des donnĂ©es de la RĂ©vĂ©lation. Mais il a sur l’augustinisme l’avantage d’ĂȘtre mieux structurĂ©, plus respectueux de la nature, plus profond dans toutes les questions qu’il Ă©tudie, plus nuancĂ© dans les dĂ©tails, et beaucoup plus complet la synthĂšse thomiste n’est pas seulement mystique, elle est totalement objective. Elle n’est pas centrĂ©e sur des distinctions un peu Ă©troites, telles que uti et frui » utiliser et jouir, res et signa » chose et signe, mais sur des principes gĂ©nĂ©raux qui sont les lois de l’ĂȘtre la distinction de l’essence et de l’existence, de l’acte et de la puissance, de la substance et des accidents, et des quatre causes. On reproche aujourd’hui Ă  la morale thomiste ou plutĂŽt extraite arbitrairement du thomisme de nĂ©gliger le rĂŽle du Christ et de l’Eglise, et d’avoir une allure trop scientifique, pas assez Ă©loquente au cƓur. En rĂ©alitĂ©, ces objections tombent quand on l’étudie dans la synthĂšse globale, dont elle fait partie intĂ©grante et oĂč elle puise toute sa force. Chapitre VIII LE ROLE DE LA FINALITE EN THOLOGIE MORALE Nous avons admirĂ© la sublimitĂ© de la morale chrĂ©tienne l’homme n’est pas bornĂ© aux horizons de cette terre ; il est appelĂ© Ă  une destinĂ©e infiniment plus Ă©levĂ©e ; il est devenu capable d’atteindre Dieu dĂšs ici-bas, de participer Ă  sa propre vie par la grĂące, et de jouir de lui face Ă  face au ciel en attendant la Parousie du Seigneur et la rĂ©surrection des corps. Une telle vocation est Ă©videmment l’effet d’un don purement gratuit de Dieu. Mais dĂšs que le thĂ©ologien est en possession de cette vĂ©ritĂ© de foi, il cherche s’il n’y a pas dans la nature mĂȘme un fondement mĂ©taphysique, ou du moins un appel ontologique lui permettant d’en montrer la haute convenance. Pour S. Thomas, ce fondement existe il n’est autre que l’orientation naturelle de toute crĂ©ature vers Dieu. I. — La finalitĂ© dans la nature S. Thomas, Ă  la suite d’Aristote et de Denys, qu’il complĂšte et rectifie, a une idĂ©e vigoureusement finaliste de la nature Ă  ses yeux, la nature créée ne dĂ©pend pas seulement de Dieu en tant qu’il est Cause efficiente ; elle dĂ©pend aussi de lui parce qu’il est la Cause finale de tout l’univers. Il y a lĂ  une vue grandiose qu’il convient d’esquisser. TOUT ÊTRE EST FINALISÉ, depuis le moindre atome jusqu’au plus Ă©levĂ© des anges. C’est-Ă -dire que chaque ĂȘtre a une nature bien dĂ©finie, principe d’actes nettement dĂ©terminĂ©s, qui l’orientent vers son bien. Un atome d’hydrogĂšne, par exemple, a des propriĂ©tĂ©s qui le distinguent des autres atomes ainsi il peut se combiner avec l’oxygĂšne pour donner de l’eau, chose qu’il ne pourra faire avec un autre corps. À son tour la molĂ©cule d’un corps matĂ©riel est apte Ă  produire certains effets qui Ă©chappent aux autres molĂ©cules. Par exemple la chlorophylle n’a pas les mĂȘmes propriĂ©tĂ©s que l’acide sulfurique. MĂȘme finalitĂ© encore plus frappante chez les ĂȘtres vivants un grain de blĂ© deviendra autre chose que le gland d’un chĂȘne, un Ɠuf d’oiseau deviendra un oisillon d’une espĂšce bien dĂ©terminĂ©e. Il est de mode — un peu moins toutefois maintenant que voilĂ  cent ans — de dĂ©nigrer la finalitĂ© de la nature. Savants et philosophes ont mĂȘme peur du mot. On y voit des relents d’une physique et d’une mĂ©taphysique pĂ©rimĂ©es. Peut-ĂȘtre mĂȘme craint-on d’y trouver des vestiges menant Ă  Dieu. Il est certain que cette notion est stĂ©rile dans les sciences physiques’. Elle l’est un peu moins dans les sciences naturelles », oĂč elle a inspirĂ© des dĂ©couvertes comme celles de Cuvier, et oĂč elle Ă©claire les phĂ©nomĂšnes que l’on ne cesse de dĂ©couvrir de nos jours en microbiologie. Mais cela n’est pas une raison pour la tourner en ridicule Ă  la maniĂšre de Voltaire, et il est mĂȘme singuliĂšrement piquant de constater que savants et philosophes positivistes tels qu’Auguste Comte, aprĂšs avoir banni le mot de leur vocabulaire, en rĂ©introduisent l’idĂ©e sous le terme de fonction », ainsi que le remarque justement E. Meyerson. De l’explication dans les sciences, p. 50. En rĂ©alitĂ©, quand on comprend bien la finalitĂ© en ses Ă©lĂ©ments essentiels, on est contraint d’admettre qu’elle est une caractĂ©ristique Ă©vidente de la nature. Loin de s’opposer au dĂ©terminisme, elle le suppose, elle en est mĂȘme un aspect, puisqu'elle n’est que la dĂ©termination des ĂȘtres Ă  un effet prĂ©cis, conforme Ă  leur constitution, Ă  leur essence. C’est cette idĂ©e directrice », comme l’appelle Claude Bernard, cette forme », comme s’exprime Aristote, qui est en chaque chose le principe de l’harmonie, de l’unitĂ© et de la beautĂ©. C’est lĂ  une loi universelle, particuliĂšrement Ă©vidente chez les ĂȘtres vivants. Quand un corps ne se dĂ©veloppe pas rĂ©guliĂšrement, il est victime d’un accident, d’un ratĂ© » il n’a pas rĂ©alisĂ© pleinement sa fin, ou atteint son bien. Dans ces conditions nous n’avons aucune raison de faire une exception pour l’homme. Puisqu’il est un ĂȘtre matĂ©riel, vivant et sensible, il est soumis aux mĂȘmes lois que les ĂȘtres matĂ©riels, vivants et sensibles. Et comme de plus il est douĂ© de facultĂ©s spirituelles, il ne parviendra Ă  sa fin que si celles-ci se dĂ©veloppent normalement et rĂ©alisent l’harmonie dans tout son ĂȘtre. Si son corps ne grandit pas comme il faut, nous aurons un nain, et non adulte accompli. Si son intelligence est hĂ©bĂ©tĂ©e, nous aurons un enfant attardĂ©, ou un idiot. Si sa volontĂ© est pervertie, nous aurons un monstre. Cette finalisation de tous les ĂȘtres explique la facilitĂ© et le plaisir s’ils sont sensibles avec lesquels ils agissent ils portent en eux une orientation profonde qui les adapte aux circonstances et les fait concourir Ă  l’harmonie du cosmos. Mais quel est le BUT SUPRÊME de cette universelle finalitĂ© ? Pour S. Thomas c’est Dieu lui-mĂȘme, Bien infini. L'Univers est suspendu pour ainsi dire Ă  l’acte crĂ©ateur et rend hommage aux perfections divines dans la mesure oĂč il y participe. DĂšs qu’un atome a reçu sa forme, il a aussi reçu son maximum de ressemblance avec Dieu, il s’est rapprochĂ© » de Dieu autant qu’il Ă©tait en son pouvoir. Mais les ĂȘtres vivants, destinĂ©s Ă  se perfectionner, se rapprochent davantage des perfections divines. Les ĂȘtres sensibles encore plus, parce que leur bien est supĂ©rieur. Et c’est l’homme enfin qui ramĂšne consciemment le monde entier Ă  Dieu en sa personne, par suite de sa connaissance intellectuelle et de son amour libre. Son intelligence et sa volontĂ© sont ouvertes de telle sorte sur le Bien infini qu’il ne trouve son bonheur dĂ©finitif que dans la connaissance et l’amour de Dieu’* IT. — La finalitĂ© dans l’ordre surnaturel Cette finalisation des ĂȘtres n’est pas restreinte Ă  la seule nature pure elle se retrouve au plan surnaturel. Nous avons lĂ  une des positions les plus fermes du thomisme. On pourrait, en thĂ©orie, concevoir une Ă©lĂ©vation de l’homme Ă  l’état surnaturel qui ne comporterait pas cette finalitĂ© particuliĂšre. Pensons par exemple au fil de cuivre conducteur d’électricitĂ©. MĂȘme quand le courant passe et que l’ampoule brille, le fil n’est nullement modifiĂ© dans sa constitution intime. Il ressemble Ă  un canal de fonte conduisant de l’eau et restant ce qu’il est de la fonte. DĂšs que le courant ne passe plus, le fil n’en garde aucune trace il n’y a en lui aucun principe l’habilitant Ă  participer activement Ă  la production de l’électricitĂ© il est essentiellement passif, mĂȘme sous l’action du courant. C’est ainsi, de fait, que Pierre LOMBARD concevait la prĂ©sence du Saint - Esprit dans l’ñme en Ă©tat de grĂące. Il avait une si haute estime de la vie surnaturelle qu’il ne pouvait la concevoir comme quelque chose de créé dans l’homme. Il la considĂ©rait comme une participation pure et simple Ă  l’amour du Saint-Esprit, laissant notre Ăąme dans son Ă©tat naturel et ne lui confĂ©rant nullement un principe personnel de vie divine. Mais S. Thomas rĂ©fute victorieusement cette opinion du MaĂźtre ». Et on le comprend il s’agit en rĂ©alitĂ© de savoir si l’homme a Ă©tĂ© effectivement rachetĂ© et sanctifiĂ© Ă  fond par le Christ. Si rien n’est changĂ© dans sa nature intime, il a beau ĂȘtre comblĂ© des grĂąces divines, il n’est pas Ă©levĂ© ontologiquement au plan surnaturel. Or la RĂ©vĂ©lation est formelle par la grĂące l’homme est fait fils de Dieu Jo., I, 12, et son activitĂ© est vraiment dĂ©iforme », ainsi que l’enseigne amplement S. Paul Rom., VIIL etc.. On n’est donc parfaitement fidĂšle Ă  la RĂ©vĂ©lation que si l’on admet que la grĂące est en nous une seconde nature, rĂ©ellement nĂŽtre, tout en Ă©tant de l’ordre surnaturel. Evidemment il y a lĂ  un profond mystĂšre. Personne ici- bas ne peut comprendre comment une crĂ©ature bornĂ©e peut ĂȘtre surĂ©levĂ©e en son fonds le plus intime, au point de possĂ©der un principe de vie proprement divine. Mais prĂ©cisĂ©ment c’est en cela que consiste la transcendance de la morale chrĂ©tienne. Pour S. Thomas — et depuis cette Ă©poque l’Eglise a authentiquĂ© ces vues $ — Ja grĂące est une qualitĂ© inhĂ©rente Ă  l’ñme. L'Ăąme sainte se trouve ainsi finalisĂ©e non plus seulement au plan naturel, mais aussi au plan surnaturel. Elle possĂšde une nature supĂ©rieure qui l’habilite Ă  poser des actions divines. Mieux que cela, la grĂące s’épanouĂŻit en elle dans de nouveaux principes vitaux qui sont les vertus de foi, d’espĂ©rance et de charitĂ©. Ces trois vertus thĂ©ologales ne sont pas des participations passives Ă  la connaissance et Ă  l’amour du Saint Esprit ce sont des principes actifs, des rĂ©alitĂ©s inhĂ©rentes Ă  nos facultĂ©s spirituelles et nous permettant de produire personnellement des actes surnaturels sous la mouvance du Saint-Esprit. Cette opinion thomiste a Ă©tĂ© aussi ratifiĂ©e par le Concile de Trente*’. L’Eglise en est restĂ©e lĂ  dans ses prĂ©cisions. Mais le thomisme va plus loin, et sa position accentue encore la finalisation de l’ñme au plan surnaturel. Selon lui nos vertus morales elles-mĂȘmes sont des principes infus rĂ©ellement existants, et nous permettant d’agir moralement comme des fils de Dieu la grĂące rayonne ainsi dans tout notre organisme et dans toutes nos actions. Bien mieux, cette divinisation de notre nature est si Ă©tendue qu’elle inclut mĂȘme le domaine des dons du Saint-Esprit. L’ñme y est pourtant passive par dĂ©finition sous l’action de Dieu. Mais cette passivitĂ© ne l’empĂȘche nullement, selon le thomisme, de possĂ©der d’une maniĂšre stable les dons eux-mĂȘmes, ces touches ». ces antennes spirituelles » infuses qui captent les inspirations du Saint - Esprit, et sont le principe d’une activitĂ© divine jusque dans son mode intuitif et non rationnel. En somme, pour le thomisme, nous avons tout un ORGANISME SURNATUREL INFUS, parfaitement adaptĂ© Ă  notre organisme naturel et portant en lui sa loi une loi de CROISSANCE HARMONIEUSE, comme au plan naturel. Par suite, notre nature humaine est vraiment pĂ©nĂ©trĂ©e Ă  fond par la grĂące et est devenue capable d’ĂȘtre par elle-mĂȘme Ă  l’origine d’actes surnaturels. L’homme est un ĂȘtre entiĂšrement rachetĂ© ; il a Ă©tĂ© pour l’essentiel pleinement restaurĂ© dans l’état de saintetĂ© oĂč il se trouvait avant la chute, et il retrouve au plan surnaturel ces facilitĂ©s et cette joie que nous avons signalĂ©es dans l’ordre naturel. Tel est le rĂŽle proprement ontologique de la finalitĂ© dans la thĂ©ologie morale thomiste. C’est lĂ  son rĂŽle le plus fondamental. Il y en a un autre, important aussi, que nous retrouverons bientĂŽt au plan psychologique dans l’étude des Ă©lĂ©ments de la moralitĂ©*8, Chapitre IX LA BEATITUDE AussitĂŽt aprĂšs avoir montrĂ© le rĂŽle de la finalitĂ© en morale, S. Thomas expose le traitĂ© de la BĂ©atitude. C’est logique la morale chrĂ©tienne a pour fin de nous orienter vers Dieu. Or Dieu est le Bien infini ; il jouit d’un bonheur suprĂȘme. La morale nous conduit donc au bonheur. Par suite, cette notion de la BĂ©atitude est tout aussi fondamentale que celle de fin elle lui est corrĂ©lative. Et l’on s’explique malaisĂ©ment que les moralistes des derniers siĂšcles, et mĂȘme quelques contemporains, aient dĂ©daignĂ© d’en parler et commencent leurs ouvrages par l’analyse des actes humains. En agissant ainsi, S. Thomas, ici encore, faisait la jonction entre la morale chrĂ©tienne et l’éthique aristotĂ©licienne. Mais il y avait lĂ  un travail dĂ©licat qui exigeait un important perfectionnement et mĂȘme un redressement partiel de la philosophie grecque. Nous allons d’abord rappeler l’enseignement de la RĂ©vĂ©lation, puis nous envisagerons la question sous son aspect subjectif, et enfin sous son aspect objectif. I. — L'annonce de la Bonne Nouvelle Quand un thĂ©ologien doit Ă©tudier un point de doctrine, sa premiĂšre dĂ©marche consiste Ă  s’informer du contenu de la Parole de Dieu et Ă  l’accepter dans toute sa plĂ©nitude. Or dans le cas prĂ©sent la question est la suivante Dieu nous encourage-t-il Ă  pratiquer la vertu en vue du bonheur ? La rĂ©ponse n’est pas douteuse Dieu promet le bonheur Ă  ceux qui observent sa Loi. Tel Ă©tait l’enseignement de l’ Ancienne Alliance, et tel est celui du Nouveau Testament. Avant JĂ©sus-Christ, l’accent est souvent mis sur les rĂ©compenses terrestres ; dans l’Evangile ce sont surtout les biens cĂ©lestes qui nous sont promis. 1. — Tout l’ANCIEN TESTAMENT, depuis l’Eden jusqu'aux derniers prophĂštes, est marquĂ© du signe du bonheur. Dieu a créé l’homme et la femme pour leur communiquer sa BĂ©atitude. AprĂšs leur chute il n’a pas abandonnĂ© l’humanitĂ©, mais il a tournĂ© ses regards vers l’avenir, et il lui a promis la RĂ©demption. Durant tous les siĂšcles que dura cette formation du Peuple Ă©lu, il lui exprima Ă  maintes reprises et sous des formes variĂ©es son amour et ses promesses Comme la fiancĂ©e fait la joie du fiancĂ©, ainsi tu seras la joie de ton Dieu Is., LXII, 5. Je te fiancerai Ă  moi pour toujours ; je te fiancerai Ă  moi dans la justice et le jugement, dans la grĂące et la tendresse. » OsĂ©e, II, 18-22. Les prophĂštes emploient volontiers le langage mĂ©taphorique pour dĂ©crire les merveilles de l’ùre messianique Le loup habitera avec l’agneau, la panthĂšre reposera avec le chevreau ; le veau, le lion et le bƓuf gras vivront ensemble. le nourrisson s’ébattra sur le trou de la vipĂšre... » Os., XI, 6-8. D’autres textes s’expriment en termes plus clairs Heureux l’homme qui mĂ©dite sur la sagesse. La joie, une couronne d’allĂ©gresse et un nom Ă©ternel seront son partage » Eccli., XIV, 20 ; xv, 6. Heureux l’homme qui ne marche pas dans le conseil des impies » Ps. L, 1. Et beaucoup affirment nettement que le vrai bonheur est en Dieu En Dieu seul le repos pour mon Ăąme... Ps. LXI, 2. Avec toi, je suis sans dĂ©sir sur la terre Ps. LXXII, 25. Heureux les habitants de ta maison » Ps. LXXXIIL 5, etc. Mais, qu’il s’agisse de la Terre promise, de l’ùre messianique ou des joies paisibles de la contemplation, il est incontestable que l’A. T. est moins une Loi de crainte », comme on dit parfois, qu’un message de bonheur pour le prĂ©sent et pour l’avenir. 2. — Dans le NOUVEAU TESTAMENT, JĂ©sus ne dĂ©daigne pas le bien- ĂȘtre matĂ©riel des hommes il leur assure que la Providence veille sur eux, mĂȘme pour la nourriture et le vĂȘtement Mt., VI, 25-34. Mais surtout il Ă©lĂšve les Ăąmes vers le ciel et leur rappelle souvent que c’est lĂ  que se trouve le vrai bonheur RĂ©jouissez-vous de ce que vos noms sont Ă©crits dans les cieux Luc, x. 20. Je vous reverrai, et Votre cƓur se rĂ©jouira, et nul ne vous ravira votre joie Jo., XVI, 22. Venez, les bĂ©nis de mon PĂšre prenez possession du royaume qui vous a Ă©tĂ© prĂ©parĂ© dĂšs l’origine du monde » Mt., XXV, 34, etc. RĂ©jouissez-vous et soyez dans l’allĂ©gresse, car votre rĂ©compense est grande dans les cieux » Mt. v, 12. A la suite du divin MaĂźtre, les apĂŽtres prĂȘchent la joie Soyez toujours joyeux I Thess., v, 16. RĂ©jouissez-vous sans cesse dans le Seigneur, je le dis encore, rĂ©jouissez-vous Philip, IV, 4. Et le GRAND MOTIF de notre joie est que nous verrons Dieu face Ă  face Maintenant nous voyons dans un miroir, d’une maniĂšre obscure, mais alors nous verrons face Ă  face I Cor., XIII, 12. La promesse que lui-mĂȘme nous a faite, c’est la vie Ă©ternelle I Jo., IT, 25. Nous savons qu’au temps de sa manifestation, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est » ib. III, 2. Ces textes, choisis entre beaucoup d’autres, prouvent que tout l’Evangile baigne dans une atmosphĂšre de joie, dĂšs cette vie, mais surtout dans l’espĂ©rance de la vie future. L’ange de BethlĂ©em l’avait prĂ©dit Ne craignez pas, car je vous annonce une nouvelle qui sera pour tout le peuple une grande joie » Luc, IL, 10. Et c’est un fait d’expĂ©rience que les hommes les plus heureux, dĂšs cette terre, ce sont les saints, prĂ©cisĂ©ment parce qu’ils vivent Ă  fond leur christianisme. Que seront donc les joies du ciel ! Recevons ce Message de Joie tel qu’il nous est proposĂ©. Vivons dans l’allĂ©gresse Ă  la pensĂ©e du bonheur que Dieu nous rĂ©serve au ciel, et dans l’action de grĂąces pour les bienfaits dont il nous comble dĂšs maintenant. Ne soyons ni surpris ni dĂ©daigneux d’un tel Message, sous le fallacieux prĂ©texte qu’une morale plus dĂ©sintĂ©ressĂ©e et plus austĂšre serait plus Ă©levĂ©e. Dieu, bonheur infini, nous a créés pour le bonheur peut-on trouver un plan de la crĂ©ation plus noble et plus beau ? * Mais il faut BIEN COMPRENDRE le genre de bonheur que JĂ©sus nous offre. Ce n’est pas un bonheur mondain c’est tout le contraire, et la morale chrĂ©tienne est extrĂȘmement exigeante. Il suffit de se rappeler la nature des bĂ©atitudes », oĂč ceux-lĂ  sont proclamĂ©s bienheureux » qui vivent dans la pauvretĂ©, la douceur, les larmes, la faim et la soif de la justice, la misĂ©ricorde, la puretĂ©, l’esprit de paix, et les persĂ©cutions. C’est prĂ©cisĂ©ment l’opposĂ© de ce que le monde recherche. Le Christ, sans exiger de tous le renoncement effectif Ă  tous les biens de la terre, en exige au moins le renoncement affectif Que sert Ă  l’homme de gagner l’univers entier s’il perd sa propre vie ? » Mt., XVI, 26. C’est que tous les plaisirs de cette terre, comparĂ©s au bonheur infini du ciel, ne sont que vanitĂ© et nĂ©ant, et il ne faut jamais hĂ©siter Ă  les sacrifier tous plutĂŽt que de perdre son Ă©ternitĂ© Si ton Ɠil droit est pour toi une occasion de pĂ©cher, arrache-le et jette-le loin de toi ; il t’est plus avantageux de perdre un seul de tes membres que de voir tout ton corps jetĂ© dans la gĂ©henne » Mt., v, 29. Bien mieux, le RENONCEMENT INTÉRIEUR A SOI-MÊME ET A SES INTÉRÊTS ÉGOISTES est la condition essentielle du bonheur futur Si quelqu’un veut venir Ă  ma suite, qu’il se renie lui-mĂȘme, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive. Qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui perd sa vie Ă  cause de moi et de l’Evangile la sauvera » Marc, VIII, 34-35. Il est donc clair que la notion de Bonheur a dans l’Evangile un sens trĂšs diffĂ©rent du bonheur Ă©goĂŻste. Au fond comme le dit S. Paul, le chrĂ©tien doit s’efforcer d’accepter les joies et les souffrances de cette vie avec la suprĂȘme indiffĂ©rence de celui qui vit dĂ©jĂ  en espĂ©rance dans les joies de l’autre monde Que ceux qui pleurent vivent comme s’ils ne pleuraient pas ; ceux qui sont dans la joie comme s’ils n’étaient pas dans la joie... Car elle passe, la figure de ce monde » I Cor., VII, 30-31. Et ces joies futures elles-mĂȘmes ne doivent pas ĂȘtre recherchĂ©es par calcul, mais par amour II Cor., v, 6-8, etc.. * IT. — Bonheur chrĂ©tien et eudĂ©monisme grec Ceci Ă©tant admis, on devine combien l’insertion de l’eudĂ©monisme grec dans la morale chrĂ©tienne Ă©tait une AFFAIRE DÉLICATE. A un certain point de vue, la morale du bonheur telle qu’Aristote la conçoit est trĂšs Ă©loignĂ©e du christianisme elle est un vrai mandarinat ». comme disait le P. Sertillanges ; elle consiste Ă  jouir de tous les plaisirs humains dans la mesure oĂč ils favorisent l’amitiĂ© et la vie intellectuelle, mais elle n’a aucune place pour la mortification proprement dite. Toutefois elle contient des ÉLÉMENTS INTÉRESSANTS, susceptibles de s’harmoniser avec le christianisme, moyennant les prĂ©cisions qui s’imposent. Ainsi il reste vrai, aussi bien en christianisme qu’en morale philosophique, que la tendance au bonheur est une tendance naturelle. Il serait donc vain et dangereux de vouloir l’étouffer. Mise par le crĂ©ateur Ă  l’intime de l’homme, elle l’oriente vers son Ă©panouissement normal. Il est vrai aussi qu’il convient de hiĂ©rarchiser les diverses activitĂ©s de l’homme, en subordonnant les facultĂ©s sensibles aux facultĂ©s spirituelles Chacune de nos opĂ©rations garde bien son caractĂšre spĂ©cifique, mais elle doit ĂȘtre orientĂ©e vers notre opĂ©ration principale, capable de la mesurer et de la finaliser. Tout l’effort du philosophe moraliste, dans cette dĂ©finition du bonheur, est de dĂ©terminer avec exactitude la nature de cette opĂ©ration principale, de ce sommet, qui, dans l’ordre de l’opĂ©ration, est le reflet vivant de l’unitĂ© substantielle de la nature, permettant de hiĂ©rarchiser toute la multiplicitĂ© de nos activitĂ©s et d’en Ă©valuer l’authenticitĂ© humaine »?°?. PrĂ©cisĂ©ment nous trouvons encore dans Aristote une rĂ©ponse prĂ©cieuse Ă  cette question La philosophie a su distinguer le principe essentiel du bonheur l’activitĂ© parfaite selon l'intelligence, ce qui lui a permis de subordonner Ă  ce principe toutes les autres perfections humaines, en montrant leurs diverses connexions » ib.. Cette activitĂ© n’est autre que celle de la contemplation Le degrĂ© de bonheur se mesure par celui de la contemplation. Ceux qui contemplent le plus ont aussi le plus de bonheur, non par accident, mais par l’effet de la contemplation mĂȘme, car elle a sa valeur en elle-mĂȘme ; et je me rĂ©sume en disant que le bonheur peut ĂȘtre regardĂ© comme une sorte de contemplation » %° * Ces principes paraissent vraiment solides, et on comprend que S. Thomas les ait adoptĂ©s. Mais, la RĂ©vĂ©lation chrĂ©tienne est tellement transcendante, qu’elle ne peut tolĂ©rer une application imparfaite de principes si excellents qu’ils soient. Et prĂ©cisĂ©ment tout n’était pas parfait dans la maniĂšre dont Aristote les utilisait Ainsi la tendance au bonheur subjectif se prĂ©sente trop chez lui comme un absolu Le bien complet, dit-il, est celui-lĂ  que nous choisissons toujours pour lui-mĂȘme et jamais pour un autre. Et tel apparaĂźt ĂȘtre par-dessus tout le bonheur. Le bonheur, en effet, nous le choisissons toujours pour lui-mĂȘme, et jamais pour autre chose, tandis que l’honneur, le plaisir, l’intellect et toute sorte de perfection, nous les choisissons sans doute aussi pour eux-mĂȘmes car n’en rĂ©sulterait-il aucun avantage, nous choisirions encore chacun de ces biens, mais, de plus, nous les choisissons en vue du bonheur. Par eux, en effet, nous espĂ©rons acquĂ©rir le bonheur. Quant au bonheur, personne ne le choisit en vue de ces biens, ni gĂ©nĂ©ralement en vue de quelque autre que ce soit »°f. De telles expressions se comprennent dans une morale anthropocentrique, mais elles jurent dans un climat chrĂ©tien oĂč la morale, loin d’ĂȘtre bornĂ©e aux horizons humains, dĂ©bouche sur l'infini, sur Dieu mĂȘme. Il est inadmissible de considĂ©rer Dieu comme un moyen d’obtenir le bonheur. L’ñme, mise en prĂ©sence de Lui, ne peut mieux faire que de l’aimer pour lui-mĂȘme, parce qu’il est infiniment aimable, mĂȘme si elle ne devait pas retirer de cet amour tout le profit qu’elle en espĂšre. De plus, l’édifice harmonieux envisagĂ© par Aristote dans la description du Sage est passablement modifiĂ© en thomisme. Ici, l’accent est mis d’une façon vigoureuse sur les vertus spirituelles et surnaturelles, tandis que le bien-ĂȘtre corporel n’a qu’une place secondaire. En aristotĂ©lisme on ne peut ĂȘtre heureux si on ne jouit pas des commoditĂ©s de la vie en christianisme on peut ĂȘtre relativement heureux au milieu de la souffrance, parce que la souffrance n’empĂȘche pas de possĂ©der Dieu, de l’aimer et d’espĂ©rer en lui. Chez Aristote, l’épanouissement des vertus est autant une oeuvre d’art qu’une Ɠuvre de moralitĂ© Si sa morale n’est pas purement esthĂ©tique, elle est surtout cela »%?. En thomisme, cet aspect esthĂ©tique n’est jamais recherchĂ© pour lui-mĂȘme. On l’y rencontre Ă  coup sĂ»r rien n’est plus beau qu’une Ăąme sainte. Mais cette beautĂ© surnaturelle est parfaitement compatible ici-bas avec des infirmitĂ©s physiques et des dĂ©fauts involontaires, et de plus elle n’a sa place en morale qu’en tant qu’elle est un aspect du bien. Enfin le but suprĂȘme de la morale d’Aristote LA CONTEMPLATION, est lui-mĂȘme fortement modifiĂ© en S. Thomas. Certes, S. Thomas ne rejette pas cette donnĂ©e des philosophes grecs. Mais il la perfectionne remarquablement. D’abord il donne Dieu mĂȘme Ă  l’esprit pour objet de contemplation. Aristote avait bien entrevu cette Ă©ventualitĂ©, mais il ne s’y Ă©tait pas arrĂȘtĂ©, pour la raison fort simple qu’à son avis il est impossible d’atteindre Dieu et de l’aimer Dieu, par le fait qu’il est acte pur, est une pensĂ©e close il ignore la nature ; il ignore l’homme lui-mĂȘme... Il est donc inutile. de lui adresser des priĂšres. il ne voit pas, il n’entend pas »°%. Si bien que, sur ce point prĂ©cis, on devrait dire que S. Thomas est plus platonicien qu’aristotĂ©licien, — s’il n’était pas tout simplement chrĂ©tien. C’est le cas de dire que le christianisme a comblĂ© les vƓux des plus grandes Ăąmes de l’antiquitĂ©, et leur a offert ce qu’elles n’auraient jamais osĂ© espĂ©rer Le christianisme avec tout son surnaturalisme de la foi et de la grĂące, venant accomplir les vƓux de l’hellĂ©nisme qui l’ignorait et qui osait Ă  peine l’espĂ©rer, voilĂ  quelle philosophie de l’histoire nous apporte la morale de S. Thomas d’Aquin »*. Mais de plus, la contemplation chrĂ©tienne ne rend pas du tout le mĂȘme son que l’égoĂŻste contemplation aristotĂ©licienne. Elle est l’Ɠuvre du don de sagesse, tout pĂ©nĂ©trĂ© de charitĂ©, et non l’acte de la seule intelligence. Et mĂȘme il peut se faire que cet idĂ©al thĂ©orique soit irrĂ©alisable ici-bas, temporairement ou habituellement, surtout quand la charitĂ© chrĂ©tienne exige l’action au service du prochain JĂ©sus n’a pas prĂ©cisĂ©ment promis le paradis aux contemplatifs, mais aux Ăąmes charitables Mt., XXV 31-46. Ainsi donc les perspectives infinies de la RĂ©vĂ©lation chrĂ©tienne entraĂźnent S. Thomas Ă  modifier profondĂ©ment l’eudĂ©monisme grec, tel qu’Aristote le prĂ©sentait. Non pas que l’humanisme thomiste soit moins riche, du fait de la mortification imposĂ©e aux passions par l’Evangile en rĂ©alitĂ© cette mortification spirituelle et corporelle, quand elle est bien comprise, ne nuit pas au vrai bonheur de l’homme redisons que nul n’est plus heureux que les saints ici-bas. MaĂŻs surtout il faut se rappeler que les jouissances sensibles les plus exquises auxquelles le chrĂ©tien renonce, quand il le faut, durant cette vie mortelle art, amitiĂ©, vie communautaire, etc. se retrouveront au ciel Ă  la rĂ©surrection, beaucoup plus pures, plus vives et plus profondes qu’on ne saurait l’imaginer. Le christianisme ne mutile pas l’homme il l’épanouit au maximum durant cette vie, et il lui promet un surcroĂźt de bonheur infini dans l’autre monde. III. — Fondement ontologique de la bĂ©atitude Ce que nous venons de dire indique Ă  quel point la recherche du bonheur, chez le chrĂ©tien, doit ĂȘtre purifiĂ©e de tout Ă©goĂŻsme dĂ©rĂ©glĂ©. Les critiques adressĂ©es Ă  la morale chrĂ©tienne par les philosophes de formation kantienne portent donc Ă  faux elles valent peut-ĂȘtre contre l’eudĂ©monisme grec, mais non contre le christianisme bien compris. Cette exigence de puretĂ© est encore renforcĂ©e en thomisme par la maniĂšre mĂ©taphysique et ontologique dont S. Thomas conçoit la bĂ©atitude. Certes, Aristote n’avait pas ignorĂ© cet aspect de la question il ne fait pas du bonheur une jouissance exclusivement subjective il le considĂšre aussi objectivement, comme le rĂ©sultat d’une activitĂ© conforme aux tendances naturelles. Seulement il n’a jamais clairement dĂ©terminĂ© la nature des rapports entre le plaisir subjectif et l’acte vertueux lequel des deux est premier le plaisir ou l’acte bon ? Faut-il agir pour le plaisir ou pour le bien ? Il se pose la question dans la Morale Ă  Nicomaque Quant Ă  la question de savoir si l’on aime la vie pour le plaisir ou le plaisir pour la vie, nous la laisserons pour le moment de cĂŽtĂ©. Ces deux choses nous paraissent tellement liĂ©es qu’il n’est pas possible de les sĂ©parer ; car sans acte, pas de plaisir ; et le plaisir est toujours nĂ©cessaire pour complĂ©ter l’acte »°7. Mais il ne rĂ©sout pas le problĂšme. Tout au plus peut-on ailleurs trouver quelques textes favorables Ă  la supĂ©rioritĂ© du bien sur le plaisir, par exemple au Ch. IT, 8 17, mais ce n’est que par allusion. Aussi on s’explique que les commentateurs modernes aient discutĂ© sur sa pensĂ©e profonde. S. Thomas souligne cette lacune et tranche la question c’est le bien qui est premier ; le plaisir n’est que la consĂ©quence. Et cette position rĂ©sulte de la maniĂšre fonciĂšrement ontologique dont il comprend la bĂ©atitude. Quand il Ă©tudie longuement en quoi consiste le bonheur, quelle est sa nature, quelles sont ses exigences et les moyens de l’obtenir il se place Ă  un point de vue principalement mĂ©taphysique. On risque de l’oublier, car, selon la remarque des Carmes de Salamanque », qui rejoint celle d’Aristote, il est bien difficile de dissocier dans cette question le point de vue psychologique et le point de vue ontologique. Mais les expressions de S. Thomas et l’ensemble de sa morale ne laissent subsister aucun doute. On peut dire au sujet de ce problĂšme ce que M. le chanoine Leclercq dit de la morale thomiste en gĂ©nĂ©ral Cette position de la philosophie de S. Thomas se heurte Ă  une tendance contraire trĂšs rĂ©pandue et qu’on retrouve aussi bien dans la littĂ©rature courante, dans les apprĂ©ciations de la masse, que chez les philosophes, les thĂ©ologiens et les moralistes mĂȘmes. Pour lui donner un nom, qualifions cette tendance de moralisme ». Elle consiste Ă  faire du moral une rĂ©alitĂ© distincte de l’ontologique. Ontologique veut simplement dire ce qui est ». SĂ©parer la morale de l’ontologique, c’est la sĂ©parer de ce qui est, par consĂ©quent, du rĂ©el. Cette tendance qui se manifeste de façon plus ou moins radicale selon les Ă©coles et les hommes, conduit Ă  faire de la morale une convention et, finalement, Ă  la nier »°°. Or dans le cas prĂ©sent, comme dans toute sa morale, S. Thomas est vigoureusement opposĂ© Ă  ce moralisme » coupĂ© du rĂ©el. Dans l’analyse des conditions du bonheur, il Ă©tudie la valeur objective des biens auxquels l’homme aspire. Il passe en revue successivement les richesses, les honneurs, la renommĂ©e, la puissance, les biens corporels, le plaisir sensible, les biens spirituels, les biens créés en gĂ©nĂ©ral, et il dĂ©montre qu’aucun de ces biens n’est apte en soi Ă  satisfaire les aspirations de l’homme au bonheur“. Dieu seul peut les satisfaire, et Ă  l’infini. Donc Dieu seul est le bonheur absolu de l’homme. C’est prĂ©cisĂ©ment cette conception mĂ©taphysique de la bĂ©atitude qui permet Ă  S. Thomas de rĂ©soudre l’antagonisme soulignĂ© plus haut entre l’eudĂ©monisme grec, centrĂ© sur l’homme, et la charitĂ© chrĂ©tienne, centrĂ©e sur Dieu. La charitĂ© chrĂ©tienne nous fait aimer Dieu pour lui-mĂȘme et sans retour Ă©goĂŻste sur nous, c’est entendu. Mais il n’est pas possible que l’amour et la possession du Bien infini nous laissent dans notre Ă©tat misĂ©rable et malheureux la possession de Dieu entraĂźne nĂ©cessairement le bonheur parfait. Ceci est dans l’ordre des choses, et on peut affirmer que la charitĂ© la plus dĂ©sintĂ©ressĂ©e entraĂźne le bonheur le plus profond. Ainsi EUDÉMONISME ET CHARITÉ NE S'OPPOSENT PLUS ils sont les deux aspects complĂ©mentaires d’une mĂȘme rĂ©alitĂ©, et l’on comprend que S. Thomas n’ait nullement Ă©tĂ© infidĂšle Ă  la RĂ©vĂ©lation en faisant de la BĂ©atitude la base de sa thĂ©ologie. Il l’aurait Ă©tĂ© s’il avait envisagĂ© la BĂ©atitude d’une maniĂšre anthropocentrique et Ă©goĂŻste. Il ne l’est pas en l’envisageant avant tout d’une façon objective et ontologique“!. Ici encore on peut admirer Ă  quel point la RĂ©vĂ©lation chrĂ©tienne vient combler les lacunes de la philosophie. Le problĂšme du bonheur de l’homme mettait Ă  chaque instant Aristote en face de questions insolubles comment la vertu n’était-elle pas mieux rĂ©compensĂ©e ? Comment les biens naturels, qui auraient dĂ» thĂ©oriquement satisfaire les aspirations de l’homme, le laissaient-ils inassouvi ? GrĂące Ă  la RĂ©vĂ©lation, S. Thomas possĂšde la clef de l’énigme durant cette vie, le bonheur est relatif ; au ciel seulement il est absolu. Qu’il s’agisse de la connaissance intellectuelle, de la rectitude de la volontĂ©, de l’activitĂ© corporelle, de la perfection des sens, des biens extĂ©rieurs, de la sociĂ©tĂ© des amis, il montre que tous ces Ă©lĂ©ments constitutifs du bonheur ne trouveront leur plein achĂšvement que dans le monde futur*?. Et Ă  la Question suivante q. 5, qui clĂŽt sa grande enquĂȘte, il insiste encore davantage sur l’impuissance radicale de l’homme Ă  atteindre le bonheur absolu par ses propres forces naturelles. Sans doute, par nature, l’homme est ouvert sur l’infini, puisqu'il est douĂ© d’intelligence. Mais cette orientation serait incapable de lui faire atteindre Dieu, si Dieu lui-mĂȘme ne venait combler gratuitement les aspirations de sa nature Conclusion Comme conclusion de cette leçon et de la prĂ©cĂ©dente — car elles sont Ă©videmment insĂ©parables — nous pouvons dĂšs maintenant prĂ©ciser ce qu’on appelle en termes philosophiques le FONDEMENT DE LA MORALE. Ce fondement n’est autre que la nature humaine bien comprise Le fondement de la morale, c’est la nature humaine mĂȘme. Le bien moral, c’est tout objet, toute opĂ©ration qui permette Ă  l’homme d'accomplir les virtualitĂ©s de sa nature et de s’actualiser selon la norme de son essence, qui est celle d’un ĂȘtre douĂ© de raison »“. Or ces principes valent aussi en thĂ©ologie le fondement thĂ©ologique de la morale thomiste n’est autre que la nature humaine surnaturalisĂ©e. Le chrĂ©tien n’a d’autre devoir fondamental que d’épanouir toutes ses virtualitĂ©s thĂ©ologales et morales et. sous leur mouvance, ses virtualitĂ©s physiques et spirituelles, pour tendre Ă  la perfection et aboutir Ă  un Ă©quilibre harmonieux. En suivant cette loi il honore Dieu, il atteint le Bien objectif et infini, et il trouve le bonheur parfait. Chapitre X LES ELEMENTS DE LA MORALITE Nous avons vu que le fondement de la moralitĂ© Ă©tait la nature humaine bien comprise. On peut dire Ă©quivalemment que ce fondement est la BĂ©atitude, entendue au sens ontologique plutĂŽt que psychologique, et au sens chrĂ©tien plutĂŽt qu’au sens aristotĂ©licien. De telle sorte que si l’on demande Ă  un chrĂ©tien quel est son grand principe d’action morale, il peut rĂ©pondre d’un mot J’agis de maniĂšre Ă  mĂ©riter le ciel. Je me mortifie pour aller au ciel ; je pratique la charitĂ© parce que je veux possĂ©der Dieu au ciel pour l’éternitĂ©. » DĂšs lĂ  qu’on a le regard fixĂ© vers la BĂ©atitude Ă©ternelle et qu’on agit en consĂ©quence, on agit moralement, on suit les tendances les plus profondes et les plus droites de la nature humaine, et on dĂ©veloppe les virtualitĂ©s infuses en nous par la grĂące du baptĂȘme. À la rigueur on pourrait concevoir une Ăąme tellement Ă©prise d’amour de Dieu, tellement hantĂ©e par le bonheur de la vie future, tellement docile Ă  l’action du Saint-Esprit en elle, que ce grand principe suffirait habituellement dans sa conduite morale, surtout si sa vie extĂ©rieure n’était pas compliquĂ©e, comme cela peut arriver chez une religieuse cloĂźtrĂ©e, ou chez une personne de condition trĂšs simple et d’esprit trĂšs droit. Mais ordinairement la vie morale est plus complexe, soit parce que nous nous trouvons devant des cas de conscience effectivement embrouillĂ©s, soit parce que nos passions nous travaillent, nous aveuglent et nous empĂȘchent de voir en pleine lumiĂšre le phare du ciel qui nous indique le chemin de la vertu. En termes philosophiques, disons que nous n’avons pas seulement Ă  rechercher une fois pour toutes le Bien absolu, mais que nous devons Ă  chaque instant choisir entre des biens relatifs, qui participent plus ou moins parfaitement au Bien suprĂȘme, et nous orientent diversement vers lui. Parfois mĂȘme nous avons Ă  choisir entre le bien et le mal, et nous hĂ©sitons. Comment voir clair dans ces difficultĂ©s ? Pratiquement le chrĂ©tien aura le plus souvent recours aux prĂ©ceptes du Christ et des ApĂŽtres et aux directives de l’Eglise. Mais parfois cela ne lui suffira pas il se trouvera en face d’un cas non prĂ©vu, et il devra improviser lui mĂȘme une solution. Et puis, il est bon de connaĂźtre les principes de la moralitĂ© dans toute leur gĂ©nĂ©ralitĂ©, avant de les appliquer en pratique. Quels sont donc ces principes, qui constituent ce qu’on appelle les Ă©lĂ©ments de la moralitĂ© ? C’est ici que S. Thomas nous propose une solution claire et rĂ©aliste. Quoique l’ordre moral transcende l’ordre physique, il n’hĂ©site pas Ă  dĂ©composer l’ordre moral selon un schĂšme empruntĂ© Ă  la mĂ©taphysique de la nature. Les philosophes idĂ©alistes sont scandalisĂ©s de ce procĂ©dĂ©, parce qu’ayant coupĂ© les valeurs » le vrai, le beau, le bien... de leurs racines ontologiques, ils en font une crĂ©ation de l’esprit. Mais quand on attribue aux valeurs un fondement rĂ©el, on comprend qu’il n’y ait pas un abĂźme infranchissable entre elles et les Ă©lĂ©ments constitutifs des choses. Et la solution thomiste apparaĂźt aussi solide en mĂ©taphysique que conforme au sens commun — Ă  condition, bien entendu, de prendre dans un sens analogique les notions proposĂ©es. Cette solution n’est autre qu’une application de la THÉORIE HYLÉMORPHIQUE et des CATÉGORIES d’Aristote. I. — MatiĂšre et forme en morale On sait ce que signifie l’hylĂ©morphisme c’est la thĂ©orie aristotĂ©licienne expliquant la constitution des choses par deux principes distincts, LA MATIÈRE ET LA FORME. Prenons par exemple une statue, soit le MoĂŻse de Michel-Ange. On pourrait reproduire ce chef-d’Ɠuvre en tous les matĂ©riaux possibles, depuis le plĂątre jusqu’à l’or. Dans tous ces cas, seule la matiĂšre change la forme, ou idĂ©e de l’artiste, reste identique. Par contre, avec le mĂȘme matĂ©riau, on peut reprĂ©senter des statues trĂšs diverses. Par consĂ©quent une statue s’explique par deux principes essentiellement distincts, l’un matĂ©riel, l’autre immatĂ©riel. Le principe immatĂ©riel n’est autre que l’idĂ©e qui se trouvait Ă  l’état pur dans l’esprit du sculpteur, et qui a Ă©tĂ© concrĂ©tisĂ©e dans la matiĂšre. C’est ce qu’Aristote, approfondissant le sens commun, appelle la forme. Il s’agit ici de la forme accidentelle », qui rĂ©sulte de l’art crĂ©ateur de l’homme“. Mais l’explication vaut pour les formes substantielles », qui distinguent les corps les uns des autres. AĂŻnsi le fer et le cuivre se distinguent mĂ©taphysiquement, non point par la matiĂšre », principe purement passif et identique partout, mais par la forme, qui spĂ©cifie la matiĂšre, Comme le dit le P. de TonquĂ©dec, la forme substantielle est un rassembleur de la matiĂšre, une Ă©nergie unificatrice, un principe de cohĂ©sion prĂ©sent Ă  toutes les parties, qui s’insinue en elles et les tient par le dedans, leur communiquant sa propre unitĂ© » La philosophie de la nature, II, p. 71. C’est Ă  partir de ces donnĂ©es, transposĂ©es analogiquement dans le domaine de la moralitĂ©, que S. Thomas explique en partie la structure de l’ĂȘtre moral. En celui-ci aussi il distingue deux Ă©lĂ©ments essentiellement distincts la matiĂšre et la forme. La matiĂšre, c’est l’action considĂ©rĂ©e dans sa rĂ©alitĂ© purement humaine, physiologique ou psychologique, sans aucune dĂ©termination par exemple travailler, manger, marcher, dormir, etc. La forme, c’est tout ce qui est capable de transformer » radicalement la valeur du mĂȘme acte matĂ©riel. Et ici les choses se compliquent. En effet, il n’y a pas moins de trois principes susceptibles de spĂ©cifier une action l’objet, la fin ou intention, et les circonstances. IT. — La moralitĂ© de l’objet À considĂ©rer les actes moraux d’une maniĂšre quasi naturaliste, nous devons dire que le premier Ă©lĂ©ment qui confĂšre Ă  l’action humaine une moralitĂ© fondamentale et essentielle, c’est son objet. Supposons que vous surpreniez un enfant en train de lire un imprimĂ© en cachette. La lecture est un acte intellectuel qu’on peut assimiler, dans son indĂ©termination, Ă  la matiĂšre » dont nous venons de parler. Or la premiĂšre chose qui vous intĂ©resse, dans le cas prĂ©sent, c’est bien de savoir quel est l’objet de cette lecture. C’est cela surtout qui vous permettra de porter un jugement de moralitĂ©. Est-ce que l’enfant lit un roman policier inoffensif, ou un magazine suspect, ou une page d’Evangile ? Il peut se faire que la seule rĂ©ponse Ă  cette question tranquillise complĂštement votre conscience. S. Thomas explique mĂ©taphysiquement ce principe en recourant aux notions de mouvement et de forme. L'action morale est une sorte de mouvement, soit immanent tel que penser, vouloir, aimer soit transitif balayer, labourer. Or tout mouvement est spĂ©cifiĂ© » par son terme je ne connais la nature d’un mouvement que quand je sais oĂč il conduit. Le terme est donc, dans le mouvement, analogue Ă  ce qu’est la forme dans un corps matĂ©riel. Par suite, en morale aussi, l’objet de l’action, ou terme de l’activitĂ©, joue le rĂŽle de forme et spĂ©cifie en tout premier lieu un acte“. Parfois cet objet suffit Ă  qualifier essentiellement la moralitĂ© d’un acte par exemple dans le cas du blasphĂšme, de la haine, essentiellement mauvais. Il faut croire que cet Ă©lĂ©ment est vraiment primordial, si l’on se rappelle la place qu’il tient DANS LA VIE MORALE DES ENFANTS ET DES PRIMITIFS. Les psychologues ont remarquĂ© que les enfants commencent habituellement par juger la moralitĂ© des actes au seul point de vue de l’objet, indĂ©pendamment de l’intention. Par exemple, si on leur demande quel est le plus coupable, d’un garçon qui fait une petite tache d’encre en jouant indĂ»ment avec l’encrier de son papa, et d’un autre qui fait une grosse tache en voulant le remplir par gentillesse, ils accusent plutĂŽt celui qui a fait la grosse tache < L’état d’esprit des primitifs est bien connu pour ressembler Ă  celui des enfants. Nous en avons des preuves jusque dans la Bible, oĂč nous voyons que certains textes lĂ©gislatifs trĂšs anciens par exemple dans le LĂ©vitique et certains rĂ©cits archaĂŻques par ex. Nombres, c. 22, Ćž. 34 font Ă©tat d’une morale oĂč la faute est apprĂ©ciĂ©e indĂ©pendamment de l’intention. Si encore les adultes civilisĂ©s Ă©taient exempts de cette erreur ! Mais ce n’est pas toujours le cas. Piaget attribue mĂȘme en partie la mentalitĂ© des enfants Ă  la mauvaise Ă©ducation qu’ils reçoivent de leurs parents D’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale l’adulte sĂ©vit contre les maladresses. Dans la mesure oĂč les parents ne savent pas comprendre les situations et se laissent aller a leur mauvaise humeur en fonction de la matĂ©rialitĂ© de l’acte, l’enfant commence par adopter cette maniĂšre de voir et applique Ă  la lettre les rĂšgles mĂȘme implicites ainsi imposĂ©es »“?. Dans tous ces cas il y a une exagĂ©ration ou une dĂ©viation d’une vĂ©ritĂ© par ailleurs incontestable LA MORALITÉ FONDAMENTALE ET ESSENTIELLE D’UNE ACTION DÉPEND EN PREMIER LIEU DE SON OBJET. II. — MoralitĂ© de la fin Mais si importante que soit la moralitĂ© de l’objet, elle l’est moins que celle de l’intention, ou fin Ă©loignĂ©e. Il est certain, en effet, que le mĂȘme acte matĂ©riel peut revĂȘtir des moralitĂ©s diffĂ©rentes selon le motif qui l’inspire. Ainsi un enfant peut lire un livre excellent dans le seul but de satisfaire sa curiositĂ©, ou pour Ă©viter une punition, ou pour plaire Ă  Dieu, etc. Autant de fins diverses qui entraĂźnent des modalitĂ©s variĂ©es Ă©quivalant Ă  autant d’actes essentiellement distincts. Car ce qui compte avant tout chez un homme, c’est la puretĂ©, la noblesse et la ferveur de ses intentions. Il faut donc dire que l’intention, ou fin, spĂ©cifie encore plus formellement une action que son objet°?. Les lĂ©gislateurs ne s’inquiĂštent guĂšre de cet aspect de la morale pourvu que les citoyens obĂ©issent aux lois et paient leurs impĂŽts, fĂ»t-ce Ă  contre- cƓur, ils sont contents. Mais Dieu n’est pas satisfait d’une obĂ©issance servile il n’est honorĂ© que par des sentiments filiaux de respect et d’amour. Aussi dĂšs les origines de la RĂ©vĂ©lation, nous constatons un effort vigoureux de MoĂŻse et de ses successeurs pour purifier le plus possible l’attitude formaliste du peuple hĂ©breu. Et cet effort ira en s’accentuant tout au long de l’Ancien Testament pour trouver son point culminant dans le Message Ă©vangĂ©lique. Certains philosophes exagĂ©reront mĂȘme cet aspect au point de faire consister totalement la moralitĂ© dans l’intention. C’est l’intentionnalisme ». Kant n’est pas Ă©tranger Ă  ce mouvement, non point qu’il mĂ©prise l’objet de l’acte, mais il ne lui attribue de valeur morale que dans la mesure oĂč il est rĂ©alisĂ© par pur respect de la loi. Il y a du vrai dans cette attitude, mais elle est excessive. S. Thomas, lui, tient compte de tous les Ă©lĂ©ments. Partant de l’équivalence rĂ©elle entre l’ĂȘtre et le bien, il rĂ©pĂšte qu’une action est bonne dans la mesure oĂč elle a de l’ĂȘtre. Il y a lĂ  un principe trĂšs gĂ©nĂ©ral d’une portĂ©e universelle qui permet de dĂ©montrer Ă  l’évidence qu’un acte privĂ© d’un de ses Ă©lĂ©ments essentiels, tel que l’objet, ou mĂȘme accidentels, ainsi que nous allons le voir, ne peut prĂ©tendre au mĂȘme degrĂ© de valeur que celui qui est Ă  la fois correctement voulu et parfaitement exĂ©cutĂ©. Quant Ă  ceux qui insistent tellement sur la fin qu’ils affirment qu’elle suffit Ă  tout, mĂȘme Ă  justifier les moyens, le simple bon sens permet de les rĂ©futer facilement. Cette thĂ©orie est la source des injustices les plus flagrantes. Une intention excellente peut bien augmenter considĂ©rablement la valeur morale d’un acte bon et suffire Ă  spĂ©cifier un acte indiffĂ©rent, et on n’insistera jamais assez sur cette doctrine si rĂ©confortante. Mais jamais une bonne intention ne rectifiera un acte essentiellement mauvais. IV. — La moralitĂ© des circonstances S. Thomas pousse encore plus loin cette assimilation analogique entre l’ordre moral et l’ordre physique. Les objets matĂ©riels ne s’expliquent pas seulement par leur matiĂšre et leur forme. Ils s’expliquent aussi par leur lieu. leur maniĂšre d’ĂȘtre, leur durĂ©e, etc. ce sont les neuf prĂ©dicaments qu’ Aristote Ă©numĂšre en plus de la substance. Or les actes moraux sont aussi qualifiĂ©s et parfois spĂ©cifiĂ©s par des circonstances analogues. Soit par exemple le fait de donner quelque chose Ă  quelqu'un. Pour apprĂ©cier exactement la valeur morale de ce geste, il ne suffit pas de savoir que c’est un don, ni mĂȘme dans quelle intention il a Ă©tĂ© fait il est utile de connaĂźtre aussi la quantitĂ© de la somme donnĂ©e, la qualitĂ© du donateur, la maniĂšre dont le geste est exĂ©cutĂ©, peut-ĂȘtre mĂȘme le lieu, la date, etc. de cette action. C’est ainsi que JĂ©sus loue l’obole de la pauvre veuve au trĂ©sor du Temple L. XXI, 1-4 les deux piĂ©cettes de celle-ci ont plus de valeur que la grosse offrande du riche. En gĂ©nĂ©ral la moralitĂ© des circonstances est moins fondamentale que celle de l’objet et de la fin, mais elle n’est pas nĂ©gligeable, et elle suffit parfois Ă  transformer la valeur d’un acte, Ă  changer son espĂšce ». Ainsi une circonstance de lieu ou de personne peut ajouter Ă  un pĂ©chĂ© de vol ou de luxure un nouveau pĂ©chĂ© de sacrilĂšge. Il faut avouer que cette multiplicitĂ© de points de vue ne simplifie pas le travail du thĂ©ologien. En philosophie kantienne, oĂč c’est surtout l’intention qui compte, les choses sont plus claires. Oui, mais reste Ă  savoir si cette clartĂ© rĂ©flĂšte bien la rĂ©alitĂ©... LE RÉEL N’EST PAS SIMPLE, ni dans les choses physiques ni dans le domaine moral. Si nous voulons ĂȘtre dans l’objectivitĂ© et la vĂ©ritĂ© nous devons nous incliner devant la complexitĂ© du rĂ©el. D’ailleurs rappelons ce que nous disions en commençant la spontanĂ©itĂ© de la vie se charge habituellement de faciliter cette apprĂ©ciation morale, si compliquĂ©e Ă  l’analyse du philosophe*!. V. — ConsĂ©quences de ces principes Ces fondements de la morale se rĂ©vĂšlent d’une grande importance et d’une grande richesse de consĂ©quences. DĂšs maintenant nous pouvons constater combien la morale thomiste est structurĂ©e », fondĂ©e sur une armature mĂ©taphysique, qui lui donne une force incomparable. On a parlĂ© ces derniĂšres annĂ©es de la morale de situation », conception d’aprĂšs laquelle il n’y a pas de principes gĂ©nĂ©raux en morale, mais seulement des solutions particuliĂšres relevant de l’apprĂ©ciation subjective de chacun. Il est clair que cette position est Ă  la fois fausse, dangereuse et paresseuse. Notre jugement moral doit se conformer Ă  des exigences objectives et se soumettre Ă  des normes universelles nous y reviendrons. Remarquons aussi que ces principes fondamentaux sont aussi valables au plan philosophique qu’au plan strictement religieux. Nous avons lĂ  une illustration de cette admirable union de la foi et de la raison, que nous avons dĂ©jĂ  signalĂ©e en S. Thomas, et que nous retrouverons plus loin. Que l’on se place au point de vue naturel ou au point de vue surnaturel, ce sont bien les mĂȘmes principes qu’il faut appliquer. La morale Ă©vangĂ©lique ne se contente pas de rĂȘveries ni de belles intentions elle est rĂ©aliste, elle exige des Ɠuvres la charitĂ©, le dĂ©vouement, le renoncement, le support des souffrances, etc. Et elle tient compte de la quantitĂ© de ces Ɠuvres, comme le prouve la parabole des talents Mt., xxv, 14-30. Mais elle estime encore plus la puretĂ© de l’intention, comme le dit si formellement le Seigneur parlant de ceux qui font l’aumĂŽĂ»ne par orgueil ou qui prient et jeĂ»nent avec ostentation Mt., VI, 1-6, 16-18. On ne peut donc qu’admirer un tel ÉQUILIBRE, privilĂšge de la religion chrĂ©tienne et des thĂ©ologies catholiques, surtout du thomisme. Et il est Ă  souhaiter que les fidĂšles en soient un peu plus informĂ©s. Beaucoup d’entre eux ont une conception primitive et infantile du pĂ©chĂ© ; ils ne retiennent que son aspect ma tĂ©riel. Ainsi ils s’accusent d’avoir manquĂ© la messe le dimanche sans mĂȘme prĂ©ciser qu’un obstacle plus ou moins grave les en a empĂȘchĂ©s ils se croient coupables alors que parfois ils ne le sont pas du tout. Par contre ils ignorent trop la valeur de l’intention, qui pourrait leur faire gagner de nombreux mĂ©rites s’ils la purifiaient davantage. Il faut Ă  la fois insister sur l’aspect rĂ©aliste de la morale chrĂ©tienne et sur l’importance de la bonne volontĂ© » il y a autant de danger d’un cĂŽtĂ© que de l’autre Ă  nĂ©gliger l’un ou l’autre de ces deux Ă©lĂ©ments d’équilibre. Chapitre XI LA LIBERTE DE L’ACTE MORAL Il est classique en philosophie depuis Aristote de considĂ©rer comme exhaustive l’explication d’une chose par ses quatre causes ». AĂŻnsi quand on connaĂźt la cause finale de ce stylographe instrument destinĂ© Ă  Ă©crire, sa cause matĂ©rielle matiĂšre plastique, sa cause formelle dimensions, forme du rĂ©servoir et sa cause efficiente marque de fabrique, on possĂšde tous les renseignements voulus. En fait, on va souvent au plus pressĂ© on se contente de signaler une ou deux de ces causes et on sous-entend les autres. Par exemple on dira seulement que ce stylo est un Waterman. Mais si l’on analyse explicitement ce que la cause formulĂ©e suggĂšre implicitement en vertu de l’association des idĂ©es », on reconnaĂźtra que cette loi des quatre causes ne souffre pas d'exception si l’une d’elles fait dĂ©faut, notre connaissance est imparfaite. Il est donc nĂ©cessaire de tenir compte aussi de ces quatre causes si nous voulons connaĂźtre les conditions essentielles de la moralitĂ©. En fait, nous en avons dĂ©jĂ  vu trois. Nous avons longuement parlĂ© de la finalitĂ©, et de la bĂ©atitude qui n’en est que la consĂ©quence. Notre point de vue Ă©tait alors surtout ontologique. Puis nous nous sommes mis au point de vue subjectif, en faisant de la fin l’équivalent de l’intention. De plus, nous avons exposĂ© en quoi consistent les causes matĂ©rielle et formelle. Reste donc la cause efficiente, l’homme en tant qu’il est responsable de ses actes. C’est le problĂšme de la libertĂ©. Pour ĂȘtre complet, il faudrait en parler longuement, et traiter d’abord des principes de la libertĂ© connaissance et consentement, puis des causes multiples qui influencent l’acte libre ignorance, passion, crainte, violence, etc. Et dans ce cas, nous aurions dĂ» logiquement placer cet exposĂ© tout aprĂšs le chapitre sur la BĂ©atitude, Ă  l’exemple de S. Thomas. Mais, dans toute cette Ă©tude, nous n’avons pas l’intention d’ĂȘtre complet. Nous renvoyons donc pour le dĂ©tail du problĂšme de la libertĂ© aux traitĂ©s classiques de philosophie et de thĂ©ologie. Nous voulons seulement ici envisager trĂšs sommairement les PRINCIPALES DIFFICULTÉS suscitĂ©es par la science contemporaine et capables de dĂ©router les esprits peu avertis. Nous les ramĂšnerons Ă  trois le dĂ©terminisme psychologique normal, le dĂ©terminisme pathologique, et le dĂ©terminisme social. I. — LibertĂ© et dĂ©terminisme psychologique normal On considĂšre parfois la libertĂ© comme une autodĂ©termination absolue serait libre celui qui ne dĂ©pendrait absolument de rien, ni au physique, ni au moral, ni en quoi que ce soit. Avec une telle conception, on est impressionnĂ© par l’affirmation des psychologues qui prĂ©tendent que notre vie psychique dĂ©pend de dĂ©terminismes physiologiques et psychologiques. Selon eux, le tempĂ©rament et le caractĂšre expliquent Ă  peu prĂšs tous nos choix, toutes nos rĂ©actions. Ainsi, mis en face d’un danger, un nerveux est fatalement paralysĂ©, un apathique garde son calme, un colĂ©rique rĂ©agit Ă©nergiquement ; Ă  la suite d’une rencontre affective troublante, un sentimental est longuement impressionnĂ©, alors qu’un sanguin a vite oubliĂ© tout. Devant une alternative, il est souvent facile de prĂ©voir oĂč penchera la volontĂ© d’un homme selon ses antĂ©cĂ©dents. Dans ces conditions, peut-on encore parler de libertĂ© ? Oui, mais Ă  deux conditions 1° de bien situer la libertĂ© ; 2° de s’en faire une notion exacte. 1° — Il faut LA BIEN SITUER. En thĂ©orie, c’est entendu, elle n’a pas de limites. En fait, son champ d’action est trĂšs restreint, et presque tous nos gestes sont automatiques. Nous nous habillons automatiquement, nous allons machinalement Ă  nos occupations courantes, et nous travaillons par routine, tant qu’une difficultĂ© spĂ©ciale ne nous arrĂȘte pas. Il arrive ainsi que nous passions des heures entiĂšres sans faire un acte authentique de libertĂ©. Certes, nous savons bien que dans toute cette activitĂ© nous sommes libres nous avons au moins une conscience confuse de notre responsabilitĂ© ; mais cette conscience ne devient claire que dans les difficultĂ©s ou les choix exceptionnels. 2° — Mais prĂ©cisĂ©ment, quand nous dĂ©ployons une activitĂ© rĂ©flexe intense — ce qui peut se produire aussi bien durant l’espace d’un Ă©clair qu’au cours de longues discussions intimes — est-il vrai que le tempĂ©rament, le caractĂšre et les habitudes acquises suppriment la libertĂ© ? Nullement. Au contraire CE DÉTERMINISME PSYCHOLOGIQUE EST LE MEILLEUR SOUTIEN DE LA LIBERTÉ. Car celle-ci ne consiste pas Ă  Ă©chapper Ă  tous les dĂ©terminismes, mais Ă  les maĂźtriser. Il est impossible, en effet, de nous passer de dĂ©terminismes. Supposons un homme qui soit exempt de toute tendance biologique et psychologique profonde et de tout automatisme. Loin d’ĂȘtre libre, il serait une masse inerte. Avant chaque action il devrait partir Ă  zĂ©ro. Il ne saurait pas mĂȘme marcher ou parler. Il n’aurait aucune inclination Ă  aller moralement dans un sens plutĂŽt que dans l’autre. Toute vie, physique, intellectuelle ou morale, lui serait impossible. Par contre, plus un homme a d’automatismes Ă  sa disposition, plus il a de chances d’ĂȘtre vraiment libre, s’il a soin de maĂźtriser ces automatismes. Ainsi un virtuose du piano, qui se livre Ă  une improvisation, ne pourra exprimer comme il faut ses sentimente que si les diverses lois de son art lois physiologiques du doigtĂ©, lois musicales du rythme, de l’harmonie et de la mĂ©lodie n’ont plus de secrets pour lui. Un automobiliste n’échappera au danger dans un moment critique que si ses rĂ©flexes sont devenus tellement automatiques qu’ils obĂ©issent Ă  la moindre intuition instantanĂ©e. Dans tous ces cas, les dĂ©terminismes ne sont que des richesses Ă  exploiter, et l’esprit les exploite d’une maniĂšre imprĂ©visible, dans la mesure oĂč il a le gĂ©nie crĂ©ateur. C’est dans cette activitĂ© crĂ©atrice que se manifeste au maximum la libertĂ©. Et ceci ne vaut pas seulement dans le domaine technique, mĂ©canique ou artistique la libertĂ© morale a aussi besoin de ces dĂ©terminismes d’ordre infĂ©rieur, et elle s’accommode trĂšs bien, loin d’y trouver un obstacle, du dĂ©terminisme supĂ©rieur qui s’appelle le POUVOIR MOTEUR DES IDÉES ». On sait en quoi consiste ce pouvoir. C’est une loi qu’une idĂ©e ou image forte ne reste pas confinĂ©e dans l’intelligence ou l’imagination, mais qu’elle impressionne la sensibilitĂ©, provoque ainsi une Ă©bauche de mouvement et sollicite fatalement la rĂ©action de la volontĂ©. Ainsi par exemple, si un jeune homme se repaĂźt d’images immondes, il n’en restera pas Ă  ce stage spirituel il Ă©prouvera nĂ©cessairement, tĂŽt ou tard, des rĂ©actions physiologiques, et des attraits — ou des rĂ©pulsions — dans sa volontĂ©. Il y a lĂ  un dĂ©terminisme indiscutable. Non, certes, un dĂ©terminisme absolu, mais un dĂ©terminisme relatif, en ce sens que, si la libertĂ© continue d’exister au cours de l’enchaĂźnement des rĂ©actions, elle est fortement diminuĂ©e. Mais cela ne fait aucune difficultĂ© au point de vue moral le jeune homme en question n’a qu’à connaĂźtre cette loi psychologique et Ă  en tenir compte sa conscience est lĂ  pour l’avertir. Son devoir est de commencer par Ă©carter ces idĂ©es et images dangereuses. Il le peut, s’il s’y prend assez tĂŽt, en fixant son esprit sur d’autres objets. Nous sommes ici au cƓur de la solution thomiste du problĂšme de la libertĂ©. On peut dire que la volontĂ© suit normalement l’intelligence quand celle-ci lui prĂ©sente un bien rĂ©el ou jugĂ© tel, car l’intelligence et la volontĂ© vont naturellement de concert la volontĂ© est le poids de l’intelligence, disait le P. Sertillanges. C’est lĂ  ce qu’il y a de vrai dans l’opinion de Leibniz. Mais l’homme est libre de dĂ©clancher Ă  sa guise l’ébranlement de ce dĂ©terminisme relatif il lui suffit de fixer son attention sur un aspect privilĂ©giĂ© des choses, au dĂ©triment des autres aspects. Cet aspect ainsi fixĂ© prendra de plus en plus de relief, et entraĂźnera la dĂ©cision de la volontĂ©. La dĂ©cision viendra Ă  peu prĂšs fatalement, soit, c’est dans l’ordre de la nature ; mais elle sera la CONSÉQUENCE D'UN PREMIER CHOIX LIBRE. IT. — LibertĂ© et dĂ©terminisme pathologique Mais maintenant, nous rencontrons une objection de taille s’il arrivait que l’homme ne fĂ»t pas libre, mĂȘme avant le dĂ©clanchement de ce dĂ©terminisme relatif, que vaudrait notre solution ? Or n’est-ce pas souvent le cas, dans les maladies mentales ? Distinguons. Si vraiment l’idĂ©e qui met en branle le dĂ©terminisme psychologique s’impose irrĂ©sistiblement, il est certain que l’homme n’est plus libre d’éviter les suites qui en rĂ©sultent. Par consĂ©quent il n’est pas responsable de ses actions Ă  moins qu’il n’en soit responsable dans leur cause lointaine. Ainsi quelqu'un qui malgrĂ© lui se rĂ©pĂšte du matin au soir qu’il se jettera Ă  l’eau ne sera sans doute pas moralement coupable quand il se suicidera Ă  moins, rĂ©pĂ©tons-le, que la tyrannie de cette idĂ©e fixe ne rĂ©sulte d’une cause antĂ©rieure librement consentie surmenage avec prĂ©vision de ses consĂ©quences, conduite immorale, etc.. Mais, Ă  ce degrĂ© extrĂȘme, cette obsession est de la folie pure. Elle est donc hors de notre propos, puisqu’elle ne relĂšve pas de la morale. Par contre, il y a un cas qui relĂšve de la morale, et au sujet duquel, prĂ©cisĂ©ment, on fait difficultĂ© de nos jours. Il convient de nous y arrĂȘter. C’est le cas de l’homme qui, sans ĂȘtre fou, est UN MALADE, UN PSYCHASTHÉNIQUE, UNE VICTIME DE L'HÉRÉDITÉ. Et on assure que ce cas se prĂ©sente souvent. Vous punissez un enfant paresseux ? Erreur, dit-on soignez plutĂŽt ses glandes endocrines, et il reprendra goĂ»t au travail. Vous condamnez Ă  mort un criminel ? Mais n’est-il pas le jouet d’une passion tyrannique, ou d’un traumatisme inconscient qu’il aurait fallu psychanalyser ? Ainsi tous les vices capitaux, depuis l’orgueil jusqu’à la paresse, ne dĂ©pendraient pas de la morale, mais de la mĂ©decine, de la psychiĂątrie et de la psychanalyse. La rĂ©ponse Ă  cette difficultĂ© est moins compliquĂ©e qu’on ne veut le faire entendre. Nous reconnaissons qu’il y a un certain dĂ©terminisme pathologique. Un malade ne possĂšde pas les mĂȘmes ressources morales qu’un homme sain. Mais, 1°, tant que nous ne sommes pas en face d’un cas de folie proprement dite, au moins passagĂšre, la volontĂ© n’est pas complĂštement annihilĂ©e. Elle est sans doute, normalement, plus ou moins diminuĂ©e, et la responsabilitĂ© morale devra ĂȘtre mesurĂ©e en consĂ©quence, mais elle subsiste. 2° En ce cas, comme prĂ©cĂ©demment, l’homme a du moins le pouvoir de modifier l’évolution du dĂ©terminisme. La mĂ©decine, et au besoin la chirurgie, peuvent parfois supprimer ou attĂ©nuer les obstacles Ă  la pratique de la vertu. Donc la libertĂ© demeure sauve, au moins Ă  ce stade. 3° Du reste il ne faut pas croire que la mĂ©decine dispense de l’exercice de la libertĂ©. Supposons, par exemple, que des remĂšdes appropriĂ©s transforment un colĂ©rique en apathique aprĂšs comme avant, il faudra que le patient fasse preuve de volontĂ©, et il n’est pas sĂ»r que de telles mĂ©tamorphoses de la personnalitĂ© soient de tout point avantageuses. Il est donc prudent, en principe, de ne recourir que discrĂštement Ă  ces procĂ©dĂ©s. 4° Le rĂŽle du subconscient ou de l’inconscient est certain. MaĂŻs, ici encore, il ne faut pas croire que la psychanalyse arrange tout. Elle fait souvent plus de mal que de bien. Il convient de n’employer ce remĂšde extrĂȘme que quand il s’impose sans discussion, ce qui doit ĂȘtre fort rare. Mieux vaut utiliser les ressources de la psychologie normale. Il y a des rapports incessants entre le conscient et le subconscient il est faux de croire que l’action de l’un sur l’autre ne se fait qu’à partir des bas-fonds la rĂ©ciproque est tout aussi rĂ©elle. Commençons donc par maĂźtriser notre vie consciente, et notre subconscient ne s’en portera que mieux. 5° Et puis, enfin, supposons que nous ne soyons pas des ĂȘtres parfaitement normaux. Supposons que nous soyons victimes d’une tare hĂ©rĂ©ditaire, ou d’un certain dĂ©sĂ©quilibre naturel ou acquis. QU’EST- CE QUE CELA FAIT ? Croit-on que pour parvenir Ă  un harmonieux Ă©panouissement de notre ĂȘtre il soit nĂ©cessaire de partir d’un fondement biologique et psychologique parfait ? Ce serait trop beau et trop facile, et mĂȘme nous risquerions de nous endormir sur nos lauriers, et d’aller moins loin que des individus passablement tarĂ©s mais Ă©nergiques. Le Professeur J. Delay, dans un article qu’il intitule d’une maniĂšre expressive CrĂ©ation et nĂ©vrose »°?, montre que la nĂ©vrose” n’est pas nĂ©cessairement un obstacle au dĂ©veloppement de la personnalitĂ© et Ă  l’effort crĂ©ateur. Parlant notamment de trois malades, Nietzche, Flaubert et DostoĂŻewski. il Ă©crit L’admirable est qu’ils aient su faire bon usage de la maladie et trouvĂ© une solution Ă  des difficultĂ©s intĂ©rieures qui eussent menĂ© un autre Ă  l’échec. Les mĂȘmes organisations nĂ©vrotiques que nous voyons habituellement en pathologie aboutir Ă  la faillite peuvent en effet aboutir Ă  la crĂ©ation chez des hommes suffisamment douĂ©s pour transformer leurs nĂ©cessitĂ©s originelles en finalitĂ©s originales et convertir leurs faiblesses en forces ». Loin de nous de prĂ©senter ces Ă©crivains comme des modĂšles. Mais leur exemple peut encourager des malades. Et cependant ils Ă©taient loin du catholicisme et de la pratique religieuse. Que ne peut-on espĂ©rer quand on puise sa force aux sources intarissables de la doctrine chrĂ©tienne et des sacrements de l’Eglise ? Aussi pourquoi se troubler si l’on entend dire que telle grande religieuse est une schizoĂŻde* et tel saint un original fieffĂ© ? MĂȘme au plan naturel, de telles tendances ne sont nullement une condamnation Ă  l’échec. Mais de plus, s’il faut reconnaĂźtre qu’il y a lĂ , humaĂŻinement, un certain dĂ©sĂ©quilibre, nous devons avouer aussi que LA GRACE DE DIEU EST CAPABLE DE BATIR SUR CE FONDEMENT DÉFECTUEUX, et de rĂ©aliser des merveilles de saintetĂ©, dĂšs lĂ  qu’elle trouve un minimum de conditions naturelles et une bonne volontĂ© totale. La religieuse portĂ©e au repliement sur soi-mĂȘme peut, dans un Carmel, transformer cette tendance dangereuse en une recherche ardente de Dieu cachĂ© au fond de son Ăąme, et elle deviendra un jour une grande contemplative. Ce jeune homme fantasque, jouisseur, mondain, gai luron, mais au cƓur d’or, quand il aura rencontrĂ© l’ Amour infini, s’appellera le Pauvre d’Assise et deviendra un des saints les plus populaires. Et combien d’autres saints et saintes qui, au dĂ©part, Ă©taient des types mĂ©diocres d'humanitĂ©, devinrent sous l’action de la grĂące des modĂšles de vertu !°° Cette perfection hĂ©roĂŻque ne les dispense pas de conserver certaines traces de dĂ©fauts caractĂ©riels seule de toutes les pures crĂ©atures, la Vierge Marie est vraiment parfaite. Mais ces dĂ©fauts sont insignifiants, comparĂ©s Ă  leurs vertus sublimes, et Ă  tout prendre ils surpassent de loin les modĂšles les plus achevĂ©s que nous offre le paganisme ancien ou moderne. Que personne donc ne se laisse impressionner par les thĂ©ories psychanalistes et psychiatriques Ă  la mode. Ne perdons pas notre temps Ă  nous examiner et surtout Ă  scruter nos profondeurs ». Faisons plutĂŽt confiance Ă  la grĂące de Dieu qui est assez puissante pour tirer le bien du mal et faire des saints avec toutes sortes de tempĂ©raments et de caractĂšres. III. — LibertĂ© et dĂ©terminisme social La sociĂ©tĂ© a une influence Ă©norme sur la volontĂ©. L'Ă©ducation peut transformer le caractĂšre d’un enfant qu’on se rappelle l’effroyable mĂ©tamorphose du fils de Louis XVI Ă  la prison du Temple, sous l’action du cordonnier Simon. Les adultes ne sont pas exempts de cette sujĂ©tion on connaĂźt la tyrannie de l’opinion, la force des prĂ©jugĂ©s, le rendement de la publicitĂ©, les rĂ©sultats d’une propagande bien menĂ©e, et spĂ©cialement le pouvoir des slogans en pays totalitaires. Dans ce cas, oĂč est la libertĂ© ? Reconnaissons une fois de plus la grande part de vĂ©ritĂ© qui se trouve dans cette objection. De mĂȘme que la libertĂ© est partiellement restreinte par le dĂ©terminisme psychologique normal et surtout morbide. de mĂȘme les divers milieux qui nous entourent, depuis la famille pendant notre enfance, jusqu’aux milieux professionnels et Ă  l’humanitĂ© dans son ensemble nous marquent de leur influence indĂ©lĂ©bile, en bien ou en mal. Mais ceci n’est qu’un aspect du problĂšme de la libertĂ©. Il est tout aussi nĂ©cessaire de souligner l’autre aspect, le RÔLE ÉMANCIPATEUR DE LA SOCIÉTÉ. En effet, on peut dire qu’en un sens nous devons tout Ă  la sociĂ©tĂ©, y compris la jouissance de notre libertĂ© en ce qu’elle a de plus intime. Supposons que des enfants soient Ă©levĂ©s hors de toute contrainte sociale on serait tentĂ© de dire, Ă  premiĂšre vue, qu’ils sont libres ? Pas du tout, c’est le contraire qui est vrai ils seraient esclaves de leurs instincts les plus bas. Car la maĂźtrise de soi est une valeur qui rĂ©sulte de toute une Ă©ducation bien conduite. Nous en avons une preuve saisissante dans le cas des enfants-loups les petites indiennes Amala et Kamala, par exemple, ravies toutes jeunes Ă  leurs parents et Ă©levĂ©es par des louves, vivaient bestialement et eurent beaucoup de peine Ă  Ă©merger un peu de l’animalitĂ© quand on tenta, trop tard, de les rééduquer. MystĂšre de l’ñme humaine ! Pour se dĂ©velopper harmonieusement, L'ESPRIT HUMAIN A BESOIN DE RECEVOIR TOUT DE LA SOCIÉTÉ, depuis les premiers rudiments du langage. Mais il n’est pas purement passif sous cette action il doit rĂ©agir vitalement, et c’est en cela que consiste son apport irremplaçable dans l’édification de sa personnalitĂ© libre. Son intelligence rĂ©agit, ainsi que le montrent les psychologues modernes le jugement et le raisonnement sont une Ɠuvre de synthĂšse, et non une simple association d’images, comme on le prĂ©tendait volontiers au XVIII siĂšcle. Son caractĂšre rĂ©agit, et ne se forme mĂȘme qu’en luttant contre les obstacles qu’il rencontre il se pose en s’opposant. La preuve en est dans la comparaison entre les enfants Ă©levĂ©s en famille et les orphelins ceux-ci deviennent moins vite personnels. Le cƓur, Ă  son tour, ne s’épanouit vraiment qu’en se donnant. C’est lĂ  encore un paradoxe, mais confirmĂ© par les faits un cƓur resserrĂ© Ă©goĂŻstement sur lui-mĂȘme serait monstrueusement inhumain. Il ne se perfectionne en ferveur et en dĂ©licatesse que dans l’oubli de soi, au service des autres, en sociĂ©tĂ©. Donc LA SOCIÉTÉ EST AUTANT ET MÊME PLUS, UNE SOURCE DE LIBERTÉ QU’UN AGENT D’OPPRESSION. Le tout est de savoir profiter de ses dons sans en ĂȘtre esclave. Tout le monde ne rĂ©ussit pas parfaitement dans cet art, qui demande un effort incessant d’adaptation et de contrĂŽle. Apparemment beaucoup d’hommes sont plutĂŽt diminuĂ©s par la contrainte sociale que libĂ©rĂ©s par elle. Mais nombreux aussi sont ceux qui trouvent en elle l’enrichissement de leur personnalitĂ©, et peuvent ainsi la payer de retour en la faisant avancer dans la voie du progrĂšs par leur effort crĂ©ateur Ainsi les difficultĂ©s que la pensĂ©e contemporaine oppose Ă  la conception classique de la libertĂ© ne sont pas insolubles. Mais pour les rĂ©soudre, il faut se rappeler que la libertĂ© de l’homme n’est pas absolue, et qu’elle est trĂšs mystĂ©rieuse. Il faut donc tenir compte de tous les Ă©lĂ©ments qui la constituent et qui favorisent son Ă©panouissement, et les interprĂ©ter correctement °, Chapitre XII LE MERITE La notion de mĂ©rite est plutĂŽt dĂ©prĂ©ciĂ©e Ă  notre Ă©poque les Ăąmes gĂ©nĂ©reuses veulent travailler gratuitement au service de Dieu et du prochain. Elles se rappellent l’exemple de Ste ThĂ©rĂšse de l’Enfant-JĂ©sus qui ne veut pas acquĂ©rir de mĂ©rites, mais pratiquer la vertu uniquement par amour. Et si le mĂ©rite leur est prĂ©sentĂ© comme une hypothĂšque destinĂ©e Ă  leur faire Ă©viter le purgatoire, grĂące surtout Ă  une accumulation d’indulgences, elles sont portĂ©es Ă  voir lĂ  un mercantilisme superstitieux. En rĂ©alitĂ© le mĂ©rite est une notion fondamentale, aussi bien philosophiquement que thĂ©ologiquement, et il convient de s’en faire une juste idĂ©e dans un exposĂ© des principes de la morale. I. — MĂ©taphysique du mĂ©rite Le mĂ©rite se rattache AUX BASES MÊMES DE LA MORALE. A la suite d’Aristote et de S. Thomas, nous avons admis que la loi fondamentale de l’ĂȘtre humain, comme de tout ĂȘtre vivant, Ă©tait de se dĂ©velopper harmonieusement. Quand une plante, un animal, se sont dĂ©veloppĂ©s normalement, ils ont atteint leur fin De mĂȘme, quand l’homme — considĂ©rĂ© d’un point de vue purement philosophique — a Ă©panoui toutes ses virtualitĂ©s naturelles conformes Ă  la raison, il a atteint sa fin. La diffĂ©rence entre lui et les ĂȘtres irraisonnables, c’est que ceux-ci suivent aveuglĂ©ment les lois de la nature, tandis que l’homme est libre d’aller dans le sens de la raison ou de lui rĂ©sister. Si l’homme abuse de ses forces, pervertit ses facultĂ©s, en un mot se conduit mal, il est conforme Ă  l’ordre ontologique qu’il n’atteigne pas sa fin et il sera responsable de cet Ă©chec. Telle est du moins la thĂšse, et ces principes semblent indiscutables. Mais la rĂ©alitĂ© est souvent diffĂ©rente. Souvent les hommes font tout ce qu’ils peuvent pour suivre les prĂ©ceptes de la raison, et cependant ils n’atteignent pas le bonheur ; ils sont malades, pauvres, persĂ©cutĂ©s, malheureux. Par contre des malfaiteurs font fortune et jouissent de la vie. Il y a lĂ  un problĂšme qui touche au scandale quand on admet l’existence de Dieu et sa Providence. On ne peut comprendre un tel bouleversement de la nature des choses. Et S. Thomas n’hĂ©site pas Ă  Ă©crire dans le mĂȘme sens Partout oĂč il y a un ordre imposĂ© en vue d’une fin, il est nĂ©cessaire que cet ordre conduise Ă  la fin, et que le mĂ©pris de l’ordre exclue de la fin. Or Dieu a imposĂ© aux actes des hommes une ordination en vue d’une fin bonne. Il faut donc que, si cet ordre a Ă©tĂ© posĂ© correctement, ceux qui le suivent obtiennent le bien proposĂ© — c’est-Ă -dire soient rĂ©compensĂ©s ; et que ceux qui s’écartent de cet ordre par le pĂ©chĂ© soient exclus de ce bien, c’est-Ă -dire punis »°7 Il n’y a qu’une maniĂšre d’éviter une contradiction aussi flagrante que la rĂ©ussite des mĂ©chants et le malheur des justes, c’est d’admettre que DIEU RÉTABLIT L’ORDRE DANS UN AUTRE MONDE. Comme le disait le P. Sertillanges, l’ordre moral est un ordre Ă  retardement ». Et c’est ici que s’insĂšre la notion de mĂ©rite le mĂ©rite n’est rien autre que le droit Ă  obtenir tĂŽt ou tard le rĂ©sultat normal de l’activitĂ© vertueuse. Il s’impose, mĂ©taphysiquement, dĂšs qu’on admet la Providence et la justice de Dieu. Il n’est pas une invention capricieuse, extrinsĂšque Ă  l’ordre moral, une sanction puĂ©rile semblable au sucre d’orge ou au martinet qui sont sans rapport essentiel avec l’acte vertueux il est la consĂ©quence normale, naturelle, de l’action ; il est son complĂ©ment intrinsĂšque. On voit ainsi comment l’eudĂ©monisme aristotĂ©licien est complĂ©tĂ© par la philosophie thomiste. Aristote a trĂšs bien posĂ© les principes de la morale ; mais comme il ignorait la crĂ©ation et la Providence, il tournait court en face du scandale du malheur des bons et du bonheur des mĂ©chants. Avec lui, le problĂšme de la destinĂ©e humaine reste sans solution. Mais le christianisme, en enseignant l’immortalitĂ© personnelle de l’ñme et la Providence universelle de Dieu, permet de rĂ©soudre ce problĂšme capital. Et il le fait, grĂące Ă  la notion de mĂ©rite. IT. — Notion biblique du mĂ©rite La fermetĂ© des principes que nous venons d’exposer est une illustration de ce qu’on appelle la philosophie chrĂ©tienne ». Si la RĂ©vĂ©lation n’avait pas immensĂ©ment confirmĂ© nos convictions philosophiques touchant l’immortalitĂ© de l’ñme, la Providence de Dieu et sa bontĂ© infinie, il est probable que nous ne serions guĂšre plus avancĂ©s qu’Aristote au sujet de l’existence et de la nature des sanctions morales. C’est le Nouveau Testament qui nous renseigne surtout en cette matiĂšre, car l’ Ancien Testament ne nous donne pas toutes les prĂ©cisions dĂ©sirables. Il a fallu des siĂšcles pour que les Juifs arrivent Ă  soupçonner l’état de l’ñme aprĂšs la mort et la nature du bonheur dĂ» Ă  la vertu, en ce monde ou en l’autre. Pendant longtemps ils se sont reprĂ©sentĂ© les Ăąmes du shĂ©ol » comme douĂ©es d’une survie misĂ©rable, qui n’était que l’ombre de la vie terrestre. Dans ce royaume des tĂ©nĂšbres, plus de joie, ni d’amour, ni de louange de Dieu. Il fallait donc que les justes fussent rĂ©compensĂ©s dĂšs ici-bas. Mais ils l’étaient d’une façon surtout matĂ©rielle longue vie, abondance de richesses, paix avec les voisins. Ce genre de rĂ©tribution, si imparfait qu’il soit, ne mĂ©rite pas le mĂ©pris scandalisĂ© des philosophes. Il Ă©tait utile en son temps, parce qu’adaptĂ© Ă  la mentalitĂ© primitive On ne dira jamais assez combien la foi Ă  la rĂ©tribution temporelle a contribuĂ© Ă  affiner le sens moral et Ă  rapprocher les Ăąmes de Dieu, avant d’entraĂŻĂźner les crises de conscience dont tĂ©moignent Job, Qoheleth et quelques psaumes »°. Mais ce n’était qu’une Ă©tape, et peu Ă  peu les auteurs de l’Ancien Testament, Ă  la suite de Job, parvinrent Ă  une notion plus Ă©levĂ©e du mĂ©rite. Ce progrĂšs est dĂ» spĂ©cialement aux Pauvres de YahvĂ© », les anawim ». Eux, qui Ă©taient Ă©cartĂ©s du cercle des mondains, mĂ©prisĂ©s, souvent malades, et privĂ©s des plaisirs matĂ©riels, se rendirent compte d’abord que le vrai bonheur ne consistait pas dans les richesses et les jouissances sensibles, mais dans les joies du culte liturgique, dans la louange et l’amour de Dieu, dans les douceurs de la contemplation. Puis ils soupçonnĂšrent que la vraie rĂ©compense n’était pas ici-bas, mais dans l’autre monde. Toutefois leurs idĂ©es Ă©taient trĂšs confuses sur la nature de la survie, et un bon nombre de leurs corĂ©ligionnaires ne les suivaient mĂȘme pas jusqu’au bout certains niaient la rĂ©surrection. C’est LE CHRIST qui a projetĂ© une lumiĂšre fulgurante sur ces questions. Il a rĂ©pĂ©tĂ© maintes fois que l’ñme avait une valeur infinie et que les sanctions, au ciel et en enfer, n’avaient pas de fin Mt., XVI, 26 ; xxv, 46, etc.. Certes, il a souvent prĂ©sentĂ© le bonheur du ciel d’une maniĂšre allĂ©gorique, qui rappelle les procĂ©dĂ©s prophĂ©tiques il les compare Ă  un festin nuptial Mt., VIII, 11, Ă  la dĂ©couverte d’un trĂ©sor Luc, XII, 33, Ă  la possession d’un royaume Mt., xxv, 34, etc. ; on y entre dans la joie du Seigneur Mt., xxv, 21 ; on y resplendit d’une clartĂ© semblable Ă  celle du soleil Mt., XIIL, 43, etc. Ces mĂ©taphores, si elles Ă©taient prises Ă  la lettre, pourraient laisser croire aux lecteurs non avertis que la rĂ©compense cĂ©leste est extrinsĂšque Ă  l’acte vertueux. Mais d’autres textes sont formels. Le bonheur du ciel consiste essentiellement dans la vision et la possession de Dieu La vie Ă©ternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et ton envoyĂ© JĂ©sus-Christ. PĂšre, ceux que tu m’as donnĂ©s, je veux que lĂ  oĂč je suis, ils soient aussi avec moi, pour qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnĂ©e Jo., XVII, 3, 24. Nous le verrons tel qu’il est » I Jo., III, 2. C’est donc Ă  partir de textes semblables qu’il faut comprendre les mĂ©taphores prĂ©cĂ©dentes Dieu lui-mĂȘme est le trĂ©sor infiniment prĂ©cieux ; il est le Souverain puissant qui nous fait participer Ă  son empire, il est la nourriture du banquet cĂ©leste, et il nous comblera de joie et de gloire au- delĂ  de tout ce que nous pouvons imaginer. On peut donc dire que la rĂ©compense offerte par le Seigneur n’est nullement d’une nature infĂ©rieure Ă  l’acte vertueux quel objet plus noble et plus grand que Dieu pourrait ĂȘtre offert Ă  l’ñme juste ? III. — ThĂ©ologie du mĂ©rite Et cependant un problĂšme demeure Ă  rĂ©soudre au thĂ©oogien. N’y a-t-il pas une certaine hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© entre l’acte vertueux et la possession de Dieu ? Si Ă©levĂ©e que soit cette rĂ©compense, peut-on dire qu’elle est dans le prolongement normal d’un acte bon ? Autrement dit, la belle unitĂ© que nous avons admirĂ©e dans les principes mĂ©taphysiques du mĂ©rite se retrouve-t-elle au plan surnaturel ? Sans aucun doute. Mais pour le comprendre, il faut se rappe-1er que LA POSSESSION » DE DIEU AU CIEL NE RESSEMBLE PAS A L’ACQUISITION D'UN OBJET EXTÉRIEUR. Dieu est si transcendant que nous ne pouvons entrer en contact avec lui que dans la mesure oĂč notre vie est assimilĂ©e Ă  la sienne. Pour employer la terminologie de Gabriel Marcel, on pourrait dire que notre union Ă  Dieu est moins une question d’avoir que d’ĂȘtre Le Salut n’a rien d’un cinĂ©ma, Ă  l’entrĂ©e duquel serait exigĂ© le paiement d’un billet au prix de nos mĂ©rites acquis sur terre. Dans l’éternitĂ© comme durant notre vie mortelle dĂ©jĂ , la vie spirituelle n’est pas une question d’avoir, de gros sous que l’on accumule prĂ©cieusement dans un porte-monnaie en prĂ©vision des frais d’entrĂ©e en paradis. Le monde surnaturel n’est en aucune façon du domaine des choses que l’on peut acquĂ©rir. Le monde surnaturel, c’est Dieu on peut seulement prendre part Ă  Dieu, jouir de sa vie, de son bonheur, s’unir si bien Ă  lui enfin que notre amour puisse en ĂȘtre satisfait. Notre vie chrĂ©tienne est donc une question d’ĂȘtre, d’union, un mariage pour reprendre une image frĂ©quente dans l’Ecriture, c’est-Ă -dire une adhĂ© sion mutuelle » °°, Il en rĂ©sulte que nous entrons ainsi en contact avec Dieu mĂȘme, mais cette intimitĂ© divine est directement proportionnelle Ă  l’intensitĂ© de notre vie de grĂące ici-bas et Ă  notre degrĂ© de gloire au ciel. On doit donc dire que la vision de Dieu, objet du mĂ©rite surnaturel, est dans le PROLONGEMENT NORMAL DE L’ÉTAT DE GRACE. Et ainsi nous retrouvons une concordance remarquable entre la mĂ©taphysique du mĂ©rite naturel et la doctrine biblique du mĂ©rite surnaturel, car, d’un cĂŽtĂ© comme de l’autre, la structure de base est constituĂ©e par les deux notions de nature et de finalitĂ©. Au plan philosophique, nous disions que l’homme qui agit conformĂ©ment aux principes essentiels de sa nature raisonnable mĂ©rite de rĂ©aliser sa fin naturelle. Au plan surnaturel, nous affirmons que le chrĂ©tien qui Ă©panouiĂŻt sa vie de grĂące mĂ©rite d’atteindre sa fin surnaturelle. Dans les deux cas, les sanctions ne sont pas quelque chose de surajoutĂ© de l’extĂ©rieur elles sont l’aboutissement normal de la conduite qui a prĂ©cĂ©dĂ©. Toutefois, une nouvelle prĂ©cision s’impose peut-on, dans ces deux cas, parler de mĂ©rite en STRICTE JUSTICE ? A premiĂšre vue, on serait tentĂ© de penser que ce genre de mĂ©rite ne convient nullement au plan surnaturel, puisque Ă  ce plan, tout est grĂące de Dieu. Telle est, notamment, la leçon qui ressort de la parabole des ouvriers envoyĂ©s Ă  la vigne Mt., xx, 1-16. C’est de fait ce que pensaient d’anciens thĂ©ologiens, Ă  la suite de S. Augustin. Ce grand Docteur, luttant contre PĂ©lage, mit en relief la misĂ©ricorde de Dieu et la gratuitĂ© de ses dons. Selon une formule qui fit fortune, Dieu, dit-il, en couronnant nos mĂ©rites, couronne ses dons ». Par consĂ©quent, ne parlons pas de mĂ©rite strict envers lui dans le domaine de la grĂące, mais seulement de mĂ©rite de convenance, de congruo. Et cependant, certains textes scripturaires, que nous avons citĂ©s, et d’autres trĂšs formels par ex. II Tim., Il, 8, et cette mĂȘme parabole de la vigne Mt., xx, 1-16, oĂč l’on voit que les ouvriers ont dĂ» travailler pour gagner leur salaire, semblent bien supposer un mĂ©rite proprement dit dans l’affaire du salut, ce qu’on appelle le mĂ©rite de condigno comment concilier ces exigences apparemment contradictoires ? S. Bonaventure hĂ©sitait. Se demandant si une grĂące moindre pouvait mĂ©riter en justice une grĂące plus Ă©levĂ©e, il prĂ©fĂ©rait imaginer dans ce cas une troisiĂšme sorte de mĂ©rite intermĂ©diaire entre le mĂ©rite de condigno et le mĂ©rite de congruo. D’autres thĂ©ologiens augustiniens pensaient que le mĂ©rite de condigno convenait Ă  l’ñme en Ă©tat de grĂące, mais que le mĂ©rite de congruo suffisait pour prĂ©parer Ă  la justification. S. Thomas est Ă  la fois plus ferme et plus nuancĂ©. Il est PLUS FERME sur deux points 1° il n’admet pas que l’homme pĂ©cheur puisse mĂ©riter, mĂȘme de congruo, la justification quand on est ennemi de Dieu on ne peut entrer en grĂące avec lui que par un effet de sa misĂ©ricorde ; 2° il garde toute leur force aux textes du Nouveau Testament qui supposent un mĂ©rite strict de l’ñme en Ă©tat de grĂące. Et il revendique cette propriĂ©tĂ© non seulement pour les oeuvres surĂ©rogatoires, mais aussi pour les bonnes Ɠuvres obligatoires. Mais il est PLUS NUANCÉ en ce qu’il n’admet ce mĂ©rite strict qu’en vertu d’une disposition divine prĂ©alable et purement gratuite. Dieu prend l'initiative de sauver l’homme par misĂ©ricorde ; il lui donne spontanĂ©ment la grĂące ; et moyennant ce don inestimable, il lui permet de mĂ©riter en justice. En d’autres termes, selon S. Thomas, Dieu est le maĂźtre absolu de ses dons. Il n’est, par nature, liĂ© en justice Ă  l’égard d’aucune de ses crĂ©atures, car celles-ci lui doivent absolument tout. Mais quand une fois il a Ă©tabli un ordre providentiel, il se doit » Ă  lui-mĂȘme de veiller Ă  sa rĂ©alisation 0, Au fond, nous retrouvons ici encore, la MERVEILLEUSE HARMONIE QUE NOUS AVONS DÉJÀ SIGNALÉE ENTRE L’ORDRE DE LA NATURE ET L’ORDRE DE LA GRACE. Au plan naturel, Dieu crĂ©e par pure misĂ©ricorde, et il donne Ă  l’homme une nature libre qui est le principe de son activitĂ© mĂ©ritoire. On peut dire qu’en suivant raisonnablement les principes de cette nature, l’homme mĂ©rite en justice stricte une rĂ©compense proportionnelle. Mais c’est une justice relative, rĂ©sultant de ce que Dieu a pris les devants et dispose ainsi l’ordre des choses. Au plan surnaturel, Dieu, par pure bontĂ©, ici encore, justifie l’homme pĂ©cheur et lui donne la grĂące, principe de vie surnaturelle. Si le chrĂ©tien agit conformĂ©ment Ă  cette vie, il mĂ©rite en justice la rĂ©compense adaptĂ©e, qui n’est autre que la vie Ă©ternelle, aboutissement normal de la grĂące. Mais ce mĂ©rite de condigno prĂ©suppose une avance gratuite de Dieu qui en a ainsi dĂ©cidĂ©. Cette doctrine met en vif relief Ă  la fois la grandeur de l’homme et la misĂ©ricorde infinie de Dieu, et cela aussi bien au plan naturel qu’au plan surnaturel. Dans chacun de ces deux domaines, Dieu est l’universel bienfaiteur, tout vient de lui gracieusement. Mais aussi, que ce soit sous le rĂšgne, hypothĂ©tique, de la loi naturelle ou sous celui, effectif, de la grĂące, l’homme est le libre artisan de son bonheur ou de son malheur. Cet Ă©quilibre doctrinal permet de sauvegarder parfaitement l’enseignement de la RĂ©vĂ©lation et les exigences d’une saine mĂ©taphysique. Aussi le Concile de Trente en a-t-il retenu l’essentiel en dĂ©finissant Ă  la fois la gratuitĂ© du salut et le vrai mĂ©rite de l’ñme en Ă©tat de grĂące!. Chapitre XIII LA GRACE HABITUELLE Dans la doctrine chrĂ©tienne, le dogme, la morale et la liturgie sont unis par des liens essentiels. Les vĂ©ritĂ©s rĂ©vĂ©lĂ©es ne se bornent pas Ă  Ă©clairer l’esprit elles convertissent les Ăąmes. Le culte n’est pas un formalisme vide il est le symbole et l’aliment d’une vie. La morale n’est pas un conformisme social elle est l’expression de cette vie divine. Les exigences de la spĂ©cialisation ont entraĂźnĂ© le morcellement de cette unitĂ©. On expose la morale sĂ©parĂ©ment du dogme. Parfois mĂȘme on semble la borner Ă  l’étude des pĂ©chĂ©s. Cet aboutissement est jusqu’à un certain point justifiĂ© par des raisons techniques et n’entraĂźnent pas de grands inconvĂ©nients chez les professeurs de l’enseignement religieux. Mais si les prĂ©dicateurs ne rĂ©tablissent pas obstinĂ©ment les liens qui unissent la morale au dogme et Ă  la liturgie, les fidĂšles risquent de ne voir en elle qu’un code d’interdictions. Il faut donc sans cesse leur rappeler que la grĂące habituelle est le principe et l’ñme de la morale chrĂ©tienne, et leur en donner une idĂ©e aussi exacte que possible I. — La grĂące habituelle dans le Nouveau Testament Il est inutile de montrer longuement quelle est la place de la grĂące habituelle dans la morale chrĂ©tienne. Au cours des premiers chapitres de notre Ă©tude, nous avons constatĂ© que le trait saillant de la morale du Nouveau Testament Ă©tait prĂ©cisĂ©ment qu’elle ne ressemblait pas aux morales naturelles et philosophiques, mais qu’elle Ă©tait une participation Ă  la vie mĂȘme de Dieu. Elle Ă©tait, disions - nous, thĂ©ocentrique et surnaturelle, christocentrique et ecclĂ©siocentrique. La grande rĂ©vĂ©lation du est que l’homme est appelĂ© Ă  devenir fils de Dieu et Ă  participer Ă  sa vie. Les textes nous apprennent que chacune des trois Personnes divines a concouru au salut de l’humanitĂ©. Le PĂšre a envoyĂ© son Fils ; le Fils est devenu le Chef et le Sauveur des hommes ; le Saint-Esprit est le nouveau Consolateur qui tient la place du Fils depuis la PentecĂŽte. Mais nous ne sommes pas seulement, depuis cette date, en relations avec l’'Esprit-Saint. C’EST LA TRINITÉ ENTIÈRE QUI HABITE DANS L’AME Si quelqu'un m’aime, il gardera ma parole, et mon PĂšre l’aimera, et nous ferons chez lui notre demeure » Jo., XIV, 23. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui » Jo., VI, 56. Cette vĂ©ritĂ© sublime a Ă©tĂ© parfois estompĂ©e par certains thĂ©ologiens occidentaux. On croirait, Ă  les lire, que notre Ă©lĂ©vation Ă  l’ordre surnaturel ne nous met nullement en rapports directs avec les divines Personnes, mais seulement avec la Nature qui leur est commune. De tous les textes bibliques relatifs Ă  la grĂące, ils semblent avoir surtout retenu celui de S. Pierre afin que vous deveniez participants de la nature divine » II Petr., I, 4. Les exĂ©gĂštes contemporains rĂ©agissent contre cette interprĂ©tation. Tel le P. Prat. AprĂšs avoir relatĂ© l’opinion qui ne voit dans l’habitation des Personnes divines que des diffĂ©rences d’appropriation ». et qui prĂ©tend que la grĂące nous unit immĂ©diatement Ă  Dieu sans distinction de personnes », il note que ce n’est qu’une thĂ©orie », une explication vulgaire », qui ne semble pas cadrer suffisamment avec le langage des PĂšres et de l’Ecriture »°2, Et il propose de revenir Ă  l’explication des PĂšres orientaux qu’il prĂ©cise de la maniĂšre suivante Pour ceux-ci, l’union dĂ©ifique se fait premiĂšrement avec les personnes, et, par les personnes, avec la nature ». La grĂące est le rĂ©sultat, non la condition de leur prĂ©sence. Le PĂšre envoie le Fils, le Fils envoie le Saint- Esprit. L’action sanctifiante a donc lieu suivant l’ordre des processions Ă©ternelles, et il en est de mĂȘme de la prĂ©sence des trois personnes dans l’ñme sanctifiĂ©e. Seulement, en ce dernier cas, l’ordre est renversĂ© ; le Saint-Esprit, donnĂ© Ă  l’ñme et se donnant lui-mĂȘme, entre le premier en contact avec elle. PrioritĂ© de raison et non de temps, cela va sans dire ; mais prioritĂ© fondĂ©e sur quelque chose de rĂ©el, car la mission des personnes n’équivaut pas Ă  l’appropriation des attributs » ib.. Mais comment se reprĂ©senter ces relations des trois Personnes divines avec notre Ăąme ? Comment concevoir la transformation qui en rĂ©sulte ? Il y a lĂ  de difficiles problĂšmes thĂ©ologiques Ă  la solution desquels on doit employer des principes solides qui serviront de fondement Ă  des approfondissements ultĂ©rieurs. Voyons successivement ces principes et ces approfondissements. IT. — Principes thĂ©ologiques IL — Il est hors de doute que DANS LEUR ACTION SUR LES CRÉATURES, LES PERSONNES DIVINES NE PEUVENT SE DISTINGUER L’'UNE DE L'AUTRE. C’est la nature qui est le principe des actions or en Dieu la nature est parfaitement une, et commune aux trois Personnes. Donc, lorsque les textes de l’Ecriture attribuent Ă  l’une d’elles une action de prĂ©fĂ©rence aux autres — par exemple l’illumination au Verbe, l’amour au Saint-Esprit — il ne faut voir lĂ  qu’une maniĂšre de dire qui a, certes, son fondement dans la rĂ©alitĂ© mais qui n’exclut pas l’action des autres Personnes. On approprie » alors Ă  l’une d’elles ce qu’elles font en commun. C’est la doctrine de l’appropriation, Ă  laquelle le P. Prat fait allusion dans le texte citĂ©3, IT. — Est-ce Ă  dire que, dans le mystĂšre de la sanctification de l’ñme, tout se rĂ©duise Ă  des rapports avec la nature divine Ă  l’exclusion de tout rapport avec les Personnes ? Ce n’est pas l’opinion de S. Thomas. Pour lui, l’ñme juste est EN RAPPORTS DIRECTS AVEC LES PERSONNES DIVINES Par le don de la grĂące habituelle, la crĂ©ature raisonnable est perfectionnĂ©e Ă  tel point que non seulement elle dispose d’un don créé, mais elle jouit de la Personne divine elle-mĂȘme... La Personne divine elle-mĂȘme est donnĂ©e »°4, Cette affirmation catĂ©gorique est conciliable avec le principe prĂ©cĂ©dent l’action, parfaitement une, des Personnes divines, peut avoir un effet créé qui mette l’ñme en relation avec les Personnes en tant qu’elles se distinguent entre elles. Cette doctrine nous permet de prendre Ă  la lettre les paroles de Notre- Seigneur quand il affirme que son PĂšre et lui feront en nous leur demeure. IT. — Toutefois il est bien entendu que l’ñme chrĂ©tienne, si unie qu’elle soit aux trois Personnes, si participante qu’elle soit de leur vie infinie vie de connaissance et d’amour, RESTE TOUJOURS UNE PURE CRÉATURE. Tout ce qui sentirait le panthĂ©isme, mĂȘme de loin, doit ĂȘtre rejetĂ©, aussi bien mĂ©taphysiquement que thĂ©ologiquement. L’ñme sainte, au ciel comme sur la terre, garde sa personnalitĂ© et son caractĂšre de crĂ©ature. Elle participe bien Ă  la nature divine, mais Ă  sa maniĂšre Ă  elle, qui n’est pas exactement celle de Dieu. IT. — PossibilitĂ© d’un approfondissement doctrinal Pouvons-nous serrer de plus prĂšs la prodigieuse transformation de l’ñme en Ă©tat de grĂące ? Nous sommes ici au bord d’un abĂźme si profond que les thĂ©ologiens se sentent pris de vertige. Beaucoup n’ont pas osĂ© s’aventurer dans ces rĂ©gions peu explorĂ©es. Il faut donc remercier les pionniers qui s’efforcent de pĂ©nĂ©trer plus avant dans le mystĂšre, et de satisfaire notre fervente curiositĂ©. Ils y sont d’ailleurs ENCOURAGÉS PAR LE SAINT-PÈRE lui-mĂȘme. Dans son encyclique Mystici Corporis Christi, Pie XII fait allusion aux controverses qui ont eu lieu Ă  ce sujet depuis 25 ans, et il dĂ©clare expressĂ©ment qu’il ne les blĂąme pas Nous savons que, de l’étude sincĂšre et constante de cette vĂ©ritĂ© notre union avec le divin RĂ©dempteur et spĂ©cialement l’habitation du Saint-Esprit dans les Ăąmes, ainsi que du heurt des diverses opinions et du concours des diverses thĂ©ories — pourvu que l’amour de la vĂ©ritĂ© et le respect dĂ» Ă  l’Eglise dirigent ces investigations — peuvent jaillir de prĂ©cieuses lumiĂšres, qui constituent, en ce genre de disciplines sacrĂ©es comme ailleurs un rĂ©el progrĂšs. Nous ne dĂ©sapprouvons donc pas ceux qui ouvrent diverses routes, tentent divers systĂšmes pour saisir et tĂącher d’éclairer ce si profond mystĂšre de notre union merveilleuse avec le Christ »°. Il rappelle seulement qu’il faut tenir fermement aux deux principes suivants, que nous avons notĂ©s l’unitĂ© d’action des trois Personnes dans les Ɠuvres ad extra, et le rejet de tout mode d’union mystique qui friserait le panthĂ©isme. Fort de cette latitude, nous allons Ă©voquer les perspectives que des thĂ©ologiens sĂ»rs nous proposent. Ce ne sont que des opinions, qui ne s’imposent pas au nom de la foi, mais qui sont si Ă©clairantes et paraissent si solides qu’on peut s’y rallier sans crainte. Du reste les critiques qu’elles ont suscitĂ©es Ă  leur apparition ne les ont pas empĂȘchĂ©es de gagner du terrain IV. — Opinions thĂ©ologiques rĂ©centes On pourrait rĂ©sumer d’un mot l’effort doctrinal rĂ©cent en disant que, selon ces thĂ©ologiens, la grĂące habituelle ne nous fait pas seulement participer Ă  la nature divine en tant qu’une pensons aux attributs de Dieu tels que BontĂ©, BeautĂ©, Bonheur, connaissance, amour, etc., mais en tant que cette nature est possĂ©dĂ©e vitalement par les Personnes divines dans leurs relations de PaternitĂ©, de Filiation et de spiration » La charitĂ© transporte en nous, en quelque façon, l’amour trinitaire lui-mĂȘme, ou mieux nous transforme en lui »°6, Ainsi l’ñme sainte n’assisterait pas passivement Ă  l’ineffable courant de Vie qui va du PĂšre au Fils, et retourne du Fils au PĂšre, par le Saint-Esprit elle y participe activement, elle y joue un rĂŽle, proportionnĂ©, bien sĂ»r, Ă  sa condition de crĂ©ature, mais proprement divin. Nous trouvons une PREMIÈRE FORMULE de cette opinion sous la plume du P. Ambroise Gardeil, que l’on a appelĂ© de son vivant le Prince des thomistes français. Il part de l’analyse des conditions de la vision bĂ©atifique. C’est en semblable Ă  Dieu que le Bienheureux voit et aime Dieu et qu’il entre dans l’intimitĂ© du parfait. La ressemblance des deux vies ne s’arrĂȘte pas lĂ . Car le Bienheureux participe ainsi Ă  la vie des trois Personnes divines. Il est associĂ© actif de cet auguste mystĂšre. Comment en serait-il autrement puisque sa vie est parfaite et qu’étant parfaite elle doit ĂȘtre fĂ©conde ? Par sa vue de la divine essence il s’associe vitalement Ă  la gĂ©nĂ©ration du Verbe, car la rĂ©alitĂ© que rencontre son acte de connaĂźtre n’est pas comme chez nous une reprĂ©sentation, mais Dieu lui-mĂȘme. Par son amour il s’associe vitalement Ă  la procession du Saint-Esprit, car la rĂ©alitĂ© qu’enserre son acte d’aimer, c’est le Bien Souverain, encore Dieu, mais Dieu comme terme de l’amour. Ainsi, dans son plan d’ĂȘtre fini, le Bienheureux reproduit, grĂące Ă  la forme divine qui est devenue Ă  un certain degrĂ© la sienne, quelque chose de la vie infinie. PlongĂ© en Dieu, aussi bien par la racine de son ĂȘtre divinisĂ© que par le terme de son activitĂ©, et par l’acte mĂȘme qui rĂ©unit sa puissance Ă  son terme, le Bienheureux, dans son plan de crĂ©ature, vit Ă  la lettre toute la vie divine »°7. Or on sait qu’il n’y a pas de diffĂ©rence essentielle entre la vossession de Dieu au ciel et sa possession ici-bas par la grĂące la vie fonciĂšre est la mĂȘme » ib.. Il faut donc en conclure que l’ñme en Ă©tat de grĂące ne possĂšde pas les trois Personnes d’une maniĂšre statique, mais d’une maniĂšre dynamique, en participant vitalement Ă  ce qui les caractĂ©rise en tant que Personnes. Il y a lĂ  un profond mystĂšre, un paradoxe Ă©tonnant », dit le P. Gardeil Dieu et nous, c’est si diffĂ©rent ! Mais le paradoxe est un fait, le fait chrĂ©tien, fondĂ© sur le fait de l’apparition sur la terre du Christ Dieu... Or cette vie divine, le Fils de Dieu ne l’a pas gardĂ©e pour lui » ib.. * Un AUTRE THÉOLOGIEN prĂ©fĂšre partir prĂ©cisĂ©ment du fait de l’Incarnation*. En vertu de ce mystĂšre, la nature humaine du Fils a Ă©tĂ© introduite parmi les trois Personnes sous les auspices du Fils, pour ĂȘtre compagne du Fils, pour participer Ă  la vie du Fils, qui consiste dans ses rapports avec les deux autres Personnes, pour ĂȘtre, dans la TrinitĂ©, par participation, ce que le Fils y est par dĂ©finition. Cette nature humaine donc, en tant qu’elle est comme englobĂ©e sous la personnalitĂ© mĂȘme du Fils, est dans la TrinitĂ© le terme de l’acte l’intelligence par lequel le PĂšre engendre son Fils. Elle est, avec la Personne du Fils qui est sa propre personnalitĂ©, entraĂźnĂ©e vers le PĂšre dans un Ă©lan immense et infini d’amour filial, qui, rejoignant l’amour paternel de la premiĂšre Personne pour se confondre avec lui, aboutit Ă  la spiration active de l’Esprit - Saint. C’est ainsi qu’elle est mĂȘlĂ©e Ă  la Vie divine, qui est la TrinitĂ© » p. 298, 2° col.. Cette participation active de la nature humaine du Christ Ă  la Vie trinitaire ne peut Ă©videmment se rĂ©aliser que si l’ñme de JĂ©sus en a reçu le pouvoir intime par une grĂące appropriĂ©e. Or tout porte Ă  croire que cette grĂące habituelle n’est pas une grĂące indĂ©terminĂ©e simple participation Ă  la nature divine en tant qu’elle est une, mais une GRACE PARTICULIÈRE, ET PROPRE AU FILS, la grĂące capitale Il n’y a pas, sous la personnalitĂ© du Fils, une grĂące qui dĂ©ifie son Ăąme en la rendant conforme au PĂšre ou au Saint-Esprit, ce qui serait une anomalie Ă  la Personne du Fils appartient une Ăąme de fils » p. 297, 2° col.. Par suite, l’ñme de JĂ©sus est associĂ©e rĂ©ellement et indissolublement aux deux actes filiation passive et spiration active par lesquels la Personne du Verbe se distingue des deux autres Personnes » p. 296-297. Mais nous savons, par S. Jean et S. Paul, que NOTRE GRACE EST UNE PARTICIPATION DE LA GRACE CAPITALE DU CHRIST. Il faut donc conclure que nos Ăąmes en Ă©tat de grĂące sont aussi, Ă  l’exemple du Christ et sous son emprise, en relations spĂ©ciales avec chacune des Personnes divines, et en participation de l’activitĂ© propre au Fils À cause du Christ, avec lui, par lui, en lui, nous sommes par extension l’objet de l’amour que le PĂšre porte Ă  son Fils ; nous sommes associĂ©s Ă  l’amour par lequel le Fils s’élance vers son PĂšre, lui rendant ainsi tout l’amour qu’il en reçoit » p. 298, 2° col.. Mais l’amour rĂ©ciproque du PĂšre et du Fils n’est autre que le Saint-Esprit en Personne. Donc, en aimant Dieu avec JĂ©sus et en JĂ©sus. nous participons rĂ©ellement Ă  l’acte d’amour unique et commun » du PĂšre et du Fils, qui constitue LA PROCESSION ACTIVE DU SAINT-ESPRIT » Le PĂšre se penche vers nous en tant que fils adoptif en un mouvement de bontĂ© qui prolonge jusqu’à nous, Ă  travers l’humanitĂ© sainte de JĂ©sus, l’amour dont il aime son Fils, et cet amour, in Trinitate, est l’Esprit-Saint. Le Fils nous presse contre lui comme ses frĂšres, comme son Epouse, comme son Corps mystique, alors qu’il s’élance vers son PĂšre pour reposer en son sein dans une donation d’amour qui rencontre l’amour du PĂšre et s’unissant Ă  lui constitue la spiration de la troisiĂšme Personne. C’est ainsi que, ce que le Verbe est et fait par nature Ă  l’égard du Saint- Esprit, nous le sommes et nous le faisons aussi par une association qui constitue, au ciel et dĂšs ici-bas. notre participation créée Ă  la vie incréée de la TrinitĂ© infiniment transcendante et adorable » p. 298-299. Conclusion Beaucoup d’hommes sont jaloux de Dieu. Les uns prĂ©tendent follement le dĂ©trĂŽner et prendre sa place. D’autres, conscients de leur petitesse et de sa transcendance, se rĂ©fugient dans la haine et la rĂ©volte. Le christianisme leur offre pourtant le seul moyen d’apaiser leur soif d’infini et leur instinct de grandeur. Lui seul peut leur donner de devenir fils de Dieu la RĂ©vĂ©lation enseigne cette doctrine comme un dogme de foi, et la thĂ©ologie s’efforce de nous en faire saisir la sublimitĂ©. Quand on se rappelle que la grĂące n’est pas un don superficiel, qui nous laisserait fonciĂšrement dans notre Ă©tat misĂ©rable, mais un habitus », qui constitue en nous UNE NOUVELLE NATURE, on ne peut qu'ĂȘtre Ă©merveillĂ© de la condescendance infinie de Dieu, qui ne s’est pas rĂ©servĂ© son bonheur pour lui seul, mais l’a communiquĂ© gracieusement Ă  ses crĂ©atures La grĂące sanctifiante, c’est la nature mĂȘme de Dieu, transfusĂ©e en nous, autant que nous en sommes capables, naturalisĂ©e, acclimatisĂ©e, entĂ©e sur notre nature et la transformant intĂ©rieurement de maniĂšre Ă  ce que la vie divine puisse jaillir de notre Ăąme divinisĂ©e comme de source »°?, Ou, en d’autres termes La grĂące sanctifiante n’est pas une substance qui s’ajoute Ă  notre substance, mais un achĂšvement, un approfondissement de son ĂȘtre, qui adapte cette substance Ă  ĂȘtre » divinisĂ©e tout en Ă©tant elle-mĂȘme, si bien que la grĂące est nous-mĂȘmes dit le P. Mersch, mais nous en tant que divinisĂ©s »”?, VoilĂ  donc comment la grĂące nous transforme, non pas seulement d’une maniĂšre statique et superficielle, mais d’une maniĂšre dynamique et merveilleusement profonde, nous faisant participer activement Ă  la vie mĂȘme de Dieu. On comprend les accents de S. Jean de la Croix en face d’une vocation si sublime O Ăąmes créées pour ces grandeurs et appelĂ©es Ă  les possĂ©der, que faites-vous ? Ă  quoi vous occupez-vous ? Vos vues sont terre-Ă -terre, et vos biens des misĂšres. O pitoyable aveuglement des yeux de vos Ăąmes ! Vous ĂȘtes aveugles pour une pareille lumiĂšre, vous ĂȘtes sourds pour un tel appel, vous ne voyez pas que, dans votre recherche des grandeurs et de la gloire, vous restez misĂ©rables et chĂ©tifs, ignorants et indignes de tels biens »71, Et l’on saisit ainsi, une fois de plus, combien la morale chrĂ©tienne, Ă©panouissement de cette vie divine infuse, transcende Ă  l’infini les morales philosophiques, tout en nous laissant parfaitement Ă  notre niveau de crĂ©atures /2, Chapitre XIV LA NORME DE LA MORALITE Tous les hommes possĂšdent la notion du bien et du mal, qui les introduit dans le domaine de la morale. MaĂŻs tous n’apprĂ©cient pas les actes de la mĂȘme maniĂšre. Certains se rĂ©fĂšrent surtout aux LOIS POSITIVES. S'ils n’ont pas de religion, ils se contentent d’obĂ©ir aux lois de l’Etat. S’ils sont chrĂ©tiens, ils se basent sur le DĂ©calogue, les prĂ©ceptes de l’Evangile et les directives de l'Eglise. Et ceci est bien les lois justes obligent en conscience, soit qu’elles relĂšvent du gouvernement civil, soit surtout qu’elles Ă©manent de la hiĂ©rarchie ecclĂ©siastique. Elles constituent la norme de la moralitĂ© objective positive. Les manuels indiquent clairement leur rĂŽle et les conditions de leur promulgation ; nous ne pouvons mieux faire que de renvoyer aux auteurs classiques, si l’on dĂ©sire les Ă©tudier. D’autres personnes se forgent une RÈGLE DE CONDUITE PERSONNELLE, et se guident l’un sur l’honneur, l’autre sur le plaisir, un troisiĂšme sur la raison, etc. Que penser de cette diversitĂ© ? N’y a-t-il pas une norme qui s’impose et Ă©chappe au caprice individuel ? Pour rĂ©pondre Ă  cette question, il faut l’envisager d’abord sous son aspect philosophique, puis sous son jour thĂ©ologique. Et nous verrons, une fois de plus, que ces deux points de vue se rejoignent parfaitement. Il nous suffira d’ailleurs d’appliquer dans ces deux cas des principes que nous connaissons dĂ©jĂ . I. — La norme de la morale philosophique Nous avons empruntĂ© nos principes mĂ©taphysiques Ă  la philosophie traditionnelle, qui prend sa source chez les grands penseurs grecs et s’épanouit dans le thomisme. Ici encore, c’est au courant issu de Socrate que nous allons recourir, en utilisant la notion de NATURE HUMAINE. C’est un fait que tous les ĂȘtres que nous observons sont soumis Ă  des lois fixes lois de pesanteur, de nutrition, de croissance, de reproduction, etc. Ils ne rĂ©alisent leur fin que dans la mesure oĂč ils observent ces lois. Ainsi une plante, par exemple une rose, a besoin de telle quantitĂ© de chaleur, d'humiditĂ©, d’azote, etc. Cela tient Ă  sa nature, qui n’est pas celle du lichen ou du perce-neige. L’horticulteur le sait bien, et il a soin de fournir Ă  ses rosiers ce qui leur convient. Il se base sur ce qu’il sait de leur nature. Les animaux ont aussi leur nature, plus riche que celle des plantes, puisqu'ils sont douĂ©s de connaissance sensible et de motricitĂ©. Pour savoir ce qui leur convient, il faut aussi Ă©tudier leurs tendances essentielles, expression de leur nature ; ainsi on n’élĂšvera pas une gazelle comme un chacal. L'homme ne fait pas exception Ă  cet ordre de choses lui aussi a une nature bien caractĂ©risĂ©e. Il est soumis Ă  des lois physiques, comme tout ĂȘtre matĂ©riel ; Ă  des lois biologiques, comme tout vivant ; Ă  des lois physiologiques, comme tout animal ; mais de plus il obĂ©it Ă  des lois psychologiques, puisqu'il est douĂ© de raison. Pour savoir ce qui lui convient, il faudra donc tenir compte de toutes ces tendances fondamentales. Autrement dit, la rĂšgle de sa conduite est inscrite dans sa nature humaine, tout comme la rĂšgle du dĂ©veloppement des autres ĂȘtres vivants est inscrite dans leur nature propre. Mais comme il se trouve au sommet de l’échelle des ĂȘtres de ce monde, ses tendances sont trĂšs complexes et pourront mĂȘme se trouver en conflit les unes avec les autres. Le critĂšre permettant de rĂ©soudre cet antagonisme sera celui de la HIÉRARCHIE DE CES TENDANCES. Il est normal que les inclinations de l’homme n’aient pas toutes la mĂȘme valeur, pas plus qu’une pierre n’est au niveau d’une plante, ni celle-ci au niveau d’un animal. En l’homme, c’est la raison qui est la facultĂ© supĂ©rieure c’est donc elle qui doit l’emporter dans le conflit avec les autres facultĂ©s. C’est pourquoi on pourra dire que la raison est la norme de la moralitĂ©. Mais il faut entendre cette formule dans le sens que nous venons d’exposer la raison est norme dans la mesure oĂč elle est l’expression de l’harmonie des tendances humaines, autrement dit l’expression de la nature humaine. En termes techniques, disons que la NATURE HUMAINE est la rĂšgle objective de la conduite, et LA RAISON, ou conscience, la rĂšgle subjective. Mais il doit y avoir accord entre les deux la raison n’a pas le droit de s’émanciper et de dĂ©crĂ©ter bien ce qui est mal ; elle doit baser ses verdicts sur la nature objective de l’homme, et elle les formera en se rĂ©fĂ©rant Ă  sa fin. Sera bon ce qui favorisera la fin individuelle, sociale, religieuse de l’homme ; sera mauvais ce qui contrariera cette fin. * Tels sont les principes gĂ©nĂ©raux concernant la RÈGLE PROCHAINE de la moralitĂ©. Philosophiquement c’est la premiĂšre Ă©tape de notre itinĂ©raire. Elle est assez solide pour se suffire Ă  elle-mĂȘme, dans un sens. Ceux-lĂ  mĂȘmes qui ne croient pas en Dieu, mais qui admettent le principe de finalitĂ© et le dĂ©terminisme de la nature, devraient logiquement en tenir compte. Il y a lĂ  un fondement incontestable en bonne philosophie, mĂȘme avant qu’on ait eu recours Ă  Dieu. Toutefois il faut aller plus loin, et aboutir Ă  la RÈGLE SUPRÊME de la moralitĂ©. En effet cet ordre que nous constatons dans tous les ĂȘtres de la nature, et particuliĂšrement chez l’homme, n’a pas sa raison d’ĂȘtre en lui-mĂȘme aucun des ĂȘtres qui nous entourent, ni mĂȘme leur totalitĂ©, ni les lois qui les dirigent, ne sont un Absolu. Donc ces lois ne s’expliquent que si elles sont une participation d’une loi divine et Ă©ternelle, qui existe en Dieu. De mĂȘme, la lumiĂšre de la raison humaine, qui aperçoit les lois de la nature et connaĂźt la fin de l’homme, et qui en dĂ©duit ce qui est bien et ce qui est mal, ne s’explique que si elle participe Ă  une LumiĂšre infinie, source unique des intelligences créées en mĂȘme temps que des lois de l’univers Nous aboutissons ainsi logiquement, en vertu du principe de causalitĂ© et de la doctrine de la participation, Ă  reconnaĂźtre que la rĂšgle suprĂȘme de la moralitĂ© n’est autre que DIEU ENVISAGÉ COMME VÉRITÉ INFINIE ET PROVIDENCE UNIVERSELLE. Si un acte est bon, ce n’est pas parce que Dieu l’a dĂ©crĂ©tĂ© tel d’une maniĂšre arbitraire c’est parce qu’il est conforme Ă  l’ordre universel organisĂ© par sa Sagesse Le fondement de la moralitĂ© n’est pas un acte de volontĂ©, c’est un acte d’intelligence. On voit ainsi ce qu’il y a d’exact, mais aussi parfois d’imparfait, dans les apprĂ©ciations courantes. Il est exact de recourir Ă  Dieu et Ă  la raison pour juger la moralitĂ© d’un acte ; de dire par exemple tel acte est mauvais parce que Dieu l’a dĂ©fendu, parce qu’il est contre nature, parce qu’il est dĂ©raisonnable. Mais il ne faut pas voir dans les dĂ©cisions de Dieu un verdict capricieux, ni dans la voix de la raison une interprĂ©tation indĂ©pendante la raison doit se conformer Ă  l’ordre des choses, et cet ordre lui-mĂȘme est pour ainsi dire le reflet de l’harmonie divine. II. — La norme de la moralitĂ© surnaturelle Dans l’étude du fondement de la rĂšgle des mƓurs, les manuels se bornent volontiers au point de vue philosophique, qui nous a retenu jusqu'ici. Cela suffirait dans l’établissement d’une Ă©thique naturelle ; mais cela ne suffit pas en morale chrĂ©tienne. QUAND ON À COMPRIS LE CARACTÈRE TRANSCENDANT DU CHRISTIANISME, LA VISION DU MONDE EST TRANSFORMÉE. Un chrĂ©tien qui vit de sa foi n’envisage pas comme un paĂŻen, celui-ci fĂ»t-il trĂšs vertueux, la santĂ© et la maladie, le renoncement et le plaisir, la pusillanimitĂ© et la magnanimitĂ©, l’individu et la sociĂ©tĂ©, etc. Le fameux principe des Grecs la vertu consiste dans un juste milieu », principe repris pourtant par S. Thomas, n’a plus le mĂȘme sens en christianisme qu’en Ă©thique. Bien souvent ce juste milieu » se situe Ă  une telle hauteur dans l’Evangile et dans la la vie des saints, qu’il ne ressemble guĂšre Ă  la modĂ©ration du sage paĂŻen. Nous reviendrons plus loin sur ce point ch. XXV. Comment justifier thĂ©ologiquement cette transposition ? Par des principes analogues Ă  ceux que nous venons d’établir. La RÈGLE OBJECTIVE de la morale chrĂ©tienne est notre organisme surnaturel, infus dans l’ñme au baptĂȘme et faisant fonction de nouvelle nature. Aux grandes Ă©poques de renouveau chrĂ©tien, l’Eglise appuie ses exhortations morales sur la dignitĂ© de l’ñme en Ă©tat de grĂące. Tel Ă©tait le langage de saint Paul ; tel celui des PĂšres de l’Eglise ; tel celui des rĂ©formateurs de tous les siĂšcles jusqu’à notre Ă©poque inclusivement. Rappelez-vous, dit-on aux fidĂšles, qu’au baptĂȘme vous ĂȘtes devenus fils de Dieu. Vivez donc d’une vie cĂ©leste, conformĂ©ment Ă  la rĂ©alitĂ© que vous portez en vous et aux promesses que vous avez faites » On ne peut signifier plus clairement que la rĂšgle objective de la morale chrĂ©tienne est LA SURNATURE REÇUE AU BAPTÊME et qui nous fait participer Ă  la grĂące capitale du Christ. L’analyse thĂ©ologique de cet organisme infus ne peut que corroborer ces vues. La nature, on le sait, est le principe Ă©loignĂ© des actions. Les facultĂ©s en sont le principe prochain. Appliquons ces prĂ©cisions Ă  la grĂące sanctifiante. Celle-ci joue en nous le rĂŽle d’une nature, qui, tout en Ă©tant vraiment nĂŽtre, est divine par participation. Elle est un germe destinĂ© Ă  grandir et Ă  s’épanouir dans la lumiĂšre de gloire. Il est dans l’ordre des choses que ce germe ne soit pas Ă©touffĂ©, mais qu’il se dĂ©veloppe normalement. Donc pour apprĂ©cier la valeur des actes moraux du chrĂ©tien il faudra examiner s’ils concourent au dĂ©veloppement de la grĂące ou s’ils lui font obstacle. Sera bon tout ce qui favorise l’épanouissement de la grĂące ; mauvais ce qui l’entrave ; indiffĂ©rent ce qui n’a aucun rapport avec elle. * Ce principe semble inĂ©branlable. Mais il est tellement gĂ©nĂ©ral qu’il serait d’un faible secours dans la pratique, si nous ne savions que la grĂące s’épanouit en principes prochains d’actions qui sont les vertus thĂ©ologales et morales. Alors tout s’éclaire. Nous dirons d’abord que sont bons les actes conformes aux vertus de foi, d’espĂ©rance et de charitĂ©. Ces trois branches maĂźtresses de notre organisme surnaturel nous situent d’emblĂ©e Ă  un plan d’action divin qui commande tout le reste. De plus, les vertus morales infuses qui en dĂ©coulent ont aussi leur statut surnaturel, nettement distinct des vertus naturelles qui leur correspondent les vertus infuses de prudence, de justice, de tempĂ©rance, de force, et toutes celles qui en dĂ©pendent sont autrement Ă©levĂ©es et exigeantes que ces mĂȘmes vertus envisagĂ©es philosophiquement. C’est tout cela grĂące sanctifiante, vertus thĂ©ologales, vertus morales infuses, qui constitue la norme objective ontologique de la morale surnaturelle. Il convient d’y ajouter aussi une NORME SUBJECTIVE ou formelle surnaturelle, qui est la conscience chrĂ©tienne, bien plus dĂ©licate et Ă©clairĂ©e que la conscience naturelle. Au lieu des seules lumiĂšres de la raison, elle jouit des clartĂ©s de la foi, auxquelles s’ajoutent les jugements de la prudence infuse, et, Ă  un plan diffĂ©rent, les suggestions des dons du Saint- Esprit. Sous l’action de Dieu et les illuminations du Saint-Esprit, l’ñme docile progresse indĂ©finiment dans la connaissance du bien et l’horreur du mal, et parvient Ă  ces rĂ©gions sublimes que la conscience des saints nous fait entrevoir. Il faut mĂȘme, pensons-nous prolonger jusqu’au bout le parallĂšle et la distinction par rapport Ă  la morale philosophique, et dire que la RÈGLE SUPRÊME de la morale chrĂ©tienne n’est pas exactement celle de l’éthique naturelle. Sans doute, dans les deux cas, c’est bien Dieu, Sagesse suprĂȘme, qui est cette rĂšgle, mais cette fois c’est Dieu en tant que Principe et organisateur de l’ordre surnaturel. C’est Dieu connu par la foi, Dieu Sauveur du monde et sanctificateur des Ăąmes. C’est un Dieu qui exige des efforts et montre des sommets qu’il ne pourrait nous proposer au seul titre de CrĂ©ateur. Aussi les Ăąmes charnelles », comme dit S. Paul, sont-elles incapables de comprendre ces exigences. Elles appellent folie » une Sagesse qui les surpasse. Mais c’est pourtant lĂ  que se trouve la pleine lumiĂšre. * En rĂ©sumĂ©, le chrĂ©tien, dans sa conduite morale, ne doit jamais aller contre les principes essentiels de la nature humaine et les lumiĂšres Ă©videntes de la raison naturelle. Mais il doit se baser surtout sur les principes surnaturels qui sont la loi de notre organisme infus. Pour cela il suit les lumiĂšres de sa conscience chrĂ©tienne, Ă©clairĂ©e par la foi et renforcĂ©e par les dons du Saint-Esprit. Ici, comme au plan naturel, il faut viser Ă  ce que l’accord soit parfait entre la norme subjective et la norme objective les intuitions particuliĂšres de nature mystique ne doivent jamais prĂ©valoir sur la norme objective. XV LA VERTU La vertu, selon S. Thomas, est un habitus conforme Ă  la raison”. Son Ă©tude est d’une importance capitale en morale dans son exposĂ© de la philosophie morale de S. Thomas, le P. Sertillanges prĂ©sentait le chapitre sur la vertu comme le plus important de la morale thomiste »”*, Le P. Mennessier, dans l’Initiation thĂ©ologique, introduit son exposĂ© sur les habitus par ces mots Voici la rĂ©alitĂ© morale par excellence la vertu »”. Ces auteurs ne veulent pas dire seulement que les vertus sont le principal objet d’étude du moraliste, mais surtout que pour comprendre l’élan, l’organisation et les articulations de la morale chrĂ©tienne, et spĂ©cialement de la morale thomiste, il faut soigneusement connaĂźtre la nature de la vertu en gĂ©nĂ©ral, tant au plan naturel qu’au plan surnaturel. On ne l’a pas toujours fait. Depuis le XVI* siĂšcle, la plupart des manuels de morale ont considĂ©rĂ© comme superflu le traitĂ© des habitus, base pourtant indispensable du traitĂ© des vertus, et ils ont prĂ©sentĂ© une morale sans structure mĂ©taphysique. Mais Ă  notre Ă©poque, oĂč l’on constate parfois un certain retour aux positions thomistes, les psychologues cf. LefĂšvre, Dwelshauvers ne donnent pas toujours une dĂ©finition exacte de l’habitus ils restreignent cette notion aux facultĂ©s supĂ©rieures et ne voient pas ses rapports avec les habitudes, qu’ils rĂ©servent Ă  tort au domaine des rĂ©actions physiologiques et nerveuses. Quelques auteurs mĂȘme, Ă©trangers au courant thomiste cf. JankĂ©lĂ©vitch, vont jusqu’à suspecter le rĂŽle des habitudes, et les considĂšrent comme des servitudes opposĂ©es Ă  la spontanĂ©itĂ© de l’esprit l’idĂ©al de l’action libre consisterait. selon eux, Ă  partir de zĂ©ro Ă  chaque action. Pour mettre un peu de clartĂ© dans cette variĂ©tĂ© d’opinions, nous allons rappeler trĂšs sommairement quelques notions touchant la mĂ©taphysique, la morale et la thĂ©ologie de la vertu. I. — La vertu en mĂ©taphysique Nous venons de dire que pour S. Thomas la vertu est un habitus conforme Ă  la raison. Pourquoi garder le terme latin d”’ habitus », plutĂŽt que d’employer son correspondant français d°’ habitude » ? Parce que le mot habitude, dans le sens courant du terme, et mĂȘme dans le langage des philosophes modernes, Ă©voque seulement une rĂ©alitĂ© expĂ©rimentale accessible au regard du sens commun comme aux investigations des psychologues. Par contre, l’habitus est un terme mĂ©taphysique qui dĂ©signe une rĂ©alitĂ© profonde cachĂ©e sous les apparences psychologiques. Voici un homme qui a l’habitude de juger droit. Nous disons, en mĂ©taphysiciens, qu’il n’y a pas lĂ  seulement une activitĂ© psychologique accessible Ă  notre apprĂ©ciation, mais un enrichissement rĂ©el de l’esprit de cet homme, qui perfectionne son intelligence et la rectifie d’une maniĂšre stable par rapport Ă  son objet propre qui est l’ĂȘtre considĂ©rĂ© sous l’angle de la vĂ©ritĂ©. Il nous serait bien impossible d’avoir l’intuition de cette rĂ©alitĂ©, et encore moins de communiquer cette intuition, car un ĂȘtre, en sa rĂ©alitĂ© profonde, est fort mystĂ©rieux. Nous ne pouvons aboutir Ă  cette affirmation qu’à l’aide d’une induction, irrĂ©futable, il est vrai si cet homme, dans des circonstances diverses et dĂ©licates, juge toujours droit, on ne peut dire que c’est par hasard. C’est parce que son esprit est douĂ© d’une qualitĂ© remarquable et stable, qu’on appelle prĂ©cisĂ©ment habitus. On rejoint ainsi les PRÉDICAMENTS D’ARISTOTE, clef de la mĂ©taphysique thomiste, explication profonde des rĂ©alitĂ©s spirituelles aussi bien que de toutes les autres rĂ©alitĂ©s — explication accessible seulement Ă  ceux qui ont dĂ©veloppĂ© en eux le sens de l’ĂȘtre, de son mystĂšre et de son analogie. Par nature, les facultĂ©s de l’ñme humaine, intelligence et volontĂ©, sont infiniment mallĂ©ables. Certes, elles ont chacune leur objet propre. L'intelligence a pour objet le vrai, et la volontĂ© le bien. Mais tant qu’elles ne seront pas en prĂ©sence de la VĂ©ritĂ© infinie et du Bien absolu, il leur sera toujours loisible de refuser leur adhĂ©sion et de choisir des vĂ©ritĂ©s partielles et sophistiques, et des biens apparents et trompeurs. Et plus elles multiplieront ces choix erronĂ©s, plus elles se durciront dans le sens de ces dĂ©viations. Par contre, la rĂ©pĂ©tition d’actes conformes aux tendances lĂ©gitimes de la nature les fixe dans le sens du vrai et du bien absolus. Dans un cas comme dans l’autre, la stabilitĂ© qui rĂ©sulte de la rĂ©pĂ©tition de leurs actes leur confĂšre une efficacitĂ© qu’on chercherait en vain dans les puissances dĂ©pourvues d’habitus. Elles semblent ainsi participer Ă  la fĂ©conditĂ© du dĂ©terminisme des lois de la nature et Ă  l’infaillibilitĂ© de l’instinct animal. Mais elles le font Ă  leur maniĂšre avec une libertĂ© spirituelle et une souplesse d’action qui n’a rien Ă  voir avec le mĂ©canisme de la matiĂšre et la cĂ©citĂ© de l’instinct. Et ce qu’il y a de remarquable, c’est que, en vertu de l’interpĂ©nĂ©tration de l’ñme et du corps, les facultĂ©s spirituelles communiquent leurs propriĂ©tĂ©s aux multiples tendances de l’affectivitĂ© sensible. Les habitus, qui ne sont nullement des qualitĂ©s de la matiĂšre, puisque la matiĂšre est dĂ©terminĂ©e une fois pour toutes, obtiennent ainsi une place privilĂ©giĂ©e dans la sensibilitĂ©, zone mitoyenne entre le corps et l’ñme. Plus les passions se soumettent Ă  l’empire de la raison, plus elles se spiritualisent, se fixent, s’approfondissent, et gagnent ainsi en efficacitĂ© — pour le mal comme pour le bien. IT. — La vertu en morale DĂšs qu’une facultĂ© spirituelle est orientĂ©e vers sa fin propre d’une maniĂšre stable au moyen des habitus, ces habitus sont appelĂ©s par les philosophes des vertus. En ce sens Aristote parlait aussi bien des vertus intellectuelles que des vertus morales. Il distinguait les vertus de l’intellect spĂ©culatif et celles de l’intellect pratique. Dans la premiĂšre catĂ©gorie il classait l’habitus des premiers principes, celui de science » des ĂȘtres par leurs causes prochaines, et celui de science » de l’univers par ses causes derniĂšres — ou sagesse. Dans la seconde catĂ©gorie il plaçait les virtuositĂ©s permettant Ă  l’homme de rĂ©aliser des Ɠuvres d’art. S. Thomas, tout en gardant les principes d’Aristote, a nettement assoupli sa terminologie en insistant sur la nĂ©cessitĂ© de rĂ©fĂ©rer les habitus Ă  la fin derniĂšre pour qu’ils mĂ©ritent le nom de VERTUS AU SENS STRICT. Par suite le terme de vertu est surtout employĂ© en morale et a pour contraire le vice. On saisit ainsi l’importance de la vertu. Tout ce travail de stabilisation et de soumission Ă  la raison qui, nous l’avons vu, caractĂ©rise d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale l’habitus, la vertu le rĂ©alise dans le sens de l’orientation de l’homme vers son Ă©panouissement naturel et surtout vers sa fin suprĂȘme qui est Dieu. Contrairement Ă  ceux qui estiment un homme au degrĂ© d’énergie qu’il doit dĂ©penser pour dompter ses passions, mĂȘme s’il lui arrive de capituler souvent devant elles, il faut dire que LA VRAIE VERTU SUPPOSE LA STABILITÉ, LA PROMPTITUDE ET LA FACILITÉ. Il n’est pas normal que l'intelligence et la volontĂ© demeurent toujours au mĂȘme niveau d’obscuritĂ© et de faiblesse, soient toujours aussi indĂ©cises en face de chaque dĂ©libĂ©ration, hĂ©sitent sans cesse dans le choix du bien ou du mal, et traĂźnent avec peine Ă  leur suite les autres facultĂ©s vers l’idĂ©al. Un effort aussi pĂ©nible dans la conduite morale rĂ©sulterait d’une discordance profonde des puissances spirituelles et sensibles. Or, sans compter qu’un tel dĂ©saccord conduit fatalement Ă  commettre beaucoup de fautes, il est l’indice d’une imperfection fondamentale qui s’oppose radicalement Ă  notre OBLIGATION DE TENDRE A LA PERFECTION. Comme le dit M. le chanoine Leclerca TENDRE A LA PERFECTION est ainsi le devoir fondamental. L’acte particulier est secondaire c’est la vie qui importe, la vie et tout le courant vital qui m’entraĂźne Ă  une telle allure que je ne puis en contrĂŽler que la plus faible partie. AssurĂ©ment je dois faire le bien et Ă©viter le mal dans les actes que je gouverne directement ; mais ils ne sont que la plus petite partie, et le bien, dans ces actes, est toujours, dans une certaine mesure, fonction de toute ma vie ; parfois ces actes. ne tirent leur signification que de leur place dans l’ensemble. 
 Je m’expose au pĂ©chĂ©, avant tout, en prenant de mauvaises habitudes ou en nĂ©gligeant d’en prendre de bonnes. NĂ©gliger d’en prendre de bonnes, laisser ma vie au hasard, c’est tĂ©moigner de l’indiffĂ©rence Ă  l’égard du bien, alors que mon premier devoir est de vouloir le bien. Ne pas le vouloir est une faute, mĂȘme si je ne veux pas positivement le mal. Et si je veux le bien, je dois user de toute l’influence que je puis exercer sur moi-mĂȘme pour former en moi des vertus, puisque la plupart de mes actes en dĂ©pendent » “6. Il y a lĂ  une vĂ©ritĂ© importante, trĂšs riche en applications spirituelles, et que malheureusement trop de chrĂ©tiens semblent ignorer. III. — La vertu en thĂ©ologie Pour comprendre la nĂ©cessitĂ© des habitus dans les facultĂ©s humaines, il faut, avons-nous dit, avoir le sens de l’ĂȘtre et de l’analogie de l’ĂȘtre. Si, maintenant, du plan naturel, nous passons au plan surnaturel, il est tout aussi indispensable d’avoir la mĂȘme vision profonde et analogique des choses, que ce soit pour les vertus thĂ©ologales ou pour les vertus morales infuses. Il n’y a pas de controverse au sujet de l’existence des VERTUS THÉOLOGALES elle est au moins thĂ©ologiquement certaine, sinon de foi. Et leur nature nous force Ă  assouplir la notion de vertu dans un sens analogique. Alors, en effet, que les vertus morales acquises prĂ©supposent des facultĂ©s naturelles auxquelles elles donnent seulement le moyen d’agir avec promptitude, joie et facilitĂ©, les vertus thĂ©ologales, au contraire, ne prĂ©supposent pas l’existence de facultĂ©s surnaturelles. Elles sont plutĂŽt elles-mĂȘmes assimilables Ă  des facultĂ©s directement infuses par Dieu et habilitant l’ñme Ă  poser des actes surnaturels. Quant Ă  la facilitĂ© d’action, elle est, en principe, octroyĂ©e aussitĂŽt, mais elle ne s’exercera que plus tard, dans la mesure oĂč les obstacles venant du tempĂ©rament et du caractĂšre disparaĂźtront. La mĂȘme unanimitĂ© ne se retrouve pas au sujet des VERTUS MORALES SURNATURELLES. Pour les uns, celles-ci ne sont pas infuses. Pour S. Thomas, elles sont infuses, en ce sens qu’elles dĂ©coulent des vertus thĂ©ologales, qui sont elles- mĂȘmes l’épanouissement de la grĂące habituelle. L'Eglise n’ayant rien dĂ©fini, la question reste libre. Mais nous pensons que la position thomiste rend mieux compte de la richesse surabondante de la grĂące du Christ. En effet, rappelons - nous l’argumentation mĂ©taphysique qui nous a permis de justifier la nĂ©cessitĂ© des habitus psychologiques Nous disions que la rĂ©pĂ©tition d’une multitude d’actes dans la mĂȘme direction ne se fait pas au hasard elle suppose, dans la facultĂ© qui les produit, une qualitĂ© stable, rĂ©elle quoique mystĂ©rieuse, qui s’appelle habitus. Dans les actes orientĂ©s vers la fin derniĂšre, ces habitus se nomment des vertus au sens strict. On est amenĂ© Ă  cette conclusion en vertu du principe mĂȘme de causalitĂ©. Or les ACTES surnaturels de prudence, de tempĂ©rance et de toutes les autres vertus morales, se distinguent essentiellement des ACTES naturels produits par ces mĂȘmes vertus quand elles sont seulement acquises. Tous les thĂ©ologiens sont d’accord sur ce point. Tous enseignent que pour entrer au ciel il ne suffit pas de faire des actes naturellement bons, mais des ACTES INTRINSÈQUEMENT SURNATURELS en premier lieu, des actes des vertus thĂ©ologales, puis au moins quelques actes des vertus morales. Ainsi, mĂȘme le pĂ©cheur qui se convertit Ă  la derniĂšre minute doit aussi ajouter, aux actes des vertus thĂ©ologales, des actes de pĂ©nitence surnaturelle. S’il revient Ă  la santĂ©, il ne peut se contenter d’aimer Dieu, il doit le prouver par des actes moraux surnaturels, de justice, etc. Mais — et c’est ici le nƓud du dĂ©bat — pour expliquer la nature de ces actes surnaturellement bons, suffit-il de dire qu’ils ont Ă©tĂ© MOTIVÉS par des raisons surnaturelles, et INSPIRÉS par la foi et la charitĂ© D77, Sans doute cette transformation serait dĂ©jĂ  quelque chose de trĂšs grand. Elle suffirait Ă  faire passer les vertus acquises de l’état purement naturel Ă  un authentique Ă©tat surnaturel”, Mais il semble qu’il faut aller plus loin, et dire que ces vertus morales sont surnaturelles, non seulement quant Ă  leur maniĂšre, mais quant Ă  leur origine, autrement dit qu'ELLES SONT INFUSES, et non seulement acquises. 1. — Voici, par exemple, un ENFANT NOUVELLEMENT BAPTISÉ. Tous les thĂ©ologiens admettent qu’il possĂšde les vertus thĂ©ologales, puisque, s’il vient Ă  mourir, il va au ciel, et qu’on ne peut entrer au paradis sans foi, ni espĂ©rance, ni charitĂ©. Et cependant il n’a fait aucun acte conscient de ces trois vertus. Il ne possĂšde celles-ci qu’à titre de principes de vie, de la mĂȘme maniĂšre qu’un nouveau-nĂ© ne fait aucun acte d'intelligence, mais possĂšde cependant la facultĂ© d’en faire. Mais, pour entrer au ciel, n’a-t-il pas autant besoin de vertus morales que de vertus thĂ©ologales ? Quand nous traiterons de la prudence, nous verrons combien intrinsĂšquement cette vertu est liĂ©e Ă  la charitĂ©. La charitĂ© unit Ă  Dieu, fin derniĂšre de l’homme. Mais qui veut la fin veut les moyens. Or la prudence a pour rĂŽle essentiel d’adapter les moyens Ă  la fin derniĂšre. Il est donc impossible d’aimer vraiment Dieu si on n’est pas disposĂ©, par la prudence, Ă  prendre les moyens de l’aimer. Une charitĂ© sans prudence serait une notion contradictoire. Or comment le nouveau-baptisĂ© — enfant ou mĂȘme adulte — pourra-t-il avoir cette prudence surnaturelle, si elle n’est pas infuse par Dieu ? 2. — Pour l’enfant, c’est clair. Et POUR L’ADULTE AUSSI, vu que ses habitudes acquises sont souvent aux antipodes des vertus les plus indispensables Ă  un chrĂ©tien. Bien sĂ»r, il ne s’agit pas de concevoir ces vertus morales, chez le nĂ©ophyte, comme des choses projetĂ©es massivement et en ordre dispersĂ© dans l’ñme elles y sont Ă  titre de dispositions fondamentales incluses dans la charitĂ© et insĂ©parables d’elle ; elles y sont Ă  l’état virtuel. Mais cela suffit pour qu’elle y soient Ă  l’état rĂ©el la puissance mĂ©taphysique est une rĂ©alitĂ©. De mĂȘme encore, il ne faudrait pas s’imaginer que, au cours des PROGRÈS MORAUX du baptisĂ©, les vertus infuses s’accroissent sans aucun rapport avec les vertus acquises. Cela peut se produire, dans le cas d’ñmes ferventes mais faibles. Toutefois cela ne semble pas normal. Normalement, la vertu infuse assume la vertu acquise et la transforme, comme, dans une plante, le principe de vie assimile les sucs matĂ©riels matiĂšre et forme, en mĂ©taphysique, sont deux principes distincts, mais constituent une seule et mĂȘme rĂ©alitĂ© ; il en est de mĂȘme pour cette rĂ©alitĂ© qu'est la vertu morale surnaturelle, Ă  la fois acquise et infuse. 3. — Un autre argument peut aussi se tirer de la parentĂ© de notre vie surnaturelle avec CELLE DE L’'HOMME-DIEU. Si l’on refuse absolument d’admettre l’existence de vertus morales infuses, il n’y a pas de raison de faire une exception pour le Christ. Or ne rĂ©pugne-t-il pas de penser que JĂ©sus Enfant aurait Ă©tĂ© privĂ© de vertus morales tant qu’il ne les aurait pas eu acquises par sa propre activitĂ© psychologique ? Peut-on supposer que l’Enfant de la CrĂšche n’avait ni prudence, ni humilitĂ©, ni aucune vertu morale ? N’est-il pas plus vraisemblable que sa vertu infuse de charitĂ© s’épanouissait dans toutes les vertus morales convenables Ă  un Enfant- Dieu ? Mais notre grĂące habituelle est une participation de la grĂące capitale du Christ. Il est donc normal que nos vertus surnaturelles soient chez nous comme chez lui, infuses et non pas seulement acquises. Une fois ceci admis, la transformation surnaturelle de l’ñme apparaĂźt dans toute sa puretĂ©. Les vertus des saints — pensons Ă  la virginitĂ© de Marie, Ă  l’humilitĂ© d’un CurĂ© d’Ars, etc. — ne sont pas seulement une Ɠuvre humaine, mais un DON ESSENTIELLEMENT DIVIN. Notre culte pour eux atteint donc tout spontanĂ©ment Dieu en eux, puisque tout, en eux, est de Dieu, en mĂȘme temps que tout est d’eux-mĂȘmes. * On OBJECTE Ă  cette doctrine thomiste des vertus infuses qu’il ne faut pas multiplier les ĂȘtres sans nĂ©cessitĂ©â€? Ă  quoi bon voir un don spĂ©cial de Dieu dans toute vertu surnaturelle, quand, Ă  la rigueur, on peut se passer de cette intervention divine ? L’objection ne porte pas. Ou plus exactement, nous admettons sans restriction aucune cette formule. Mais nous prĂ©tendons que prĂ©cisĂ©ment le rĂ©el est trĂšs compliquĂ©. Si donc nous voulons ĂȘtre dociles au rĂ©el, force nous est d’admettre cette multiplication » d’entitĂ©s. Ceci est indiscutable en bonne mĂ©taphysique — contre les nominalistes et les cartĂ©siens. DĂšs qu’on a saisi le mystĂšre de l’ĂȘtre et sa richesse insondable, on ne fait aucune difficultĂ© d’admettre comme rĂ©els une quantitĂ© de modes d’ĂȘtre inaccessibles Ă  notre imagination. Et alors on est tout prĂ©parĂ© Ă  admettre une RICHESSE ANALOGUE DANS LE MONDE SURNATUREL. Bien mieux, si peu que l’on admette la correspondance de la nature et de la grĂące, cette complexitĂ© » rĂ©sultant de la rĂ©alitĂ© ontologique des vertus surnaturelles apparaĂźt comme devant s’imposer. CONCLUONS que la doctrine thomiste des vertus morales infuses est plus conforme Ă  la RĂ©vĂ©lation, plus en rapport avec les principes de la mĂ©taphysique thomiste, et plus apte Ă  expliquer la psychologie des chrĂ©tiens et des saints. Ici encore, il faut noter que la position doctrinale n’est pas sans entraĂźner d'importantes consĂ©quences pratiques. Selon que l’on admet l’une ou l’autre des deux opinions en prĂ©sence, il en rĂ©sulte — Ă  condition d’ĂȘtre logique — des formules de spiritualitĂ© nettement diffĂ©rentes. Normalement, une Ăąme qui n’admet que des vertus morales acquises fera dominer l’ascĂšse et l’exercice. Celle qui accepte la doctrine des vertus morales infuses mettra l’accent sur l’oraison et le progrĂšs dans la grĂące habituelle. XVI L’OBEISSANCE AUX LOIS L’obĂ©issance aux lois est souvent mal comprise. On ne voit dans les lois qu’une contrainte arbitraire. Aussi transgresse-t-on sans scrupule la loi naturelle ; on rejette les lois de Dieu et de l’Eglise ; on dĂ©nigre les lois civiles et on les Ă©lude par principe. Et l’on croit toujours avoir de bonnes raisons d’agir ainsi. Une juste notion de la loi, telle que l’enseigne S. Thomas dans la Somme ThĂ©ologique!, permettrait d’éviter ces erreurs. Certes, les manuels de thĂ©ologie les plus rĂ©pandus s’efforcent de mettre les choses au point de leur mieux. Mais ils ne peuvent le faire d’une maniĂšre aussi approfondie que S. Thomas. Nous voudrions seulement donner une idĂ©e de son beau traitĂ©, et inviter ainsi les lecteurs Ă  s’y reporter eux-mĂȘmes. Nous verrons d’abord que les lois sont essentielles Ă  l’homme, et que si on les rattache Ă  leur source divine, elles acquiĂšrent une grandeur qui les rend attrayantes et aimables. I. — Les lois sont essentielles Ă  l’homme Certains philosophes contemporains, surtout existentialistes, avouent sans ambages que la notion mĂȘme d’ĂȘtre créé leur rĂ©pugne. Ils conçoivent les rapports entre la crĂ©ature et le crĂ©ateur comme tellement contraignants qu’ils ne voient pas comment la libertĂ© peut y trouver une place. Or la libertĂ© leur paraissant une valeur absolue et intangible, ils prĂ©fĂšrent nier Dieu, obstacle prĂ©tendu Ă  cette libertĂ©. Bien des personnes qui ne sont pas des philosophes par profession expriment le mĂȘme sentiment Ă  leur maniĂšre en reprochant Ă  Dieu de les avoir créées. N’ayant pas demandĂ© Ă  naĂźtre, comme elles disent, elles ne se sentent aucune obligation envers lui, et elles agissent comme bon leur semble. Un peu de bon sens permet de rĂ©futer ces fantaisies vulgaires, et un peu de rĂ©flexion peut mettre au point les objections des philosophes. Vous n’avez pas demandĂ© Ă  naĂźtre ? dites-vous. Mais comment Dieu aurait-il pu solliciter votre consentement Ă  l’existence sans vous donner au prĂ©alable la vie et l’intelligence ? Tout au plus, aprĂšs vous avoir créés, aurait-il pu vous laisser le choix entre continuer de vivre ou retourner au nĂ©ant. Mais qui ne voit combien cette seconde hypothĂšse est contre-nature ? C’est un fait bien connu que personne ne prĂ©fĂšre le nĂ©ant Ă  la vie, Ă  moins d’ĂȘtre dĂ©sĂ©quilibrĂ©. Et dĂšs que l’on connaĂźt le prix de la vie, et surtout la sublimitĂ© de notre vocation surnaturelle, ce serait faire Ă  Dieu une insulte intolĂ©rable que de lui prĂ©fĂ©rer la non-existence. Or dĂšs lĂ  qu’un ĂȘtre est créé, il se trouve nĂ©cessairement dans un Ă©tat de dĂ©pendance EXISTENTIELLE absolue, radicale, par rapport Ă  Dieu, et soumis Ă  des lois fondamentales insĂ©parables de son ESSENCE. En effet, au plan de l’existence, nous ne pouvons pas plus nous suffire Ă  nous-mĂȘmes qu’un rayon de soleil ne peut subsister en se dĂ©tachant de sa source lumineuse. Comme cette vĂ©ritĂ© mĂ©taphysique Ă©chappe Ă  notre conscience psychologique, nous sommes portĂ©s Ă  croire que nous sommes les maĂźtres absolus de notre ĂȘtre et de nos actions. MaĂŻs c’est une erreur. Rien de ce que nous avons et de ce que nous sommes ne peut Ă©chapper au souverain empire de Dieu. Au plan de l’essence, mĂȘme nĂ©cessitĂ© dans la dĂ©limitation et la dĂ©finition un ĂȘtre ne peut exister sans possĂ©der des caractĂšres distinctifs qui le situent dans une catĂ©gorie dĂ©terminĂ©e les propriĂ©tĂ©s du plomb ne peuvent ĂȘtre celles de l’or ; la rose ne peut avoir les qualitĂ©s du lys, et les lois des uns et des autres sont insĂ©parables de leur essence, dont elles dĂ©coulent nĂ©cessairement. Vouloir exister sans ĂȘtre soumis Ă  des lois essentielles et sans dĂ©pendre radicalement du CrĂ©ateur, c’est, chez un ĂȘtre créé et limitĂ©, prĂ©tendre Ă  une utopie irrĂ©alisable et absurde?. IT. — La loi Ă©ternelle Cette nĂ©cessitĂ© essentielle et existentielle ne constitue pas pour la crĂ©ature une diminution injuste ni une contrainte humiliante c’est au contraire, pour elle, sa maniĂšre propre de ressembler Ă  la divinitĂ©. Pour le comprendre, il est nĂ©cessaire de rappeler quelques notions de mĂ©taphysique thomiste. Beaucoup de nos contemporains n’ont aucun goĂ»t pour ce genre de spĂ©culation. Toujours Ă  l’affĂ»t de nouveautĂ©s, ils dĂ©daignent un systĂšme dont les principes remontent Ă  Platon, Ă  Aristote et aux StoĂŻciens, et dont les racines plongent dans les intuitions prĂ© - mĂ©taphysiques du modeste sens commun. Quand on leur parle de participation » et d’ analogie », ils prĂ©tendent que ces notions, telles du moins que le thomisme les utilise, ne disent plus rien Ă  l’esprit moderne. Ils prĂ©fĂšrent se mettre Ă  la remorque des phĂ©nomĂ©nologues et des existentialistes et fonder la morale sur d’autres bases. Cette mĂ©connaissance relĂšve sans doute des prĂ©jugĂ©s et de l’ignorance. En rĂ©alitĂ©, les principes thomistes bien compris sont aussi solides aujourd’hui qu’au XIII siĂšcle et merveilleusement aptes Ă  fonder une morale mĂ©taphysique ferme et cohĂ©rente. I. La notion de base, quand il s’agit de justifier les lois des ĂȘtres créés, est la notion platonicienne de PARTICIPATION. On a prĂ©tendu que c’est lĂ  un problĂšme Ă©tranger au systĂšme » de S. Thomas, sous prĂ©texte qu’on ne l’a pas Ă©tudiĂ© ex professo en thomisme avant le deuxiĂšme quart du XX° siĂšcle »%3, Mais, quelles que soient les raisons des nĂ©gligences passĂ©es, la notion de participation, loin d’ĂȘtre Ă©trangĂšre au thomisme, lui est essentielle. Pour nous borner Ă  la question actuelle des lois des ĂȘtres créés, il est clair que ces lois n’ont de consistance que dans la mesure oĂč elles participent au plan Ă©ternel Ă©tabli par Dieu et contemplĂ© par lui de toute Ă©ternitĂ©. Toute la rĂ©gularitĂ©, la constance, l’harmonie des lois, objet des recherches et des Ă©merveillements des savants, suppose manifestement un prototype Ă©ternel qui, dans sa transcendance et son unitĂ©, contienne et produise la diversitĂ© des lois particuliĂšres tel un rayon rĂ©fractĂ© par un miroir Ă  facettes. IT. Un rayon rĂ©fractĂ©.. Ă  condition de prĂ©ciser aussitĂŽt qu’il y a une diffĂ©rence de nature entre la source divine de ce rayon et sa propre substance. Car ici intervient une nouvelle notion, aristotĂ©licienne cette fois, qui nous aide Ă  comprendre l’abĂźme qui sĂ©pare la Loi Ă©ternelle et les lois de la nature c’est l'ANALOGIE. Les lois que nous admirons dans les ĂȘtres créés sont adaptĂ©es Ă  ces derniers, de mĂȘme que la Loi Ă©ternelle est en Dieu d’une maniĂšre ineffable et propre Ă  la transcendance divine. Mais ce double mystĂšre de la participation et de l’analogie n’empĂȘche nullement d’affirmer un lien rĂ©el de parentĂ© entre les lois de la nature créée et la Loi divine ; sinon il faudrait renoncer Ă  expliquer l’existence de l’ĂȘtre créé. IT. D'autant plus qu’un troisiĂšme Ă©lĂ©ment intervient pour Ă©carter toute ambiguĂŻtĂ© et tout danger de panthĂ©isme le dogme chrĂ©tien de la CRÉATION. GrĂące Ă  cette vĂ©ritĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e, nous savons que l’ĂȘtre créé n’est pas de la mĂȘme nature que Dieu. Si grande que soit l’assimilation de la crĂ©ature au CrĂ©ateur, si intime que soit dans le cas des Ăąmes saintes son union avec lui, elle reste toujours crĂ©ature, qu’elle demeure par essence un pur nĂ©ant, reçoit tout de Dieu, et agit sans cesse sous sa dĂ©pendance. Tout ceci, dira-t-on, est bien mystĂ©rieux. Sans doute. Mais cette obscuritĂ© est due Ă  la transcendance divine et n’empĂȘche nullement la solution thomiste de projeter une brillante lumiĂšre sur la question. Les lois créées nous apparaissent ainsi comme le reflet d’une rĂ©alitĂ© infiniment adorable elles nous font participer d’une certaine maniĂšre Ă  l’harmonie divine, et loin de nous Ă©craser capricieusement, elles sont la condition essentielle de notre existence et le signe de notre grandeur. IIT. — La loi naturelle Tous les ĂȘtres ont leurs lois, tous ont un poids, une inclination qui les oriente vers leur fin. Les ĂȘtres purement matĂ©riels sont soumis aux lois physiques. Les vivants, plantes et animaux, ont Ă  la fois des lois physiques et des lois physiologiques qui les poussent vers leur Ă©panouissement normal. Ces lois, nous l’avons vu, les font participer Ă  la loi divine Ă©ternelle. L’homme ne fait pas exception lui aussi est soumis Ă  des lois physiques et physiologiques, et, de plus, Ă  des lois psychologiques qui lui sont propres. Mais il a le privilĂšge d’ĂȘtre conscient de ses tendances. Il peut les suivre ou leur rĂ©sister ; il peut les adapter aux circonstances du moment ; en un mot, elles ne s’imposent pas Ă  lui d’une maniĂšre aveugle et irrĂ©sistible, mais dans la lumiĂšre et la souplesse, comme il convient Ă  un ĂȘtre intelligent et libre. Cette prise de conscience. unifiĂ©e grĂące Ă  l’intuition primordiale de l'esprit, s’appelle la LOI NATURELLE. Pour la connaĂźtre, point n’est besoin d’une rĂ©vĂ©lation spĂ©ciale, ni de l’injonction d’une voix cĂ©leste » au fond du coeur il suffit de connaĂźtre la nature de l’homme et ses caractĂšres essentiels. Cette conception thomiste de la loi naturelle, partiellement Ă©laborĂ©e dĂ©jĂ  par les Grecs, et spĂ©cialement par les StoĂŻciens84, est Ă  la fois trĂšs concrĂšte et trĂšs Ă©levĂ©e., Elle explique, d’une part, comment l’homme S’APPARENTE FONCIÈREMENT A TOUTE LA NATURE, inanimĂ©e et vivante. Il est l’aboutissement de toutes les lois du cosmos, qu’il synthĂ©tise en sa personne douĂ©e de raison. Selon l’expression du P. Sertillanges, il est une crĂȘte de vague », dont les sommets brillants sont soutenus par la profondeur des abĂźmes. Mais, d’autre part, il PARTICIPE D’UNE MANIÈRE PRIVILÉGIÉE A LA LOI ÉTERNELLE. Car les autres ĂȘtres sont rĂ©gis passivement par leurs lois, mĂȘme les animaux qui sont esclaves de leurs instincts. Par suite, leur participation Ă  la loi Ă©ternelle est lointaine et trĂšs analogique. Tandis que lui, qui a le contrĂŽle et la direction de ses propres actions, et qui, de plus, commande aux autres ĂȘtres, participe d’une façon beaucoup plus parfaite Ă  la providence divine, et donc lui est soumis d’une maniĂšre plus excellente, dit S. Thomas”. Il reçoit sans doute tout de Dieu ; il dĂ©pend sans cesse de lui. Mais il dispose des bienfaits divins avec une autonomie qui fait de lui le roi de la crĂ©ation. Selon la jolie formule de Kierkegaard LĂ  est l’incomprĂ©hensible ...que la toute-puissance, qui par sa main trĂšs forte peut empoigner si lourdement le monde, puisse en mĂȘme temps se rendre si lĂ©gĂšre que la chose créée reçoive l’indĂ©pendance »%, Oui, ce mystĂšre est incomprĂ©hensible, mais il est la seule explication adĂ©quate de la grandeur de l’homme, en mĂȘme temps que de sa dĂ©pendance. Par sa nature intelligente et libre, l’homme Ă©merge du cosmos matĂ©riel et s’apparente Ă  Dieu, autant qu’une crĂ©ature peut le faire au plan purement naturel. Jusqu'oĂč s’étend la loi naturelle ? Certains manuels, et mĂȘme quelques formules de saint Thomas semblent la restreindre aux tout premiers principes. Certes, si l’on se contente d’une enquĂȘte positive sur l’histoire de l’humanitĂ©, on constate que la conduite morale a beaucoup variĂ© d’un millĂ©naire Ă  l’autre. Encore maintenant vĂ©ritĂ© en - deçà des PyrĂ©nĂ©es, erreur au-delĂ  ». Et si l’on veut borner la loi naturelle aux seuls principes qui aient Ă©tĂ© admis en tout temps et universellement, son contenu sera fort maigre. Mais il semble prĂ©fĂ©rable de se baser, non sur ce que les hommes ont fait et font encore, mais plutĂŽt SUR LA NATURE HUMAINE telle que la rĂ©vĂšle une Ă©tude objective et complĂšte. Et alors on dira que la loi naturelle Ă©quivaut pratiquement Ă  la raison naturelle, et s’étend trĂšs loin”. Il est sans doute difficile et dĂ©licat de prĂ©ciser toujours Ă  coup sĂ»r ce qui dĂ©coule vraiment de la nature humaine et fait donc partie de la loi naturelle. Mais la possibilitĂ© d’erreur en la matiĂšre ne fait pas de difficultĂ© de principe, pas plus que la possibilitĂ© d’erreur en logique, en mĂ©taphysique et en toutes les sciences naturelles ou philosophiques ne nous empĂȘche d’affirmer qu’il y a une vĂ©ritĂ© objective en logique, en mĂ©taphysique et dans les autres sciences. Il suffit de procĂ©der, en morale comme partout ailleurs, avec mĂ©thode, prudence, absence de prĂ©jugĂ©s, et en connaissance de cause. Du reste il faut convenir que certains articles dĂ©coulent moins directement que d’autres de la nature humaine dĂ»ment analysĂ©e. Parfois mĂȘme les applications seront lĂ©gitimement discutables en bonne philosophie. Mais c’est ici que pourra intervenir la loi positive. IV. — La loi positive De mĂȘme que la loi naturelle prend toute sa grandeur de sa participation Ă  la loi Ă©ternelle, la loi positive tire toute sa dignitĂ© de ses rapports avec la loi naturelle. Elle ne s’impose Ă  la conscience des citoyens que dans la mesure oĂč elle en dĂ©coule, Une loi positive qui serait opposĂ©e Ă  un prĂ©cepte essentiel de la loi naturelle serait une loi injuste. Pour rester dans la ligne de la loi naturelle, la loi positive doit tenir compte des droits imprescriptibles de l’homme, et en mĂȘme temps viser LE BIEN COMMUN de la sociĂ©tĂ©. Il appartient au lĂ©gislateur de doser Ă©quitablement les obligations qu’il impose en apprĂ©ciant les possibilitĂ©s de chacun. Les lois ne peuvent exiger l’hĂ©roĂŻsme ; elles ne visent pas une Ă©lite elles s’adressent Ă  la foule, mĂȘme quand elles ne visent qu’une catĂ©gorie de personnes. De plus elles n’ont pas Ă  s’immiscer dans la conduite secrĂšte des individus, quand elle est sans aucun rapport avec le bien commun. A plus forte raison elles ne peuvent imposer des convictions philosophiques ou religieuses, qui relĂšvent du domaine strictement personnel. Quand toutes ces conditions sont remplies, les citoyens doivent obĂ©ir en conscience Ă  la loi civile. DĂšs qu’on a compris le rĂŽle des lois positives justes, et leur rapport essentiel avec la loi naturelle, on ne peut que leur obĂ©ir sincĂšrement. En thomisme, il n’y a pas de lois purement pĂ©nales. Il peut y avoir des cas individuels qui nĂ©cessitent une exception Ă  la rĂšgle mais alors c’est la dispense lĂ©gitime qui intervient, et la dispense particuliĂšre n’empĂȘche pas la loi de subsister et d’obliger dans tous les autres Cas. Les LOIS DE DIEU ET DE L'EGLISE rentrent dans la catĂ©gorie des lois positives. Au fond, le DÉCALOGUE, bien qu’imposĂ© par Dieu, ne contient pour l’essentiel que des obligations dĂ©jĂ  imposĂ©es par la loi naturelle. Il oblige donc Ă  double titre. Si Dieu l’a appuyĂ© de son autoritĂ© souveraine, c’est qu’il connaissait bien l’ignorance et la perversitĂ© des hommes. Il a jugĂ© bon de prĂ©ciser certains dĂ©tails, moraux, sociaux ou liturgiques, et de sanctionner les bonnes et mauvaises actions par des rĂ©compenses et des punitions adaptĂ©es Ă  la mentalitĂ© de l’époque. On pourrait dire aussi que les lois de L'EGLISE s’expliquent Ă  un double titre. En effet, l’Eglise est une sociĂ©tĂ© humanodivine. Ainsi l’a voulu son fondateur. Il est donc normal qu’on retrouve en elle des lois contraignantes, comme en toute sociĂ©tĂ©, et que ces lois soient nimbĂ©es de l’autoritĂ© divine de leur auteur. En tant qu’elle est divine, l’Église est chargĂ©e de spĂ©cifier la loi Ă©vangĂ©lique ; elle a particuliĂšrement pour rĂŽle de nous transmettre la grĂące de JĂ©sus-Christ, et elle le fait habituellement par les sacrements. Or les sacrements sont des signes sensibles, qui exigent des prĂ©cisions de temps, de lieu, de maniĂšre, de personnes, etc. L'Eglise est donc en droit de lĂ©gifĂ©rer Ă  leur sujet. Elle peut, par exemple, prĂ©ciser les conditions du jeĂ»ne eucharistique, les modalitĂ©s du culte divin, la nature de la langue liturgique, les rubriques du missel et du brĂ©viaire, etc. Et il est Ă©vident que ces prescriptions obligent en conscience, encore plus Ă©troitement que les lois civiles d’une sociĂ©tĂ© purement humaine. Comment se fait-il donc que beaucoup de catholiques de notre Ă©poque en prennent Ă  leur aise avec toutes ces lois ? De plus, l’Eglise est une sociĂ©tĂ© humano-divine. Elle est constituĂ©e ici - bas par des hommes hiĂ©rarchisĂ©s, unis dans la diversitĂ© des temps et des lieux, et offrant extĂ©rieurement tous les caractĂšres des autres sociĂ©tĂ©s, avec cette particularitĂ© qu’elle s’étend Ă  l’univers entier, tout en demeurant par nature extrĂȘmement une et centralisĂ©e. Comment, dans ce cas, ne pas faire une part importante au Droit ? Or, en matiĂšre de Droit, on rencontre nĂ©cessairement des prescriptions mĂ©ticuleuses, oĂč des dĂ©tails parfois infimes de temps, de quantitĂ©, de qualitĂ©, etc., s’imposent sous peine d’invaliditĂ©. Il est donc normal de rencontrer les mĂȘmes exigences dans la lĂ©gislation de l’Eglise. Plus d’une prescription obligera en conscience, et parfois sous peine de pĂ©chĂ© mortel. Enfin l’Eglise peut prĂ©ciser certains points importants de la loi naturelle6?. CONCLUONS que toutes les lois divines et humaines, naturelles et positives, sociales et ecclĂ©siastiques, ne doivent pas ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme des inventions mesquines et inutiles, mais qu’elles sont une condition indispensable de l’existence des individus et des sociĂ©tĂ©s, et que leur participation Ă  la loi Ă©ternelle les aurĂ©ole d’une grandeur et d’une beautĂ© qui les impose Ă  notre respect, Ă  notre obĂ©issance et Ă  notre amour. XVII LA LOI NOUVELLE Le traitĂ© de S. Thomas sur les lois se termine par l’exposĂ© de la Loi Ă©vangĂ©lique, source de libĂ©ration beaucoup plus que de contrainte. Comme certains catholiques de notre temps exagĂšrent cet Ă©lĂ©ment de libertĂ© au point de le dĂ©naturer, nous allons prĂ©ciser sa nature en rappelant d’abord quelques principes mĂ©taphysiqnes sous-jacents Ă  la solution du problĂšme et mĂ©connus par certains philosophes contemporains. I. — La libertĂ© de perfection Nous avons parlĂ© plus haut cf. Chap. XI sur la libertĂ© de l’acte moral de la libertĂ© psychologique. Nous envisagions seulement la possibilitĂ© pour l’homme de choisir entre deux objets, et nous avons vu que la thĂ©orie classique de la libertĂ© permet, si on la comprend bien, d’expliquer ce pouvoir en dĂ©pit des difficultĂ©s opposĂ©es de nos jours. Mais le problĂšme est plus profond et Sartre l’a bien vu. Il s’agit de savoir si, fondamentalement, la libertĂ© est convenable chez un ĂȘtre soumis Ă  des lois. Ce n’est plus un problĂšme psychologique, mais ONTOLOGIQUE. Sartre rĂ©pond nĂ©gativement. Si l’essence, dit-il, prĂ©cĂšde » l’existence, elle impose les lois qui dĂ©coulent d’elle, et l’ĂȘtre n’a plus qu’à les subir passivement il est esclave, il n’est pas libre. Aussi prĂ©tend-il que l’existence prĂ©cĂšde l’essence l’homme se façonne Ă  sa guise, il fait de lui ce qu’il veut et le rĂ©sultat de son action est la nature » qui le dĂ©finit c’est son essence », postĂ©rieure Ă  son existence. Il y a une part de vĂ©ritĂ© dans cette thĂ©orie, comme il y en a dans toute erreur. Il est exact que l’homme, par sa volontĂ©, peut modifier partiellement son comportement gĂ©nĂ©ral, et mĂȘme son tempĂ©rament. Mais de lĂ  Ă  prĂ©tendre que l’existence prĂ©cĂšde » l’essence, il y a un abĂźme. La cellule embryonnaire de l’ĂȘtre humain porte dĂ©jĂ  en elle toutes les lois de son dĂ©veloppement, qui font de cette cellule une essence » dĂ©terminĂ©e, un homme en puissance, et non un animal ou une plante. Quand cet homme aura assez de libertĂ© pour modifier le cours de son dĂ©veloppement, le rĂ©sultat de son action, si important soit-il, sera infinitĂ©simal par rapport Ă  ce qu’il aura reçu de la nature il pourra bien apporter quelques nuances Ă  sa constitution individuelle, mais l’ essentiel » lui aura Ă©tĂ© donnĂ© ; son essence aura prĂ©cĂ©dĂ© » son existence, ou plus exactement, son essence allait de pair avec son existence et lui imposait ses lois. Il n’y a donc pas moyen de sauvegarder la libertĂ© de la maniĂšre dont Sartre l’a tentĂ©. Faut-il pour autant renoncer Ă  rĂ©soudre la difficultĂ© et avouer qu’un ĂȘtre créé, soumis Ă  des lois, n’est pas libre ? Non. Mais il faut comprendre la libertĂ© autrement qu’on ne la comprend d'ordinaire. La libertĂ© fondamentale de l’homme ne consiste pas dans l’exemption des lois, ni dans le pouvoir de choisir le mal. S’il en Ă©tait ainsi, il faudrait dire que la libertĂ© est une notion absurde et un privilĂšge attentatoire Ă  l’ordre constitutif des choses. Il rĂ©pugne de penser qu’une rĂ©alitĂ© aussi prĂ©cieuse que la libertĂ© se dĂ©finisse essentiellement comme la facultĂ© d’aller contre la nature. Si elle en a le pouvoir — et c’est malheureusement le cas — cela ne peut ĂȘtre qu’une faiblesse, un dĂ©faut, mais non une marque essentielle. Par nature, l’homme doit ĂȘtre orientĂ© vers le bien, sinon il porterait en lui un germe fatal de destruction. Il faut donc dire que la libertĂ©, dans une crĂ©ature intelligente, ne peut consister fondamentalement qu’à agir dans le sens le plus favorable Ă  ses lois, mais en pleine spontanĂ©itĂ©, en pleine autonomie. Cette prĂ©cision, trop oubliĂ©e, mais trĂšs conforme au thomisme, a Ă©tĂ© retrouvĂ©e Ă  notre Ă©poque, avec des nuances diverses, par des philosophes tels que SecrĂ©tan, Maurice Blondel, Gabriel Marcel. Pour la comprendre un peu mieux, prenons un CAS CONCRET. Envisageons d’abord les lois de la nature chez les ĂȘtres dĂ©nuĂ©s de libertĂ©, dans une rose, par exemple. Cette fleur est soumise Ă  des lois qui lui sont propres ses besoins en humiditĂ©, chaleur, azote, etc., ne sont pas les mĂȘmes que ceux du sapin ou du palmier. Les modes et les Ă©tapes de sa croissance ne ressemblent pas Ă  ceux de la violette ou du myosotis. Si par une opĂ©ration miraculeuse on lui donnait pour quelques instants l’usage de la libertĂ©, elle n’en profiterait sĂ»rement pas pour bouleverser le processus de son Ă©volution et produire je ne sais quel monstre d’horticulture. Mais bien plutĂŽt elle favoriserait de tout son pouvoir le dĂ©veloppement de ses tendances fonciĂšres, condition absolue de sa splendeur native. Une rose consciente » ne se sentirait pleinement elle-mĂȘme que dans la mesure oĂč elle se serait Ă©panouie dans le sens de sa nature. Tout dĂ©faut, tout ratĂ© lui serait une gĂȘne, une humiliation », et donc un obstacle Ă  sa situation et Ă  sa fonction dans le monde des fleurs. Il faut en dire autant de l’homme. Qu'il le veuille ou non, il est embarquĂ© », il est douĂ© d’une nature, qui est celle d’un homme et non d’un ĂȘtre quelconque. Dans ces conditions, il n’y a qu’un moyen pour lui de s’épanouir dans l’harmonie et la joie c’est de favoriser le dĂ©veloppement rĂ©gulier de ces lois, d’ailleurs si Ă©quilibrĂ©es et si belles, pour qui sait les dĂ©couvrir et les admirer. Plus un homme perfectionne ses virtualitĂ©s essentielles, plus il acquiert de richesses et de possibilitĂ©s d’action qui le font pour ainsi dire Ă©merger du monde du dĂ©terminisme. Ainsi, plus un artiste a dĂ©veloppĂ© ses aptitudes et ses facultĂ©s, plus il se joue des difficultĂ©s et devient capable de crĂ©er », Ɠuvre suprĂȘme qui l’apparente Ă  Dieu. De mĂȘme au plan moral plus un homme a dĂ©veloppĂ© ses virtualitĂ©s dans le sens de sa dignitĂ© personnelle, plus il a acquis et perfectionnĂ© de vertus, plus aussi il domine les difficultĂ©s et les tentations, plus il se joue des obstacles moraux. A ce plan supĂ©rieur, il est vraiment crĂ©ateur il crĂ©e sa personnalitĂ© morale, chef-d’Ɠuvre autrement prĂ©cieux que les inventions scientifiques, et chacune de ses actions importantes met en jeu son pouvoir crĂ©ateur de dĂ©cision et de maĂźtrise. C’est-Ă -dire qu’il vit habituellement dans un monde qui exige le maximum de clairvoyance, de volontĂ© et de libertĂ©. Par contre, l’homme vicieux, qui n’a pas dĂ©veloppĂ© ses tendances authentiquement humaines, est incapable de se mouvoir dans ces hauteurs il est l’esclave de ses vices ; il n’est pas libre. C’est dans le mĂȘme sens qu’on pourrait dire, en recourant Ă  la terminologie de Maurice Blondel, que la libertĂ© ne consiste pas essentiellement Ă  choisir entre deux objets, mais Ă  faire coĂŻncider la libertĂ© voulue avec la libertĂ© voulante. La libertĂ© voulante, c’est le fond de la nature humaine avec toutes ses aspirations confuses vers l’idĂ©al, vers le bonheur, vers l’infini. Ces tendances sont reçues avec notre nature, mais elles nous conviennent si bien qu’elles sont parfaitement dans le sens de nos prĂ©fĂ©rences et de nos attraits d’oĂč leur nom de libertĂ© voulante. Dans la mesure oĂč nous rĂ©alisons ces aspirations, nous dĂ©gageons les Ă©lĂ©ments de notre personnalitĂ© et nous acquĂ©rons cette plĂ©nitude de vie, de luciditĂ© et de joie qui nous fait dominer les Ă©vĂ©nements extĂ©rieurs et les difficultĂ©s morales. Nous ne sommes plus esclaves des instincts aveugles et des passions dĂ©primantes nous sommes libres, d’une libertĂ© non seulement psychologique et transitoire, mais ontologique et habituelle. Pour arriver Ă  ces sommets, il a suffi d’aller dans le sens des tendances les plus authentiques et les plus nobles, de transformer la volontĂ© voulante » en volontĂ© voulue »°0, C’est ce que SecrĂ©tan appelait la libertĂ© de perfection. C’est, au fond, ce que S. Thomas enseignait en prĂ©cisant que la facultĂ© de choisir le mal n’est pas une marque de libertĂ©, mais un dĂ©faut de libertĂ© »°1. IT. — La libertĂ© du chrĂ©tien Ces prĂ©cisions mĂ©taphysiques nous aideront Ă  comprendre la libertĂ© propre au chrĂ©tien. S. Paul chante la libĂ©ration du chrĂ©tien par rapport Ă  la Loi, Ă  la vie ancienne, Ă  ses servitudes, aux Ă©lĂ©ments du monde, Ă  la mort corporelle et spirituelle. L’épĂźtre aux Romains surtout dĂ©veloppe ce thĂšme À prĂ©sent nous avons Ă©tĂ© dĂ©gagĂ©s de la loi, Ă©tant morts Ă  ce qui nous tenait prisonniers, de maniĂšre Ă  servir dans la nouveautĂ© de l’esprit et non plus dans la vĂ©tustĂ© de la lettre » Rom., VII, 6. Le chrĂ©tien se trouve dans un Ă©tat tout nouveau. Il est Ă  la fois soumis Ă  une loi, et cependant libre comme s’il n’avait pas de loi. C’est que ce rĂ©gime de la grĂące qui se substitue Ă  celui de la Loi ancienne peut encore ĂȘtre appelĂ© une loi, mais c’est une loi de foi », la loi du Christ », la loi de l’Esprit », dont l’amour est le commandement essentiel »°2. Comment cela peut-il se faire ? Comment le chrĂ©tien peut-il ĂȘtre soumis Ă  une loi et cependant jouir d’une libertĂ© incomparable ? Pour le saisir, il suffit de nous rappeler en quoi consiste LA GRACE HABITUELLE, Celle-ci est ajoutĂ©e Ă  notre nature humaine d’une maniĂšre si intime et si radicale qu’elle nous transforme Ă  fond en nous surĂ©levant Ă  la vie divine sans nous soustraire Ă  notre condition d'hommes. Bien mieux, la grĂące est si bien dans le prolongement de la nature — tout en la transcendant — qu’elle rĂ©alise Ă  la perfection nos potentialitĂ©s les plus authentiques. Elle nous donne d’un seul coup, dans le mystĂšre de l’ordre surnaturel et dans l’obscuritĂ© de la foi, l’achĂšvement de nos aspirations les plus profondes. Elle ne supprime nullement les obligations de la loi naturelle, rĂ©sumĂ©es dans le DĂ©calogue, mais elle les prolonge et les fait dĂ©boucher sur l’infini pour le chrĂ©tien, la vie morale consiste avant tout Ă  se conduire en fils de Dieu, et dĂšs qu’il rĂ©alise cet idĂ©al, il accomplit par le fait mĂȘme sa vocation naturelle. Aussi bien, cette vie de la grĂące est-elle Ă  proprement parler sa grande loi morale. Nous avons vu que la loi de l’homme, considĂ©rĂ© mĂ©taphysiquement, consiste Ă  vivre selon sa nature, Ă  s’épanouir dans le sens de sa dignitĂ© personnelle, en un mot Ă  devenir homme dans toute la force du terme. De mĂȘme, la loi du chrĂ©tien est de dĂ©velopper sa vie surnaturelle et d’en imprĂ©gner toute son activitĂ©. Elle consiste Ă  ĂȘtre chrĂ©tien, non point seulement par le caractĂšre baptismal ou une grĂące Ă  la mesure des enfants, mais par une plĂ©nitude de vie qui soit digne d’un adulte. Et c’est seulement ainsi que, en fait, il rĂ©alise pleinement sa vocation d’homme. Car ne nous y trompons pas les principes mĂ©taphysiques que nous avons rappelĂ©s plus haut ne sont que des principes. Ils sont, certes, indiscutables et trĂšs Ă©clairants. Mais il y a souvent loin de la thĂ©orie Ă  la pratique. Or en fait, nous constatons que bien peu d’hommes ont le courage de tendre Ă  cette libertĂ© de perfection » dont nous parlions. Il a fallu que le Christ nous apportĂąt la grĂące divine pour que l’on voie se multiplier sur terre les incomparables chefs-d’Ɠuvre d’humanisme que sont LES SAINTS. Ils ont eu Ă  lutter, eux aussi, mais plus la vie de la grĂące s’est dĂ©veloppĂ©e en eux, plus elle a synthĂ©tisĂ© sous son emprise les forces de la nature, rĂ©alisant ainsi une harmonie qui leur procurait la seule vraie libertĂ©. C’est pourquoi, si l’on veut savoir concrĂštement en quoi consiste la libertĂ© des enfants de Dieu, ce sont eux qu’il faut regarder. Ils se meuvent dans l’univers moral et mĂȘme dans le monde matĂ©riel avec une aisance stupĂ©fiante. L'univers dĂ»t-il les Ă©craser, peu leur importe dĂ©tachĂ©s de tout le créé et rivĂ©s Ă  Dieu seul, ils se rient de tous les obstacles et Ă©chappent Ă  tous leurs ennemis ; ils savent bien que rien ne pourra leur enlever leur bonheur. À plus forte raison sont-ils maĂźtres d’eux-mĂȘmes dans les difficultĂ©s moins graves et qui en briseraient d’autres. Ils ne sont mĂȘme plus tentĂ©s, au moins habituellement leurs passions sont complĂštement matĂ©es ; leurs premiers mouvements se portent presque toujours vers le bien. Et ils pratiquent la vertu avec allĂ©gresse. La paix de l’ñme, indice d’un Ă©quilibre profond, est leur partage ; ils savourent une joie surhumaine qui les transporte dans les sphĂšres infinies et les fait rayonner d’un Ă©clat cĂ©leste. Tous ceux qui les connaissent de leur vivant, et qui savent les apprĂ©cier par une certaine affinitĂ© spirituelle, sentent en eux des ĂȘtres Ă  la fois profondĂ©ment humains, trĂšs proches d’eux et trĂšs aimants, et cependant d’une Ă©lĂ©vation qui semble les soustraire Ă  nos misĂšres, Ă  nos hĂ©sitations, Ă  nos luttes intĂ©rieures, et qui fait d’eux des rois d’un autre monde. Pour eux la loi naturelle n’a plus de pesanteur ils pratiquent la vertu comme ils respirent. La loi divine fait leurs dĂ©lices. La loi ecclĂ©siastique resplendit Ă  leurs yeux de la beautĂ© du Christ, leur unique amour. Les lois civiles elles-mĂȘmes leur apparaissent respectables et aimables dans le rayonnement de la Providence divine. A les voir vivre et mourir, on comprend que la libertĂ© ne consiste pas Ă  choisir le mal et Ă  le faire, mais Ă  suivre parfaitement la loi de grĂące infusĂ©e en nous au baptĂȘme. Et on comprend aussi tous les TEXTES BIBLIQUES qui exaltent le bonheur du juste par exemple les psaumes qui montrent dans la Loi une source de dĂ©lices ps. 118 et dans son accomplissement l’origine de la prospĂ©ritĂ© ps. 1, 111, etc., ou la fameuse prophĂ©tie de JĂ©rĂ©mie qui annonce la Loi nouvelle JĂ©r., XXI, 31-34, ou les paroles de JĂ©sus affirmant que son joug est doux et son fardeau lĂ©ger Mt., XI, 30, ou encore cette parole si profonde dans son contexte hĂ©braĂŻque La vĂ©ritĂ© vous fera libres » Jo., VIII, 32. La vĂ©ritĂ© dont il s’agit n’est pas la vĂ©ritĂ© abstraite des philosophes, mais la vĂ©ritĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e, qui dĂ©voile les mystĂšres surnaturels, inspire la vie morale, la transforme, et libĂšre l’homme en l’arrachant Ă  ses passions. SAINT AUGUSTIN exprimait la mĂȘme doctrine d’une maniĂšre lapidaire en disant que le chrĂ©tien devient pour ainsi dire la loi elle-mĂȘme... quantum potest, lex ipsa etiam ipse fit, loi selon laquelle il juge tout ». Et cela parce que l’union Ă  Dieu Ă©lĂšve le fidĂšle Ă  de telles hauteurs qu’il participe Ă  sa grandeur infinie et domine tout le créé Le chrĂ©tien juge tout parce que, quand il est avec Dieu, il est au-dessus de tout ». Quant Ă  cette union, elle se rĂ©alise au moyen de la contemplation elle a lieu lorsque le chrĂ©tien exerce une activitĂ© contemplative trĂšs pure... quando purissime intelligit, et quand il aime avec toute sa charitĂ© ce qu’il contemple » ib.. Ainsi donc, l’explication augustinienne est de nature expĂ©rimentale et mystique. Il faut en retenir que l’amour rend tout fardeau lĂ©ger. SAINT THOMAS est plus profond. GrĂące Ă  la mĂ©taphysique des Grecs, il transpose en termes ontologiques les vĂ©ritĂ©s psychologiques dĂ©crites par S. Augustin, et il voit dans la grĂące de tout baptisĂ© — et non seulement dans l’union mystique avec Dieu — le principe d’une vie morale toute nouvelle La loi nouvelle, Ă©crit-il, consiste principalement dans la grĂące mĂȘme du Saint-Esprit qui est donnĂ©e aux fidĂšles du Christ »°*. Il a vu dans la grĂące une seconde nature, au sens grec, et cette assimilation Ă©claire vivement cette question — entre beaucoup d’autres. Et il prĂ©cise que c’est seulement en second lieu que la Loi Nouvelle contient d’autres Ă©lĂ©ments les uns Ă  titre de dispositions Ă  recevoir cette grĂące ce sont les enseignements dogmatiques et ascĂ©tiques destinĂ©s Ă  la prĂ©paration de l’ñme ; les autres Ă  titre de mise en Ɠuvre de la grĂące ce sont toutes les vertus morales qui dĂ©coulent de la vie surnaturelle. * Cette perspective, si Ă©trangĂšre Ă  la plupart de nos chrĂ©tiens, qui ont plutĂŽt une mentalitĂ© d’Ancien Testament, est cependant la seule qui soit fidĂšle Ă  l'Evangile et qui Ă©chappe aux critiques formulĂ©es par tant de nos contemporains qui jugent sur les apparences. C’est aussi la seule qui nous permette de saisir Ă  quel point la morale chrĂ©tienne est une morale enrichissante, Ă©panouissante et libĂ©ratrice. Le chrĂ©tien qui l’a compris n’a pas envers Dieu l’attitude d’un esclave, mais celle d’un fils. Il n’obĂ©it pas par crainte, mais par amour. Toutes ses actions sont animĂ©es par une ferveur qui dĂ©passe incomparablement les mystiques humaines les plus enthousiasmantes, car ĂŻl travaille spontanĂ©ment pour notre vraie citĂ© qui est dans les cieux » Philip., III, 20 et la moindre de ses actions produit des fruits de vie Ă©ternelle. Chapitre XVIII LE DESODRE ORIGINEL Si l’on veut fonder la morale sur des bases objectives et solides, il est nĂ©cessaire de bien connaĂźtre l’homme concret, tel qu’il existe en rĂ©alitĂ©. Or d’aprĂšs la RĂ©vĂ©lation, l’homme est un ĂȘtre dĂ©chu de sa dignitĂ© originelle. Il convient donc de rappeler l’importance et la nature de ce dogme. I. — Principes mĂ©taphysiques et observations psychologiques Le domaine des principes mĂ©taphysiqnes est extrĂȘmement solide, puisqu'il a pour objet le nĂ©cessaire. Mais il exige, par dĂ©finition, un effort de pĂ©nĂ©tration ontologique qui va au-delĂ  des apparences, sans toutefois se couper de celles-ci, puisqu’elles sont aussi de l’ĂȘtre. Or le danger est grand de sĂ©parer arbitrairement les deux plans, et de se confiner dans des PRINCIPES ABSTRAITS sans rapport vital avec les rĂ©alitĂ©s contingentes. Et tel a Ă©tĂ© prĂ©cisĂ©ment le dĂ©faut de nombreux Ă©crivains du XVIII et du XIX' siĂšcles dans leur connaissance de l’homme. HĂ©ritiers sans doute dĂ©cadents d’une philosophie jadis vigoureuse, ils se faisaient de la nature humaine une idĂ©e trop simpliste l’homme, Ă  leur avis, n’avait que de bonnes tendances natives ; ses dĂ©fauts lui venaient de causes extĂ©rieures ou accidentelles la sociĂ©tĂ©, l’éducation, un Ă©vĂ©nement fortuit. Ils devaient disparaĂźtre sous l’action du progrĂšs la science viendrait Ă  bout de toutes les misĂšres et amĂšnerait infailliblement l’ñge d’or sur cette terre. Les marxistes ont exactement les mĂȘmes convictions. Mais ils sont Ă  peu prĂšs les seuls aujourd’hui. La plupart de nos contemporains ont une VUE BEAUCOUP PLUS RÉALISTE de la nature humaine. Des philosophes comme Kierkegaard, Heidegger, Sartre, Camus, des psychologues tels que Freud, Kretchmer, Le Senne, etc. insistent au contraire sur les contradictions internes de l’homme et sa situation tragique dans l’univers. De leur cĂŽtĂ©, les psychiatres ont attirĂ© l’attention sur les anomalies de la vie psychique et montrĂ© leur influence. Il serait sans doute faux d’en concluure, comme certains l’ont fait, que tout le monde est dĂ©sĂ©quilibrĂ©, mais il est exact que chacun porte en soi un foyer de concupiscence » trĂšs dangereux, suite de la faute originelle. En ce sens on peut dire avec vĂ©ritĂ© La plus lourde erreur que pourrait commettre un psychologue ou un Ă©ducateur, ce serait de traiter l’homme comme un ĂȘtre sain. C’est parce que l’homme est une rĂ©alitĂ© malade qu’il est la contradiction vĂ©cue, que toute son existence est faite d’ambiguĂŻtĂ©s, que les rĂ©actions les moins raisonnables sont les plus frĂ©quentes, que sa libertĂ© peut tendre Ă  sa propre destruction. On a tort de considĂ©rer la psychopathologie comme Ă©tant la science de l’anormal, si anormal veut dire exceptionnel, ne trouvant d’application que chez quelques rares exemplaires ». En rĂ©alitĂ© elle constitue un des chapitres les plus importlants de la psychologie et de l’anthropologie. Ce n’est pas par pur hasard que la plupart des dĂ©couvertes importantes en matiĂšre psychologique ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es dans des asiles d’aliĂ©nĂ©s. Ni les psychologues qui s’intĂ©ressent Ă  l’homme concret, ni les Ă©ducateurs, ni les directeurs d’ñmes, ni les meneurs d’hommes n’ont le droit d'ignorer la science de l’homme malade. Il faut nous persuader qu’Adam a Ă©tĂ© le dernier homme normal » nous ne parlons pas ici du Christ, homme-Dieu, que tous les autres hommes sont des cas pathologiques », seulement Ă  degrĂ©s et de maniĂšres diffĂ©rentes »°%6, Ainsi la science moderne redĂ©couvre ce que l’Eglise enseigne depuis les origines du christianisme, et que S. Paul, S. Augustin et Pascal ont rappelĂ© en des pages immortelles. Mais il ne faudrait pas croire, comme on le laisse parfois entendre”, que cette connaissance existentielle » de l’homme est propre Ă  l’école augustinienne et Ă©trangĂšre Ă  la thĂ©ologie thomiste. Ici, comme dans beaucoup d’autres cas, S. Thomas a acceptĂ© l’augustinisme sans l’édulcorer aucunement. Il l’a seulement prĂ©cisĂ© et exprimĂ© en un langage diffĂ©rent. S. Augustin parle surtout d’expĂ©rience, en tĂ©moin Ă©mu et Ă©mouvant il dĂ©crit ses Ă©tats psychologiques avec une maĂźtrise, une chaleur et une couleur incomparables. S. Thomas a un style dĂ©pouillĂ© et scientifique, accessible Ă  l’intelligence plus qu’à l’imagination et Ă  la sensibilitĂ©. Mais ses formules techniques n’en sont que plus profondes. Il a sur l’homme une vue aussi rĂ©aliste que S. Augustin toute la deuxiĂšme partie de sa Somme en fait foi ; mais il a le don de synthĂ©tiser en termes mĂ©taphysiques la multitude des observations psychologiques. Ce don est spĂ©cialement remarquable dans l’exposĂ© de la nature du pĂ©chĂ© originel. IT. — La corruption de la nature humaine Nous n’entrerons pas dans le dĂ©tail de sa doctrine sur ce point il faudrait pour cela une ampleur de dĂ©veloppement qui est hors de notre propos. Nous ne parlerons mĂȘme pas ex-professo de la transmission du pĂ©chĂ© originel. Traitant des principes de la morale chrĂ©tienne, nous voulons seulement attirer l’attention sur un aspect capital de la nature humaine sa corruption native. Pour S. Thomas, le pĂ©chĂ© originel ne consiste nullement dans la tendance de nos facultĂ©s Ă  jouir de leur bien propre il y a lĂ  au contraire une orientation naturelle et bonne en soi. Il est normal que l’intelligence cherche Ă  connaĂźtre la vĂ©ritĂ©, que la volontĂ© aspire au bonheur, que la sensibilitĂ© ait soif de jouissance, mĂȘme et surtout dans ses activitĂ©s les plus fondamentales nutrition et reproduction. En ceci S. Thomas corrige S. Augustin, qui Ă©tait portĂ© Ă  dĂ©prĂ©cier ces actions naturelles de l’homme. Mais lĂ  oĂč il est d’accord avec l’évĂȘque d’Hippone, c’est quand il montre comment LE PÉCHÉ ORIGINEL CONSISTE DANS LE DÉSORDRE avec lequel nos facultĂ©s aspirent Ă  leur bien La sensibilitĂ© a toujours tendance Ă  jouir d’une maniĂšre effrĂ©nĂ©e, sans se rĂ©fĂ©rer Ă  la volontĂ© et Ă  la raison. La volontĂ© est attirĂ©e par tout bien spirituel portant un reflet de beautĂ© ou de grandeur. Mais dans cette poursuite elle est portĂ©e Ă  refuser les lumiĂšres de la raison. Et la raison elle-mĂȘme a beaucoup de peine Ă  ĂȘtre docile au rĂ©el. Celui-ci est pourtant la seule source du vrai, mais il est si complexe qu’il faut beaucoup de temps pour en faire l’exploration exhaustive. Aussi, par impatience ou sous l’influence de toute autre passion, elle se borne souvent Ă  un seul aspect des choses, exact mais partiel, et juge comme si elle possĂ©dait toute la vĂ©ritĂ©. Et lĂ  est l’erreur. Autrement dit, le pĂ©chĂ© originel, selon S. Thomas, est quelque chose de nĂ©gatif Ă  un certain point de vue il consiste dans la privation de l’harmonie primitive en vertu de laquelle l'intelligence procĂ©dait prudemment, entraĂźnait toujours la volontĂ©, et commandait sans difficultĂ© Ă  la sensibilitĂ©. Ce qui aggrave la situation, c’est que ce dĂ©sordre affecte si profondĂ©ment l’homme que LA NATURE elle-mĂȘme en est infectĂ©e. C’est ici que S. Thomas rejoint le mieux S. Augustin, et mĂȘme l’accentue en prĂ©cisant que le pĂ©chĂ© originel est un habitus8, VoilĂ  certes un habitus que les philosophes n’avaient pas pensĂ© Ă  cataloguer dans leurs catĂ©gories. Cette trouvaille est Ă©videmment d’ordre thĂ©ologique ; mais elle explique Ă  merveille la condition humaine, considĂ©rĂ©e mĂȘme philosophiquement. Cet habitus n’est pas opĂ©ratif, comme ceux que nous avons envisagĂ©s en traitant de la vertu, mais entitatif, affectant l’état mĂȘme de la nature. Ainsi la santĂ© et la beautĂ© sont des habitus entitatifs. De mĂȘme pour le pĂ©chĂ© originel c’est un habitus comparable Ă  l’état d’un malade, mais qui, loin d’ĂȘtre transitoire, atteint le fond mĂȘme de la constitution. Par le pĂ©chĂ© d’Adam l’espĂšce humaine n’a pas Ă©tĂ© modifiĂ©e essentiellement mais elle a donnĂ© lieu Ă  une variĂ©tĂ© d’espĂšce”?. L'homme pĂ©cheur est bien toujours un homme, mais il diffĂšre d'Adam, au plan naturel, en ce que ses facultĂ©s sont anarchiques. Il y a lĂ  un dĂ©sordre profond, viscĂ©ral », qui nous met spontanĂ©ment en sympathie avec le mal. MĂȘme quand nous luttons le plus Ă©nergiquement au cours des tentations violentes, nous Ă©prouvons une sorte de saveur anticipĂ©e du fruit dĂ©fendu. Comme le dit finement le P. FoulquiĂ© En somme, dans bien des cas, l’homme tentĂ© joue sur deux tableaux, et la tentation est comparable au dĂ©sir dans lequel, sans nous arrĂȘter Ă  aucun des choix possibles, par la pensĂ©e nous jouissons de tous sans renoncer Ă  aucun... Il a inĂ©vitablement mauvaise conscience, car la tentation resterait sans Ă©cho en lui s’il n’était pas prĂ©disposĂ© au mal ; Ă  ce mal d’ailleurs il prend un malin plaisir dont il est honteux » 100. C’est cette profondeur du mal qui constitue un pĂ©chĂ© de nature ». Personnellement nous n’avons pas pĂ©chĂ© en Adam, mais la nature dĂ©sordonnĂ©e que nous avons hĂ©ritĂ©e de lui est si bien semblable Ă  la sienne et convient si bien Ă  nos aspirations Ă©goĂŻstes que Dieu ne peut pas plus se complaire en nous qu’en notre premier pĂšre Ă  la suite de sa faute. Non pas que ce dĂ©sordre constitue en soi un pĂ©chĂ© Dieu aurait trĂšs bien pu nous crĂ©er dans l’état oĂč nous sommes actuellement, puisque nos facultĂ©s restent orientĂ©es vers leur objet propre qui est bon ; et il est clair qu’alors notre Ă©tat n’eĂ»t pas Ă©tĂ© peccamineux. Mais IL NOUS DESTINAIT A UN ORDRE SUPÉRIEUR il nous avait communiquĂ© sa vie divine, et avait joint Ă  cette grĂące le privilĂšge de la justice originelle, ou harmonie de nos facultĂ©s dans la recherche du bien. Or nous avons dĂ©jouĂ© ses plans créés pour la saintetĂ© et la justice, nous avons prĂ©fĂ©rĂ© une vie Ă©goĂŻste et dĂ©rĂ©glĂ©e. Dieu ne se reconnaĂźt plus en nous ; il n’y trouve plus l’harmonieuse beautĂ© qu’il nous avait accordĂ©e, ni l’ouverture d’ñme qui nous portait vers lui et vers les autres ; nous sommes refermĂ©s sur nous-mĂȘmes et portĂ©s Ă  tout accaparer, sans tenir compte de l’ordre objectif voulu par Dieu nous sommes pĂ©cheurs. On voit ainsi la distance qui sĂ©pare la POSITION THOMISTE sur le pĂ©chĂ© originel de celle qui est courante chez les thĂ©ologiens modernes depuis Suarez. Il est mĂȘme arrivĂ© que quelques thomistes fussent infidĂšles Ă  leur maĂźtre. Pour S. Thomas, le pĂ©chĂ© originel ne consiste pas prĂ©cisĂ©ment dans la perte de la grĂące sanctifiante, mais dans la privation de la justice originelle ». Et par justice originelle il entend l’harmonieux Ă©quilibre de nos tendances vers le bien. Selon lui, cette justice affecte notre dignitĂ© d'hommes ; elle n’est pas d’essence surnaturelle. Ce qui est surnaturel, c’est la grĂące habituelle, qui est d’un ordre infiniment supĂ©rieur puisqu’elle nous fait participer Ă  la vie divine. Mais la justice originelle rĂ©alisait seulement en nous la hiĂ©rarchie parfaite de nos tendances dans la soumission Ă  Dieu. Elle Ă©tait annexĂ©e Ă  la prĂ©sence de la grĂące et causĂ©e par elle. Une fois la grĂące perdue, l’ordre primitif disparaĂźt et fait place au dĂ©sordre, qui est l’élĂ©ment formel du pĂ©chĂ© originel la concupiscence Ă©tant l’élĂ©ment matĂ©riel. Ce dĂ©sordre est en quelque sorte du nĂ©gatif, disions-nous. Mais par ailleurs, il est une rĂ©alitĂ© qu’on peut appeler positive, en prĂ©cisant que c’est une rĂ©alitĂ© d’ordre mĂ©taphysique d’oĂč son nom d’habitus, qui Ă©chappe par dĂ©finition Ă  une vue de notre imagination. CONCLUONS en premier lieu que la position de S. Thomas sur la nature de l’homme est beaucoup plus complexe que ne le croient certains interprĂštes qui ne retiennent de sa doctrine que les principes mĂ©taphysiques et aristotĂ©liciens. S. Thomas a considĂ©rablement perfectionnĂ© la philosophie grecque, et surtout il l’a complĂ©tĂ©e par tout l’apport de la RĂ©vĂ©lation. Aussi sa pensĂ©e sur l’homme et ce que nous appellerions de nos jours l’humanisme ne se rĂ©duit-elle pas Ă  quelques vues sommaires d’un optimisme simpliste. Elle contient au moins en germe de nombreuses notations exploitĂ©es par les modernes et apparentĂ©es au pessimisme augustinien. Une seconde conclusion est prĂ©cisĂ©ment la modernitĂ© de S. Thomas sur ce point. S’il faisait consister le pĂ©chĂ© originel dans la simple privation de la grĂące habituelle, on pourrait lĂ©gitimement en infĂ©rer que la nature humaine n’a pas Ă©tĂ© diminuĂ©e ni blessĂ©e en elle-mĂȘme. On pourrait garder au sujet de l’homme un optimisme de commande, pourtant si cruellement et si constamment bafouĂ© par une expĂ©rience sans cesse renouvelĂ©e. Mais S. Thomas a su voir clair dans le fonds de la nature humaine. Pour lui, l’homme a Ă©tĂ© diminuĂ© par le pĂ©chĂ© originel. Il rejoint donc nos contemporains qui insistent tant sur la corruption de l’humanitĂ©. Mais SON PESSIMISME EST RELATIF. Contrairement Ă  certains philosophes qui prĂ©tendent que l’homme est entiĂšrement corrompu, il maintient que l’objet de nos tendances naturelles reste bon, et il limite les dĂ©gĂąts du pĂ©chĂ© originel Ă  l’anarchie de ces tendances. Il rĂ©sulte de sa position que d’une part il ne faut pas dĂ©sespĂ©rer de l’homme, mais que par ailleurs le redressement de celui-ci est un travail de longue haleine, pĂ©nible, et Ă  vrai dire jamais terminĂ©. Bien mieux, ce redressement est impossible Ă  la seule nature, et exige le secours de la grĂące toute-puissante de Dieu. Chapitre XIX LA GRACE ACTUELLE Les auteurs de morale chrĂ©tienne n’ont pas coutume de donner Ă  la grĂące actuelle une place primordiale. Souvent mĂȘme ils abandonnent cette question aux professeurs de dogme. Et cependant cette notion est fondamentale en christianisme il est impossible d’ĂȘtre un chrĂ©tien authentique si l’on ignore la nature de cette grĂące et si l’on ne s’en souvient pas dans la vie pratique. Et spĂ©cialement il serait vain de chercher Ă  redresser la nature humaine corrompue par le pĂ©chĂ© si on ne recourait pas au secours tout-puissant de Dieu. Pour faire saisir l’importance capitale de cette doctrine, nous rappellerons quelques brĂšves notions mĂ©taphysiques, bibliques et thĂ©ologiques. I. — Fondements mĂ©taphysiques de la grĂące Nous avons dĂ©jĂ  constatĂ© qu’une connaissance approfondie de la doctrine catholique exigeait la possession de principes mĂ©taphysiques solides. Ceci est peut-ĂȘtre plus vrai que jamais quand il s’agit de la grĂące actuelle. Car les textes bibliques allĂ©guĂ©s de part et d’autre dans les discussions sur la grĂące sont parfois susceptibles d’interprĂ©tations divergentes. Et certains textes conciliaires eux-mĂȘmes ne rĂ©alisent pas, de fait, l’unanimitĂ© que l’on pourrait en attendre. Mais si l’on a de Dieu et de son action une notion exacte, on est tout prĂ©parĂ© Ă  accepter l’enseignement de la RĂ©vĂ©lation et du MagistĂšre, et de plus on ne fait aucune difficultĂ© d'admettre la pensĂ©e thĂ©ologique de S. Thomas, telle qu’elle s’exprime dans les formules les plus indiscutables. Or le point capital Ă  bien comprendre en cette question, c’est que DIEU EST D’UNE TRANSCENDANCE TELLE QU'IL EST CAPABLE DE DONNER TOUT A LA CRÉATURE SANS EN DIMINUER AUCUNEMENT L’AUTONOMIE. Car il ne ressemble guĂšre aux ĂȘtres qui nous entourent. Pour avoir une idĂ©e de sa nature, il ne suffit mĂȘme pas d’élever Ă  l’infini les perfections que nous voyons dans les crĂ©atures il faut prĂ©ciser que les perfections transcendantales des ĂȘtres créés l’ĂȘtre, le vrai, le beau, le bien, Ă  quoi on peut ajouter l’intelligence, la volontĂ©, l’amour, non seulement se trouvent en Dieu Ă  l'infini, mais lui appartiennent d’une maniĂšre qui lui est exclusivement propre, et qui Ă©chappe complĂštement Ă  nos investigations 01. Autrement dit, la maniĂšre dont Dieu est, connaĂźt, vit, aime, agit, etc., ne ressemble Ă  notre ĂȘtre, Ă  notre activitĂ© intellectuelle, Ă  notre vie, etc., que par analogie, et cette analogie est proportionnelle, sans rapports directs avec le créé. Par suite, l’action de Dieu sur sa crĂ©ature est Ă  la fois si profonde, si totale, si dĂ©licate, qu’elle est capable de lui donner tout sans la violenter le moins du monde. L’action de Dieu et celle de la crĂ©ature ne se recoupent pas elles se rĂ©alisent sur deux plans essentiellement distincts, quoique insĂ©parables. Dans un livre imprimĂ©, on peut dire que tout est l’Ɠuvre de l’écrivain, et tout l’Ɠuvre du linotypiste, parce que les points de vue sont diffĂ©rents. De mĂȘme, dans une action humaine, tout est de Dieu et tout est de l’homme, mais Ă  des plans diffĂ©rents. L’homme, au plan créé, a l’initiative de ses actes ; il pense, veut et agit spontanĂ©ment et librement. Mais tous ces actes sont de l’ĂȘtre, et cet ĂȘtre dĂ©pend nĂ©cessairement de l’Etre absolu comme un rayon de soleil dĂ©pend de sa source lumineuse. Sinon, il faudrait dire que quelque chose Ă©chappe Ă  Dieu, que quelque chose existe en dehors de Dieu, et notamment que le sommet de la crĂ©ation l’activitĂ© intelligente et volontaire, n’est pas son Ɠuvre. Ceci n’est pas possible ce serait mettre des limites Ă  Dieu ; Dieu ne serait plus Dieu. Il faut donc admettre que l’homme a constamment besoin du secours de Dieu dans tout son ĂȘtre et dans tous ses actes, mais il faut bien savoir que Dieu est Ă  la fois si transcendant et si immanent qu’il ne gĂȘne en rien la spontanĂ©itĂ© et l’autonomie de la crĂ©ature. Transcendant, nous venons de le dire. il agit d’une maniĂšre qui dĂ©passe ineffablement nos catĂ©gories ; immanent, il est plus intime Ă  nous que nous ne le sommes Ă  nous-mĂȘmes. Il peut donc faire en sorte que nos dĂ©cisions les plus personnelles soient aussi bien son Ɠuvre — et mĂȘme mieux — que la nĂŽtre. Quand nous nous dĂ©cidons spontanĂ©ment, c’est lui qui donne la chiquenaude » nĂ©cessaire Ă  l’apparition de cet ĂȘtre nouveau qu’est un acte de volontĂ©. Quand nous agissons, c’est lui qui nous donne Ă  chaque seconde l’énergie nĂ©cessaire. Et en tout cela c’est lui qui a l’initiative, car sans sa prĂ©venance rien ne se produirait l’ĂȘtre créé dĂ©pend totalement et continuellement du CrĂ©ateur. Mais sa prĂ©sence au plus intime de notre ĂȘtre est si diffĂ©rente de notre propre prĂ©sence Ă  nous-mĂȘmes, elle ressemble si peu Ă  notre nature matĂ©rielle, spatiale, temporelle et mobile, qu’elle ne gĂȘne nullement notre activitĂ©. Dieu, loin d’entraver notre libertĂ©, en est la cause. Le bien est diffusif de soi ».. Nous connaissons cet axiome de Denys ; nous savons que S. Thomas le cite souvent. Il est particuliĂšrement Ă©clairant dans cette question Dieu est si bon qu’il ne veut pas ĂȘtre la seule cause des ĂȘtres ni les conduire seul Ă  leur fin ; il veut les faire participer Ă  sa causalitĂ© suprĂȘme, et leur donner le rĂŽle de causes secondes » ; il veut pour ainsi dire avoir besoin des crĂ©atures pour agir sur elles ; il ne se rĂ©serve pas la fonction crĂ©atrice, mais il donne Ă  d’autres le pouvoir d’ĂȘtre crĂ©ateurs Ă  leur tour ; et c’est pourquoi il a rĂ©alisĂ© cette merveille qu’est l’ĂȘtre intelligent et volontaire, qui reçoit absolument tout de lui, mais qui, Ă  son plan de crĂ©ature, est vraiment libre et cause d’autres ĂȘtres. IT. — La rĂ©vĂ©lation de la grĂące La libertĂ© de l’homme, nous le savons dĂ©jĂ , n’est pas absolue elle se heurte sans cesse au dĂ©terminisme des lois de la nature. Mais ce dĂ©terminisme, en un sens, n’est pas pour lui dĂ©plaire il satisfait son besoin de clartĂ© et de logique, et lui permet de fonder la science et la technique. Par contre, en face du fait de la RĂ©vĂ©lation, il est dĂ©routĂ©. Que Dieu soit intervenu dans l’histoire du monde pour appeler l’homme Ă  partager sa propre vie, voilĂ  un fait qui ne rentre nullement dans le cycle des lois naturelles, universelles et nĂ©cessaires. C’est un fait contingent, qui dĂ©pend uniquement du bon plaisir divin ; il est du domaine de la grĂące. Il est CAPITAL QUE LE CHRÉTIEN SOIT PROFONDÉMENT PÉNÉTRÉ DE LA GRATUITÉ DES AVANCES DIVINES, et mĂ©dite sans cesse la misĂ©ricorde de Dieu, qui Ă©clate dans tout le cours de l’Ancien et du Nouveau Testament. Et il lui faut en tirer les consĂ©quences pratiques de reconnaissance et d’accueil, exigĂ©es par la dignitĂ© de Celui qui vient au- devant de lui. DĂšs les ORIGINES DE L’ANCIENNE ALLIANCE, c’est Dieu qui a l'initiative, c’est lui qui choisit Abraham, le PĂšre des croyants, le conduit vers la Terre promise, lui multiplie les promesses purement gratuites, et lui propose un pacte, non d’égal Ă  Ă©gal, mais comme ferait un monarque absolu avec le dernier de ses sujets. La seule chose que YahvĂ© lui demande en retour, c’est une fidĂ©litĂ© totale, mĂȘme au milieu des pires Ă©preuves. Plus tard quand il s’est souvenu » de son peuple opprimĂ© en Egypte, c’est lui qui le dĂ©livre par pure bontĂ©, et il tient Ă  ce qu’on sache qu’IsraĂ«l n’y est pour rien, et qu’il n’a donc pas Ă  s’en glorifier Ne dis pas dans ton cƓur, lorsque YahvĂ© ton Dieu les chassera devant toi C’est Ă  cause de ma juste conduite que YahvĂ© m'a fait entrer en possession de ce pays », alors que c’est en raison de leur perversitĂ© que YahvĂ© dĂ©possĂšde ces nations Ă  ton profit. Ce n’est pas la rectitude de ta conduite ni la droiture de ton cƓur qui te font entrer en possession de leur pays, mais c’est en raison de leur perversitĂ© que YahvĂ© ton Dieu dĂ©possĂšde ces nations Ă  ton profit ; et c’est aussi pour tenir la parole qu’il a jurĂ©e Ă  tes pĂšres, Abraham, Isaac et Jacob. Sache aujourd’hui que ce n’est pas la rectitude de ta conduite qui te vaut de recevoir de YahvĂ© ton Dieu cet heureux pays pour domaine car tu es un peuple Ă  la nuque raide » 102, Cette action misĂ©ricordieuse et gratuite, DIEU LA POURSUIT SANS RELACHE, dans le but de faire l’éducation de son peuple. Il le sĂ©pare des nations paĂŻennes pour lui Ă©viter la souillure des cultes idolĂątriques Voici un peuple qui habite Ă  part, il n’est pas rangĂ© parmi les nations » Nomb., XXII, 9. Il fait de lui une nation sainte Je vous tiendrai pour un royaume de prĂȘtres et une nation consacrĂ©e » Ex., XIX, 6. Il authentifie les prĂ©ceptes moraux de son autoritĂ© souveraine et exige qu’on les observe par respect pour lui C’est pour vous Ă©prouver que Dieu est venu sur le mont SinaĂŻ et pour que sa crainte, vous demeurant prĂ©sente, vous garde de pĂ©cher » Ex., xx, 20. Il ne se contente pas d’une observation matĂ©rielle de la Loi, mais il veut une obĂ©issance filiale Vous ĂȘtes des fils pour YahvĂ© votre Dieu » Deut., XIV, 1. Il veut mĂȘme un amour rĂ©ciproque, comme celui de l’épouse pour son Ă©poux Je te fiancerai Ă  moi pour toujours, etc. » OsĂ©e, IT, 21-22. Quand son peuple l’a abandonnĂ©, il COURT A SA RECHERCHE comme un Ă©poux malheureux mais tout prĂȘt au pardon OsĂ©e, II, 9, ou comme un pasteur Ă  la poursuite de ses brebis Ă©garĂ©es C’est moi qui ferai paĂźtre mes brebis et c’est moi qui les ferai reposer, oracle du Seigneur, YahvĂ©. Je chercherai celle qui est perdue, je ramĂšnerai celle qui est Ă©garĂ©e, je panserai celle qui est blessĂ©e, je guĂ©rirai celle qui est malade » Ez., XX XIV, 15-16. Dans tout le cours de l’histoire biblique, il appelle son peuple Ă  la pĂ©nitence, il l’éloigne des cultes dangereux, il le ramĂšne Ă  lui quand il s’est fourvoyĂ©, il lui inculque progressivement les sentiments les plus touchants service respectueux du Seigneur, obĂ©issance amoureuse Ă  sa Loi, dĂ©sir de l’intimitĂ© divine. Toujours c’est lui qui a l’initiative, et l’histoire entiĂšre d’IsraĂ«l, depuis l’exode jusqu’au dernier prophĂšte, est une preuve Ă©clatante de sa bontĂ© purement gratuite envers sa crĂ©ature. Aussi ne peut-il supporter les orgueilleux qui se glorifient de leur force, de leurs richesses ou de leurs bonnes Ɠuvres, et il se complaĂźt dans les pauvres, les humbles et les fervents, dont nous connaissons si bien les sentiments par la voix des psaumes. La gratuitĂ© de la misĂ©ricorde divine ne se manifeste pas moins, au contraire, DANS LE NOUVEAU TESTAMENT que dans l’Ancien. À une grĂące succĂšde une autre grĂące Jo., I, 16. Mais cette fois, c’est la pleine lumiĂšre, c’est le sommet des largesses divines. Dieu rĂ©vĂšle enfin le grand mystĂšre NOTRE PRÉDESTINATION Ă©ternelle dans le Christ JĂ©sus BĂ©ni soit le Dieu et PĂšre de notre Seigneur JĂ©sus Christ, qui nous a bĂ©nis par toutes sortes de bĂ©nĂ©dictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ. C’est ainsi qu’il nous a Ă©lus en lui, dĂšs avant la crĂ©ation du monde, pour ĂȘtre saints et immaculĂ©s en sa prĂ©sence, dans l’amour, dĂ©terminant d’avance que nous serions pour lui des fils adoptifs par JĂ©sus-Christ Eph., I, 3-5. JĂ©sus devient parmi nous l’expression vivante de la bontĂ© du PĂšre. Il court, Ă  son tour, aprĂšs la brebis perdue Jo., x ; il rappelle la misĂ©ricorde de Dieu envers l’enfant prodigue Luc, xv, 11-32 ; il envoie le Saint-Esprit, source de toutes les grĂąces. Mais toujours et en tout, c’est Dieu qui a l’initiative, c’est lui qui convertit les pĂ©cheurs et sanctifie les justes Sans moi vous ne pouvez rien faire » Jo., xv, 5. Il poursuit inlassablement les Ăąmes jusqu’à ce qu’elles aient atteint le degrĂ© de saintetĂ© qu’il leur a prĂ©parĂ© J’ai confiance, dit S. Paul, que celui qui a commencĂ© en vous cette Ɠuvre excellente en poursuivra l’accomplissement jusqu’au Jour du Christ JĂ©sus » Phil. I, 6. Et, dans le Nouveau Testament comme dans l’Ancien, les bĂ©nĂ©ficiaires des grĂąces divines ne sont pas ceux qui se glorifient de leurs Ɠuvres, comme les scribes et les pharisiens, mais LES HUMBLES PÉCHEURS, qui regrettent leur mauvaise conduite et attendent tout de la misĂ©ricorde divine. Sur ce sujet les textes abondent et sont dans toutes les mĂ©moires parabole du pharisien et du publicain Luc, XVIII, 9 Ă  14, pardon de la pĂ©cheresse de Magdala Luc, VIL 36-50 ; de la femme adultĂšre Jo., VIII, 1-11 ; du bon larron Luc, XXIIL, 43, et de tous les malades qui ont eu la foi, ont rĂ©pondu Ă  la grĂące et ont Ă©tĂ© guĂ©ris ; affirmations innombrables de S. Paul et des autres apĂŽtres, spĂ©cialement dans l’épĂźtre aux Romains, etc. La gratuitĂ© du salut est manifestement un des enseignements les plus clairs de la RĂ©vĂ©lation cette doctrine est la base de toutes les autres, les Ă©claire, les soutient, et les rĂ©sume. IT. — ThĂ©ologie de la grĂące actuelle Le travail du thĂ©ologien est particuliĂšrement dĂ©licat dans le chapitre de la grĂące actuelle comment concilier le dĂ©terminisme de la nature, les lois de la mĂ©taphysique et la gratuitĂ© absolue du don divin ? C’est Ă  cette Ɠuvre que SAINT AUGUSTIN s'Ă©tait longuement consacrĂ©. D'une part il est totalement fidĂšle Ă  l’enseignement de la RĂ©vĂ©lation. Il accepte dans toute leur rigueur les formules les plus mystĂ©rieuses du Nouveau Testament. S. Paul surtout est son maĂźtre, lui qui a, le premier, si vigoureusement approfondi le mystĂšre de la grĂące. Il le cite souvent C’est pourquoi, disons-nous avec l’ApĂŽtre — car il nous est impossible de nous exprimer mieux que lui — O homme ! vraiment, qui es-tu pour disputer avec Dieu ? Rom., IX, 20 » 10. Parfois, par exemple dans cette Ă©pĂźtre cv, son exposĂ© de la grĂące n’est guĂšre qu’un commentaire de S. Paul. Mais d’autre part, dans ses Ɠuvres de synthĂšse, il unit au donnĂ© rĂ©vĂ©lĂ© des Ă©lĂ©ments philosophiques empruntĂ©s aux NÉO-PLATONICIENS. Ainsi, dans le texte suivant du De Genesi ad litteram, on sĂ©parerait difficilement ce qui est propre au christianisme et ce qui est dĂ» au platonisme. Parlant de la crĂ©ature spirituelle en gĂ©nĂ©ral, il Ă©crit Quand elle s’est dĂ©tournĂ©e de la Sagesse immuable, elle vit dans l’hĂ©bĂ©tude et la misĂšre. Le moyen pour elle de vivre dans la sagesse et le bonheur est de se tourner vers le Verbe de Dieu, dont elle a reçu une existence prĂ©caire et la vie. La Sagesse Ă©ternelle ne cesse jamais de parler, par l’inspiration cachĂ©e de son appel, Ă  cette crĂ©ature dont elle est le principe » 104, Selon S. Augustin, le Verbe de Dieu est tout pour la crĂ©ature. Il en est la source À quo existit, la fin bĂ©atifiante ad illum convertitur et il la poursuit de ses appels occulta inspiratione. Ainsi, de cet ĂȘtre informe », comme il dit souvent ici, il emploie l’expression ut sit utcumque », qui n’avait qu’une existence imparfaite et misĂ©rable, il fait un ĂȘtre resplendissant de sagesse et de saintetĂ© ut sapienter ac beate vivat. SAINT THOMAS, lui, on le sait, prĂ©sente une Ă©norme supĂ©rioritĂ© sur S. Augustin il a introduit dans son systĂšme les principes mĂ©taphysiques par lesquels Aristote explique la nature des choses. S. Augustin ne s’intĂ©resse pas Ă  la constitution essentielle des ĂȘtres. Pour lui, Dieu seul mĂ©rite vĂ©ritablement le nom d’Etre, parce qu’il possĂšde en sa simplicitĂ© ineffable la plĂ©nitude de l’ĂȘtre. Quant aux crĂ©atures, quelles qu’elles soient, il ne s’y arrĂȘte pas. Elles lui apparaissent comme essentiellement dĂ©ficientes, fluentes, et indignes de retenir notre attention. Pous employer les expressions de M. Marrou Les autres ĂȘtres, créés, rĂ©vĂšlent une structure qu’on pourrait appeler spongieuse comme l’éponge est faite de tissus et de trous, de vides, ainsi les ĂȘtres sont faits d’ĂȘtre et d’une absence, d’un manque d’ĂȘtre, et ils peuvent se dĂ©finir comme plus ou moins spongieux » 105 Au fond, pour S. Augustin, les crĂ©atures n’ont d’intĂ©rĂȘt que dans la mesure oĂč elles nous conduisent au CrĂ©ateur. Et sa position mĂ©taphysique est Ă©videmment trĂšs favorable Ă  un exposĂ© de la grĂące Dieu peut faire ce qu’il veut des crĂ©atures qui ne sont pas soumises Ă  des lois rigides et nĂ©cessaires. Saint Thomas a une position trĂšs diffĂ©rente. Sans nier le moins du monde que les ĂȘtres créés doivent nous conduire Ă  Dieu, et sans diminuer aucunement la portĂ©e du dogme de la grĂące, il enseigne avec Aristote que les crĂ©atures ont une nature fixe, intĂ©ressante en elle-mĂȘme, matiĂšre Ă  une Ă©tude enrichissante, et sujette Ă  des lois immuables. C’est lĂ , il faut l’avouer, un tour de force. Comment a-t-il pu le rĂ©aliser ? 1. — Tout d’abord, S. Thomas accepte dans toute sa rigueur le donnĂ© rĂ©vĂ©lĂ©, le MYSTÈRE DE LA GRACE. Il est en cela le disciple fidĂšle de S. Paul, des conciles, de toute la tradition et spĂ©cialement de S. Augustin. Pour lui, comme pour S. Augustin, Dieu est Ă  l’origine de la grĂące, Ă  son dĂ©veloppement et Ă  son terme. Prenons un cas concret la conversion d’un adulte. À qui revient l’initiative de la conversion ? À Dieu, dans sa bontĂ© infinie, ou Ă  l’homme, qui s’est mis Ă  rĂ©flĂ©chir sur sa destinĂ©e ? Contre PĂ©lage et les semi-pĂ©lagiens, S. Thomas enseigne que l’initiative de la conversion revient Ă  Dieu. Tout d’abord une initiative Ă©ternelle, qui s’appelle prĂ©destination. De toute Ă©ternitĂ©, Dieu a eu l’initiative d’appeler cet Ă©lu Ă  partager son bonheur cĂ©leste, et il a tout prĂ©parĂ© pour lui favoriser la correspondance Ă  cette vocation. Puis une initiative temporelle. À tel moment de l’histoire, Dieu a envoyĂ© des grĂąces Ă  cet adulte pour lui donner le sens du mystĂšre, le sens de l’éternitĂ©, l’angoisse de son salut. Sans cette touche divine, l’homme n’aurait pas Ă©tĂ© orientĂ© vers Dieu. Tout au plus aurait-il Ă©prouvĂ© des impressions sentimentales et poĂ©tiques naturelles, mais non pas un besoin de conversion proprement dite. Et cette initiative si complĂšte se continue inlassablement, jusqu’au terme final. Elle est exigĂ©e spĂ©cialement chaque fois que l’ñme doit faire un effort exceptionnel, par exemple un acte supĂ©rieur Ă  ses capacitĂ©s habituelles, en vertu du principe on ne peut donner ce que l’on n’a pas, on ne peut rĂ©aliser une chose pour laquelle on n’est pas outillĂ©. L'initiative ne revient Ă  l’ñme que quand il s’agit d’actes ordinaires, proportionnĂ©s Ă  son Ă©quipement » surnaturel. Mais ici encore, Dieu agit nĂ©cessairement, et donne tout Ă  l’ñme, mĂȘme le don d’initiative. Ce que Dieu a rĂ©alisĂ© au cours des siĂšcles dans l’histoire d’IsraĂ«l, il le rĂ©pĂšte pour chaque Ăąme individuelle il s’occupe d’elle comme si elle Ă©tait seule au monde, et il la soutient de ses grĂąces jusqu’au dernier instant, inclusivement. Inclusivement.
., que la persĂ©vĂ©rance finale elle-mĂȘme est un don gratuit. C’est lĂ  un profond mystĂšre. On peut en entrevoir la convenancce si on se rappelle que cette persĂ©vĂ©rance nous fixe pour l’éternitĂ© dans un bonheur infini comment mĂ©riter un bien infini en stricte justice ? La seule ATTITUDE CONVENABLE en face de cette grĂące est l’humilitĂ©, la confiance et l’abandon Dieu ne nous refusera la grĂące que si nous y mettons obstacle. Autrement dit, notre pouvoir en ce domaine si prĂ©cieux est surtout nĂ©gatif nous pouvons refuser la grĂące de Dieu, nous pouvons gĂȘner son action, mais nous ne pouvons pas la mĂ©riter strictement. De la sorte, c’est en toute justice que les pĂ©cheurs se damnent ils ont librement rejetĂ© la grĂące purement gratuite de Dieu. Reste que Dieu, s’il le voulait, pourrait amener malgrĂ© tout telle Ăąme Ă  suivre docilement ses inspirations il est assez puissant pour le faire sans violenter la libertĂ©. Pourquoi ne le fait-il pas ? Pourquoi y a-t-il des damnĂ©s ? Les apologistes trouveront des raisons plausibles pour justifier l’enfer. Mais le dernier mot revient Ă  la Sagesse mystĂ©rieuse de Dieu. Et c’est ce donnĂ© fondamental, base du christianisme, que S. Thomas accepte sans aucune restriction. En cela, la raison ne peut que s’incliner le chrĂ©tien est nĂ©cessairement un fidĂšle qui croit Ă  la grĂące. 2. — Ce mystĂšre une fois admis, S. Thomas introduit largement dans le dogme les PRINCIPES MÉTAPHYSIQUES exposĂ©s plus haut. On peut dire en un mot que les rapports entre Dieu et l’ñme sainte ne sont que la transposition au plan surnaturel des rapports prĂ©existant naturellement. Au plan naturel, nous l’avons dit, Dieu est la source de l’ĂȘtre et de l’agir des crĂ©atures en vertu de sa transcendance et de son immanence, toute leur activitĂ© libre vient de lui, et cependant cette activitĂ© est vraiment leur Ɠuvre personnelle et spontanĂ©e. De mĂȘme au plan surnaturel Dieu est l’auteur de toutes les grĂąces actuelles, depuis les approches de la conversion jusqu’à la persĂ©vĂ©rance finale. Mais il agit en Dieu, D’UNE MANIÈRE SI TRANSCENDANTE ET SI IMMANENTE que l’ñme atteinte par ses touches mystĂ©rieuses reste parfaitement libre. Elle se dĂ©cide librement Ă  se convertir ; elle rĂ©pond librement Ă  chaque motion de la grĂące ; et elle se jette librement en Dieu pour l’éternitĂ© au dernier instant de sa vie terrestre. DĂšs qu’on veut pĂ©nĂ©trer plus avant dans le mĂ©canisme de cette collaboration de Dieu et de l’ñme au plan surnaturel, diverses explications s’offrent Ă  notre choix, prĂ©sentĂ©es par les molinistes, les suarĂ©ziens, les thomistes du XVII* siĂšcle, etc. A vrai dire, aucune de ces explications n’est satisfaisante. Les meilleurs thomistes du XX° siĂšcle un P. Sertillanges, un P. Deman, et d’autres, avouent que certaines expressions pourtant devenues classiques prĂ©motion physique, grĂące suffisante, grĂące efficace, etc., prĂȘtent le flanc Ă  la critique et ne peuvent ĂȘtre maintenues que moyennant des distinctions trĂšs subtiles pensons Ă  Pascal ironisant sur la grĂące suffisante » qui ne suffit pas toujours. En rĂ©alitĂ© toutes ces discussions interminables rĂ©vĂšlent un climat trĂšs diffĂ©rent de celui de S. Thomas. Les thĂ©ologiens de la Renaissance veulent mettre en relief la libertĂ© de l’homme et son rĂŽle dans l’affaire du salut. Ils ont parfois tendance Ă  mettre l’action de Dieu et celle de l’homme sur le mĂȘme plan, et Ă  vouloir montrer comment l’homme, par son activitĂ© propre, peut transformer une grĂące d’une certaine qualitĂ© grĂące suffisante en une grĂące supĂ©rieure grĂące efficace. Ils cherchent, comme disait excellemment le P. Deman, Ă  lĂ©galiser la grĂące pour corriger le paradoxe d’un ĂȘtre libre et qui n’est pas maĂźtre de son destin » 106, S. Thomas se place Ă  un autre point de vue. Il ne nie pas, certes, la libertĂ© de l’homme ni son mĂ©rite surnaturel, mais il met surtout l’accent sur le rĂŽle de Dieu et sur la gratuitĂ© du salut, et il ne concilie les deux donnĂ©es du problĂšme libertĂ© de l’homme et grĂące purement gratuite, qu’en se rĂ©fĂ©rant Ă  la nature profondĂ©ment mystĂ©rieuse de Dieu et de son action sur les ĂȘtres. C’est pourquoi les termes fondamentaux qu’il emploie dans la division de la grĂące sont ceux d’ opĂ©rante » et coopĂ©rante ». Cette distinction est essentielle en thomisme, et parfaitement accordĂ©e aux principes mĂ©taphysiques relatifs aux rapports de Dieu et des crĂ©atures 17. 3. — Mais en introduisant, autant que faire se peut, les lois de la nature dans le donnĂ© rĂ©vĂ©lĂ© concernant la grĂące, S. Thomas n’oublie pas que la nature en question est surtout celle de l’homme, CORROMPUE PAR LE PÉCHÉ ORIGINEL. Et ceci l’amĂšne Ă  formuler une double prĂ©cision importante. a Quoique la tache du pĂ©chĂ© soit totalement enlevĂ©e par le baptĂȘme, il reste cependant que L'HOMME DEMEURE AFFLIGE D'UN PROFOND DESEQUILIBRE dans toutes ses puissances. Les saints eux-mĂȘmes sont incapables de retrouver exactement l’état de justice originelle au sens thomiste du mot. MĂȘme arrivĂ©s au plus haut degrĂ© de saintetĂ©, ils conservent en eux un principe de dĂ©sordre redoutable ; ce trĂ©sor de la grĂące, comme dit S. Paul parlant de lui-mĂȘme, ils le portent dans des vases d’argile, pour qu’on voie bien que cette extraordinaire puissance appartient Ă  Dieu et ne vient pas de nous » II Cor.,iv, 7, et ils ne peuvent jamais se vanter d’ĂȘtre dĂ©sormais impeccables. Le plus grand saint, au moment de la mort, se sait pĂ©cheur et n’espĂšre en dĂ©finitive son salut que de la misĂ©ricorde de Dieu. Cette doctrine est fort Ă©loignĂ©e du naturalisme philosophique, qui juge qu’une Ă©ducation bien menĂ©e est capable de conduire l’homme Ă  la perfection. Elle considĂšre au contraire l’homme comme un malade incurable Ă  un certain point de vue, et sous ce rapport elle est pessimiste. Mais elle oblige par lĂ -mĂȘme Ă  une humilitĂ© profonde, Ă  une dĂ©fiance perpĂ©tuelle de soi, et Ă  une confiance absolue en Dieu. Et comme nous savons qu’au grand Jour de la RĂ©surrection, tout sera restaurĂ© dans l’intĂ©gritĂ© parfaite, c’est, somme toute, l’optimisme qui domine de beaucoup dans l’ñme du chrĂ©tien, et lui procure une joie inaltĂ©rable. b Cet optimisme est d’autant plus ardent que le CHRÉTIEN POSSÈDE EN LUI L’'ANTIDOTE MEME DU PECHE ORIGINEL. Nous avons distinguĂ© la grĂące habituelle ch. XIIT et la grĂące actuelle en ce ch. XIX. C’était nĂ©cessaire et conforme Ă  l’enseignement de la thĂ©ologie. Mais quand il s’agit de montrer comment la grĂące guĂ©rit la nature corrompue, il ne faut pas oublier les rapports normaux qui unissent la grĂące habituelle et la grĂące actuelle celle-ci a pour fonction essentielle de prĂ©parer Ă  celle-lĂ . Or rappelons-nous les splendeurs de la grĂące habituelle. Elle fait de nous des enfants de Dieu. Elle nous introduit dans le mystĂšre de la vie Trinitaire, vie toute de bontĂ©, d’amour et de don rĂ©ciproque des Personnes divines, autant que de saintetĂ©. Par suite, la racine mĂȘme de notre dĂ©sordre originel se trouve purifiĂ©e, cet Ă©goĂŻsme farouche qui nous faisait tout ramener Ă  nous. Non seulement la grĂące divine, en nous pĂ©nĂ©trant Ă  fond, nous rend ontologiquement saints et agrĂ©ables Ă  Dieu, mais elle nous communique le principe d’une vĂ©ritable mĂ©morphose psychologique et morale. Elle nous transfĂšre d’un monde d’égoĂŻsme et de dĂ©sordre dans un MONDE DE CHARITÉ, d’oubli de soi et de dĂ©vouement Ă  Dieu et au prochain. Et par suite, le dĂ©sordre originel est sapĂ© Ă  la base. Ainsi rectifiĂ© radicalement par la grĂące habituelle et fortifiĂ© par la grĂące actuelle toute-puissante, le chrĂ©tien se sent armĂ© pour aller Ă  la reconquĂȘte de l’ordre originel. Quoique sachant bien qu’il ne l’atteindra jamais parfaitement ici-bas, il sait qu’il peut s’en rapprocher de plus en plus, et retrouver partiellement la paix et l’harmonie de l’Eden. C’est ce que font les plus grands saints. C’est ce que tous les chrĂ©tiens pourraient faire Ă  leur maniĂšre, s’ils voulaient s’en donner la peine. Chapitre XX LA FOI Avec les vertus thĂ©ologales, nous pĂ©nĂ©trons AU CƒUR DE LA VIE MORALE CHRÉTIENNE. La foi est Ă  elle seule tout un monde. Elle est la source de la vie surnaturelle. Elle intĂ©resse toutes les facultĂ©s de l’homme son intelligence, en lui proposant la VĂ©ritĂ© suprĂȘme ; sa volontĂ©, en l’invitant Ă  un dĂ©passement absolu ; son coeur, bien souvent, en lui donnant la nostalgie de l'infini. Elle est aussi et surtout un don de la grĂące. Car c’est Dieu qui attire l’ñme ; c’est lui qui lui parle au cƓur et lui rĂ©vĂšle son intervention dans l’histoire de l’humanitĂ© ; c’est lui qui se donne Ă  elle comme objet de connaissance amoureuse et comme motif d'adhĂ©sion ; c’est lui enfin qui la fait progresser dans cette voie. Selon notre coutume, nous ne traiterons pas la question sous tous ses aspects. Nous nous bornerons Ă  ce qui nous semble le plus central et peut- ĂȘtre le moins connu la nature de la foi selon S. Thomas, et la vie de la foi dans notre Ăąme ; l’auteur de l’EpfĂźtre aux HĂ©breux ne dit-il pas mon juste vivra par la foi » x, 38-42 ? I. — L’objet de la foi L'objet de la foi, dit S. Thomas, c’est la VÉRITÉ PREMIÈRE ». Cette expression ne se rencontre que sous la plume des thĂ©ologiens. Elle est trop technique pour ĂȘtre employĂ©e dans le langage courant. Mais il est important de bien saisir la doctrine qu’elle renferme. Au plan naturel, quand nous faisons foi Ă  quelqu'un, nous acceptons comme vraies LES PAROLES qu’il nous dit. L’objet total de notre croyance est l’affirmation qu’il formule. Nous admettons, par exemple, les rĂ©cits d’un voyageur que nous savons sincĂšre et bien informĂ© ; nous faisons nĂŽtres certaines conclusions scientifiques ou thĂ©ologiques auxquelles nous ne comprenons rien, mais qui s'imposent Ă  notre esprit Ă  cause de la compĂ©tence de leurs auteurs. Dans tous ces cas, notre croyance s’arrĂȘte Ă  une proposition, ou mieux Ă  l’idĂ©e qu’elle exprime. Au plan surnaturel, nous trouvons sans doute quelque chose d’analogue quand nous faisons un acte de foi chrĂ©tienne, nous acceptons un ensemble de vĂ©ritĂ©s appelĂ©es dogmes, et formulĂ©es, elles aussi, en propositions logiques. Nous en reparlerons plus loin. Mais Ă  cĂŽtĂ© de cette ressemblance, il y a une diffĂ©rence essentielle. Alors que l’objet de foi humaine est une vĂ©ritĂ© particuliĂšre et souvent abstraite, l’objet principal de la foi surnaturelle est DIEU EN PERSONNE, VĂ©ritĂ© concrĂšte et infinie, et VĂ©ritĂ© Ă  un double titre. On distingue en effet couramment en philosophie, deux sortes de vĂ©ritĂ©s la vĂ©ritĂ© ontologique, qui caractĂ©rise les ĂȘtres ceci est du vrai vin, et la vĂ©ritĂ© logique ce jugement est vrai. Or Dieu est vrai Ă  ce double point de vue. D’abord il est la RÉALITÉ absolue, la seule qui compte en dĂ©finitive. Puis il est la LUMIÈRE Ă©blouissante, source de toutes les autres vĂ©ritĂ©s. Et c’est Ă  ce double titre qu’il est appelĂ© VĂ©ritĂ© premiĂšre ». L’ñme qui se convertit Ă  la foi chrĂ©tienne ne vit plus dĂ©sormais que pour l” Unique nĂ©cessaire ». Auparavant, son regard Ă©tait bornĂ© aux choses de la terre et aux personnes humaines. Maintenant il s’ouvre sur l’infini, sur un infini qui Ă©clipse toutes les lumiĂšres par son Ă©clat. Et elle voit toutes choses sous le jour de l’éternitĂ©. Elle sait que tout le créé est Ă  base de nĂ©ant, une ombre misĂ©rable par rapport Ă  la rĂ©alitĂ© divine, et que Dieu est la seule Valeur absolue pour toujours. Aussi Ă©prouve-t-elle une transformation profonde dans toute sa vie psychologique et morale. Il lui semble qu’elle passe d’un chaos de tĂšnĂšbres Ă  un monde de lumiĂšres. D’autant plus que l’objet de sa foi n’est pas le Dieu des philosophes, dont la solitude inaccessible dĂ©fie toutes les tentatives d’approche. C’est le DIEU DE LA RÉVÉLATION, Dieu intervenant dans l’humanitĂ©, depuis Abraham et les Patriarches, jusqu’à la fin du monde, dans le mystĂšre de l’Eglise, en passant par JĂ©sus-Christ, centre de l’histoire. C ”est pourquoi certains contemporains prĂ©sentent le Christ JĂ©sus comme l’objet propre de la foi, de prĂ©fĂ©rence Ă  Dieu-TrinitĂ©. On comprend leur intention, mais il n’y a pas lieu de modifier l’enseignement traditionnel. L'objet propre de la foi est DIEU-TRINITÉ, tout comme la TrinitĂ© est l’objet de la vision bĂ©atifique. La foi, en effet, prĂ©pare Ă  la vision. Elle possĂšde dans l’obscuritĂ© ce que l’ñme bienheureuse contemplera en pleine clartĂ©. Sans doute, en vertu du mystĂšre de l’Incarnation, le Christ devient notre fin derniĂšre, et donc l’objet de notre foi, puisqu'il est une Personne divine. Mais il n’est pas seulement une fin pour nous, il est aussi moyen par rapport Ă  cette fin, puisqu'il a une nature humaine. Et mĂȘme en tant que Verbe incarnĂ©, son rĂŽle est de nous rĂ©vĂ©ler la TrinitĂ©, de nous conduire Ă  elle, et de nous faire participer Ă  sa vie. Il faut donc maintenir avec S. Thomas que l’objet propre de la foi est la VĂ©ritĂ© premiĂšre » Dieu - TrinitĂ© connu par la RĂ©vĂ©lation. Retenons seulement avec soin que cette RĂ©vĂ©lation a son point culminant dans le Christ JĂ©sus. En ceci, du reste, il n’y a pas non plus de diffĂ©rence essentielle entre la grĂące et la gloire ici-bas comme au ciel, c’est par le Seigneur JĂ©sus que nous allons Ă  la TrinitĂ©. Ces notions permettent de saisir L'UNITÉ ET LA SIMPLICITÉ DE LA FOI malgrĂ© la variĂ©tĂ© des Ă©tats au cours de l’histoire et le nombre relativement grand des dogmes particuliers. Toujours, en effet, quelle que soit l’époque oĂč vit le fidĂšle, et quelle que soit la nature du dogme professĂ©, l’objet de la foi est en dĂ©finitive DIEU EN TANT QU'IL SE RÉVÈLE. Dans l’Ancien Testament il rĂ©vĂšle progressivement sa nature, sa puissance, sa misĂ©ricorde, ses exigences de saintetĂ©, ses promesses de salut. Dans le Nouveau Testament, c’est encore lui qui se propose comme objet de foi. L’Incarnation, c’est Dieu qui se fait homme ; la RĂ©demption, c’est Dieu qui sauve l’humanitĂ© ; la grĂące, c’est Dieu qui communique sa vie aux Ăąmes ; l’Eglise, c’est Dieu prĂ©sent dans le monde, etc. Ainsi l’objet de la foi reste parfaitement un, au milieu de toutes ses formulations. Non pas que les DOGMES PARTICULIERS, prĂ©cisĂ©s par les conciles, doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme nĂ©gligeables ils s’imposent rigoureusement Ă  notre foi thĂ©ologale. Et les expressions littĂ©raires elles - mĂȘmes qui ont servi Ă  les formuler ont une valeur dĂ©finitive. Il serait vain d’allĂ©guer que les concepts grĂ©co-latins utilisĂ©s jadis par les PĂšres ne sont plus de mode aujourd’hui. Ce n’est sĂ»rement pas sans une prĂ©paration providentielle que la logique et la langue grecques se sont trouvĂ©es Ă  pied d’Ɠuvre pour faciliter le travail des thĂ©ologiens. Quoi que certains en disent, toutes les cultures n’ont pas la mĂȘme valeur. La culture grĂ©co - latine, affinĂ©e par des siĂšcles de rĂ©flexion chrĂ©tienne, est plus que tout autre apte Ă  exprimer les lois objectives de l’ĂȘtre et les intuitions naturelles de l’esprit humain. MĂȘme et surtout quand on veut prĂ©senter la doctrine catholique Ă  des mentalitĂ©s diffĂ©rentes, il faut d’abord la possĂ©der dans les termes mĂȘmes oĂč elle a Ă©tĂ© formulĂ©e. Ces prĂ©cisions ont valeur d’éternitĂ©. Mais il reste vrai que tout langage humain n’a qu’une fonction analogique lorsqu'il est appliquĂ© aux rĂ©alitĂ©s divines. La rigueur des concepts et des termes dans la formulation des dogmes ne doit donc pas Ă©vacuer le mystĂšre, mais, au contraire, nous guider sĂ»rement dans la voie qui nous conduit Ă  Dieu. IT. — Le motif de la foi Le motif de notre foi est, d’un mot, LA PAROLE DE DIEU la foi naĂźt de la prĂ©dication, et de cette prĂ©dication la Parole du Christ ou la Parole de Dieu est l’instrument » Rom., x, 17. Dieu, intervenant dans l’histoire du monde, ne se montre pas tel qu’il est il affirme certaines vĂ©ritĂ©s par la Parole qu’il fait entendre aux prophĂštes, ou qu’il exprime par la bouche de son Fils bien-aimĂ©. Par l’acte de foi nous acceptons cette Parole, nous assimilons son contenu, nous le faisons nĂŽtre comme si nous avions nous-mĂȘmes trouvĂ© les vĂ©ritĂ©s reçues. Bien mieux, nous accueillons ces vĂ©ritĂ©s avec beaucoup plus de joie et de certitude que si nous en Ă©tions les inventeurs, car nous sommes par nature sujets Ă  l’erreur, sauf en ce qui concerne les tout premiers principes et les toutes premiĂšres Ă©vidences, tandis qu’il n’y a aucun risque Ă  accepter le tĂ©moignage de Celui qui est la vĂ©ritĂ© mĂȘme. Certains contemporains parlent du risque de la foi ». Cette expression est d’origine protestante. On peut Ă  la rigueur lui donner un sens acceptable dans un climat purement psychologique et dans le contexte d’une philosophie moderne, en prĂ©cisant qu’il s’agit seulement d’impressions subjectives transitoires et de descriptions phĂ©nomĂ©nologiques. Mais, Ă  la prendre dans son sens objectif, elle est fausse et blasphĂ©matoire la foi en Dieu ne peut ĂȘtre que source de certitude, de joie et de paix. D'autant plus que, objectivement, la foi n’est pas simplement un phĂ©nomĂšne psychologique elle est une VERTU THÉOLOGALE qui nous fait participer rĂ©ellement, quoique d’une maniĂšre trĂšs mystĂ©rieuse, Ă  la connaissance mĂȘme que Dieu a de lui. En effet, n’oublions pas que les vertus thĂ©ologales dĂ©coulent de la grĂące comme de leur source. Or cette grĂące, nous le savons, est une participation rĂ©elle, quoique analogique, Ă  la nature mĂȘme de Dieu DivinĂŠ consortes naturĂŠ » 2* Petri, I, 4. Donc les vertus thĂ©ologales sont elles-mĂȘmes une participation aux attributs de Dieu. Dans le cas de la foi, c’est Ă  la VĂ©ritĂ© divine que nous participons, Ă  ce divin regard » que Dieu a de lui et de ses crĂ©atures. Tant que nous vivons sur cette terre, cette assimilation Ă  la VĂ©ritĂ© divine se fait dans l’obscuritĂ©. Elle n’en est pas moins rĂ©elle, et la vision de gloire au ciel ne fera que dĂ©voiler Ă  nos yeux Ă©blouis le trĂ©sor que nous portons en nous ici-bas. La grĂące atteint l’homme dans ce qu’il a de plus profond, l’essence mĂȘme de son Ăąme dont elle dĂ©termine la re-gĂ©nĂ©ration et comme la re-crĂ©ation. Pourtant, cette essence de l’ñme est celle d’une Ăąme douĂ©e de raison et d’intelligence ; c’est en tant que capable de connaissance intellectuelle, et par lĂ  d’amitiĂ© avec Dieu, que l’ñme humaine est susceptible de ce don surnaturel et divin. On conçoit donc qu’en se rĂ©pandant de l’essence de l’ñme humaine, dans ses diverses facultĂ©s, la grĂące atteigne d’abord la plus haute de toutes, cette facultĂ© de connaĂźtre qu’est l’intellect, avec la raison qui n’en est que le mouvement mĂȘme » 106, Tant que notre foi ne s’appuie pas essentiellement sur Dieu lui-mĂȘme en tant qu’il est la VĂ©ritĂ© mĂȘme, elle n’est pas la vraie foi surnaturelle. Supposons que nous croyions pour des motifs de crĂ©dibilitĂ© diffĂ©rents, mĂȘme trĂšs Ă©levĂ©s, tels que la beautĂ© du catholicisme, la cohĂ©sion de la doctrine chrĂ©tienne, l’autoritĂ© morale de l’Eglise, l’importance de certains miracles, etc., et que nous en restions lĂ , nous n’aurions qu’une foi acquise », purement humaine, et qui ne nous introduirait nullement dans le sanctuaire de la DivinitĂ©. Nous resterions pour ainsi dire dans le parvis du Temple. Nous n’avons la FOI PROPREMENT DITE, surnaturelle et infuse, qu’à l’instant oĂč nous dĂ©passons tous les motifs de crĂ©dibilitĂ© apologĂ©tique pour ne plus voir que Dieu, VĂ©ritĂ© suprĂȘme, et nous remettre totalement Ă  lui pour le temps et l’éternitĂ©. En termes thĂ©ologiques. les motifs » de crĂ©dibilitĂ© ne suffisent pas Ă  constituer la foi thĂ©ologale celle-ci est fondĂ©e sur la VĂ©ritĂ© divine objet formel » de la foi, l’objet formel Ă©tant insĂ©parable de l’objet matĂ©riel » qui est la vĂ©ritĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e, ou au fond, nous venons de le voir, Dieu lui-mĂȘme. Le motif » au sens courant du terme, englobe l’ objet formel », plus prĂ©cis. Cet acte de foi n’est pas seulement, on le voit, un acte d’intelligence il comporte aussi un acte de la volontĂ© qui s’abandonne entiĂšrement Ă  Dieu. La foi morte », unie au pĂ©chĂ© mortel, est une monstruositĂ© qu’on est bien obligĂ© d’admettre, mais qui rĂ©pugne, et dont les Ă©crits du Nouveau Testament ne parlent jamais, si ce n’est au sujet des dĂ©mons Ils croient et ils tremblent » Jac., II, 19. Mais quoique accompagnĂ©e normalement de la volontĂ©, c’est l'intelligence qui a le rĂŽle essentiel dans l’acte de foi. On dit souvent, Ă  la suite de Rom. I, 6 et Act., VI, 7, que la foi est un acte d’obĂ©issance Ă  Dieu qui parle. Il faut prĂ©ciser. L’obĂ©issance est une vertu de la volontĂ©, tandis que la foi est une vertu de l’intelligence. L’obĂ©issance s’incline devant un ordre la foi adhĂšre Ă  la lumiĂšre divine. Sans doute, rĂ©pĂ©tons-le, le rĂŽle de la volontĂ© est immense dans l’acte de foi, mais sa fonction est de mettre l'intelligence Ă  mĂȘme d’atteindre son objet propre la VĂ©ritĂ© divine. Ainsi, en rĂ©alitĂ©, la foi ne s’arrĂȘte pas Ă  la Parole divine elle va plus loin. Elle pĂ©nĂštre JUSQU’A LA SCIENCE MÊME DE DIEU. Si bien que tous les intermĂ©diaires qui l’ont conduite jusqu’à ce sommet et qui sont tous les motifs de crĂ©dibilitĂ© ne font nullement Ă©cran entre Dieu et l'intelligence irradiĂ©e de ses lumiĂšres. L'Eglise elle-mĂȘme, dit CajĂ©tan, n’est que ministra objecti », la Servante qui a la garde du dĂ©pĂŽt rĂ©vĂ©lĂ©, qui a la charge de l’expliquer, de le conserver, de le mĂ©diter, mais qui est elle-mĂȘme soumise Ă  ce trĂ©sor divin, et n’a d’autre idĂ©al que d’introduire les Ăąmes Ă  son contact afin de les Ă©clairer et et de les sanctifier. Elle est amenĂ©e par les nĂ©cessitĂ©s de sa charge Ă  prĂ©ciser les dogmes. Mais son intervention en cette matiĂšre, nous l’avons dĂ©jĂ  dit, ne fait que nous faciliter la connaissance de la vĂ©ritĂ©. En agissant ainsi, elle se conduit comme une MĂšre aimante et infaillible qui nous conduit sĂ»rement au PĂšre des lumiĂšres ». IT. — La vie de la foi Ce que nous venons de rappeler nous aide Ă  comprendre comment le chrĂ©tien vit normalement dans une ATMOSPHÈRE SURNATURELLE, essentiellement diffĂ©rente de celle de l’incroyant. Tout en demeurant dans l’obscuritĂ© de la foi, il a une certaine expĂ©rience des choses divines qui lui tient lieu, pratiquement, de tous les arguments de crĂ©dibilitĂ© et lui dĂ©voile un monde nouveau. Ainsi que le dit le P. Hugueny Quoique nous ne voyions pas Dieu par la foi, nous avons, par l'intuition de l’Ɠuvre de sa grĂące dans nos dispositions d’esprit et de volontĂ©, la certitude de son action et de sa prĂ©sence, et nous disons C’est lui », comme si nous le voyions, et nous croyons Ă  sa parole, comme si nous l’entendions lui-mĂȘme de nos propres oreilles extĂ©rieures, son Ephpheta ayant ouvert celles de notre cƓur spirituel. Ainsi prĂ©sentĂ©e par la grĂące intĂ©rieure en mĂȘme temps que par les concepts qui nous viennent de la parole extĂ©rieure, les rĂ©alitĂ©s surnaturelles nous deviennent objet de sens intime, aussi bien que les rĂ©alitĂ©s du monde de la sensibilitĂ©, et non plus seulement objet de connaissance abstraite » 109, Les chrĂ©tiens de vieille souche ne se rendent pas toujours compte de cette faveur d’ordinaire les convertis rĂ©cents la remarquent mieux. Mais elle existe cependant Ă  des degrĂ©s divers, et il ne tient qu’à nous de progresser dans cette expĂ©rience des choses divines. Il suffit de favoriser en nous le dĂ©veloppement de la vertu de foi, celui des dons du Saint-Esprit qui s’y rattachent, et de vivre conformĂ©ment Ă  ces lumiĂšres surnaturelles. Le DÉVELOPPEMENT DE LA FOI dĂ©pend directement de Dieu Ă©tant une vertu infuse par lui dans l’ñme, Ă©tant une participation rĂ©elle de la connaissance divine, elle est trop Ă©levĂ©e pour que nous puissions la faire croĂźtre directement, Ă  la maniĂšre des vertus acquises. MaĂŻs nous avons dans cet accroissement un rĂŽle qui, pour ĂȘtre indirect, n’en est pas moins indispensable il consiste Ă  mĂ©riter que Dieu intensifie notre foi. Nous mĂ©ritons surtout par la charitĂ©, mais aussi par tout acte fervent la priĂšre, la rĂ©pĂ©tion fervente d’actes de foi, les efforts assidus pour alimenter notre vue surnaturelle des choses divines au moyen de lectures pieuses la Bible surtout, de rĂ©flexions, de retraites spirituelles, etc. Normalement, en effet, la grĂące et la nature collaborent. Si nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir, nous prĂ©parons le terrain Ă  la grĂące, et nous l’aidons Ă  pĂ©nĂ©trer davantage en nous. Trop de chrĂ©tiens n’ont aucun souci d’avoir cette foi cordiale et profonde. Ils se contentent d’une foi sĂšche, superficielle, bornĂ©e aux formules du catĂ©chisme dont ils n’ont pas pĂ©nĂ©trĂ© la richesse. Ils oublient qu’on NE PEUT GUÈRE ÊTRE UN VÉRITABLE CROYANT SI ON N’EST PAS SAISI PAR LE MYSTÈRE DE DIEU. Il faut savoir unir les deux Ă©lĂ©ments d’une part accepter avec une docilitĂ© d’enfant les formules dĂ©finies par l’Eglise, et en mĂȘme temps mĂ©diter ces vĂ©ritĂ©s afin de les assimiler et d’en vivre. L'histoire des dogmes et des hĂ©rĂ©sies prouve qu’il a Ă©tĂ© difficile au cours des siĂšcles de tenir ces deux Ă©lĂ©ments Ă  la fois. C’est cependant le seul moyen d’avoir une foi authentique et profonde. C’est ainsi que faisait saint Paul Ă©merveillĂ© par la sublimitĂ© de la RĂ©vĂ©lation, il mĂ©ditait continuellement le dogme, surtout le dogme christologique, et y faisait des progrĂšs constants, comme en tĂ©moigne la succession de ses Ă©pĂźtres. Et c’est ce qu’il recommandait aux fidĂšles Voici ma priĂšre que votre charitĂ© croissant toujours de plus en plus s’épanche en cette vraie science et ce tact affinĂ© qui vous donneront de discerner le meilleur et de vous rendre purs et sans reproche pour le Jour du Christ » Phil. I, 9-10. L’action des DONS DU SAINT - ESPRIT est aussi trĂšs prĂ©cieuse dans l’accroissement de notre vertu de foi. S. Thomas, dans la Somme thĂ©ologique, Ă©tudie de prĂšs, Ă  cette occasion, les dons d’intelligence et de science. Il montre comment, grĂące Ă  ce prĂ©cieux renfort des dons, la connaissance de foi devient plus fine, plus aiguĂ«, plus pĂ©nĂ©trante. C’est comme un regard perçant qui est accordĂ© aux yeux de la foi. un regard plein de candeur et de lumiĂšre, quelque chose comme celui mĂȘme de Dieu auquel il est empruntĂ©. Ce regard, deux mots, selon S. Thomas, le caractĂ©risent il est une perception. et il est une pĂ©nĂ©tration. des divins mystĂšres. Il fait qu’on les connaĂźt par le cƓur. Et la perfection qui en rĂ©sulte est cette puretĂ© des yeux du cƓur, laquelle est dĂšs ici-bas rĂ©compensĂ©e par une certaine vue de Dieu » 110. Enfin la foi demande Ă  ĂȘtre VÉCUE DANS TOUTES NOS ACTIONS, et a donc une influence universelle dans la vie morale du chrĂ©tien. Ainsi que l’explique Dom Lottin, la foi, tout comme la raison, a un double mode d’agir thĂ©orique et pratique. ThĂ©orique, elle nous rĂ©vĂšle le vrai surnaturel ». Pratique, elle dicte le jugement pratique dĂ©cisif du choix, en fournissant Ă  celui-ci des motifs d’agir surnaturellement ». Et l’auteur n’a pas de peine Ă  multiplier les exemples de cette influence. Dans tous les domaines maĂźtrise des passions, exercice de la tempĂ©rance, pratique de la justice, devoirs d’amitiĂ© ou d’amour conjugal, assistance sociale, etc., la foi inspire des dĂ©cisions qui tranchent essentiellement sur les choix dictĂ©s par la simple raison naturelle 111, Les SAINTS et les MYSTIQUES connaissent bien les richesses et les complexitĂ©s de la foi. Quand un Grignion de Montfort promet au fidĂšle esclave de Marie une participation Ă  sa foi, il pense sĂ»rement et Ă  la vertu de foi, et aux intuitions des dons du Saint-Esprit, et au rayonnement de la foi dans toute la conduite La Sainte Vierge vous donnera... une foi pure... vive et animĂ©e par la charitĂ©. ferme et inĂ©branlable comme un rocher. agissante et perçante, qui, comme un mystĂ©rieux passe-partout, vous donnera entrĂ©e dans tous les mystĂšres de JĂ©sus-Christ, dans les fins derniĂšres de l’homme et dans le cƓur de Dieu mĂȘme ; une foi courageuse. enfin une foi qui sera votre flambeau enflammĂ©, votre vie divine, votre trĂ©sor cachĂ© de la divine Sagesse et votre arme toute-puissante. » 112, Puisse sa promesse se rĂ©aliser Ă  profusion dans le Peuple chrĂ©tien ! Chapitre XXI L'ESPERANCE Le traitĂ© de l’espĂ©rance semble un peu Ă©crasĂ© entre ceux de la foi et de la charitĂ©. Cette vertu suscite moins de problĂšmes que les deux autres. Elle est cependant d’une importance capitale, mĂȘme et surtout en morale. Aussi les thĂ©ologiens contemporains ont-ils renouvelĂ© son Ă©tude 115, Nous rappellerons l’objet et le motif de cette vertu, en commençant par les donnĂ©es bibliques et historiques, et en ajoutant quelques prĂ©cisions thĂ©ologiques. Puis nous dirons un mot de son rĂŽle. I. — Objet de l’espĂ©rance L’espĂ©rance apparaĂźt pour la premiĂšre fois dans l’histoire de la RĂ©vĂ©lation avec ABRAHAM. Le Seigneur lui promet une postĂ©ritĂ© innombrable et une Terre choisie entre toutes. Quand les IsraĂ©lites sont installĂ©s dans la Terre promise, Dieu Ă©lĂšve peu Ă  peu leurs regards vers un idĂ©al supĂ©rieur, vers une ÈRE MESSIANIQUE dĂ©crite sous les couleurs les plus allĂ©chantes Le loup habite avec l’agneau, la panthĂšre se couche prĂšs du chevreau, veau et lionceau paissent ensemble, sous la conduite d’un petit garçon. La Tache et l’ourse lient amitiĂ©, leurs petits gĂźtent ensemble. Le lion mange de la paille comme le bƓuf. Le nourrisson s’amuse sur le trou du cobra, sur le repaire de la vipĂšre l’enfant met la main ». Is., XI, 6-8. Ces images sont le symbole d’un bonheur spirituel, qui consistera surtout dans le rĂšgne pacifique de Dieu sur la terre, mais elles sont souvent comprises d’une façon matĂ©rielle, comme Ă©tant l’annonce d’une suprĂ©matie guerriĂšre de la nation juive. Quant Ă  un bonheur individuel situĂ© dans l’autre monde, on ne fait que l’entrevoir, et encore trĂšs imparfaitement. Avec JĂ©sus, tout s’éclaire. Le royaume de Dieu annoncĂ© par les prophĂštes est prĂ©sentĂ©, dĂšs le Sermon sur la Montagne, comme un royaume spirituel, dĂ©jĂ  inaugurĂ© en la personne de JĂ©sus Luc, IV, 21, mais qui n’aura son plein achĂšvement que dans un monde nouveau, Ă  la PAROUSIE DU FILS DE L'HOMME. C’est sur cet aspect eschatologique que saint Paul insiste le plus La grĂące de Dieu, source de salut pour tous les hommes, s’est manifestĂ©e, nous enseignant Ă  renoncer Ă  l’impiĂ©tĂ© et aux convoitises de ce monde, pour vivre. en attendant la bienheureuse espĂ©rance et l’Apparition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, le Christ JĂ©sus » Tit., IT, 11-13. Vous vous ĂȘtes convertis Ă  Dieu... dans l’attente de son Fils qui viendra des cieux » I Thess., I, 9-10. Pour nous, notre citĂ© se trouve dans les cieux, d’ou nous attendons ardemment, comme sauveur, le Seigneur JĂ©sus-Christ, qui transfigurera notre corps de misĂšre pour le conformer Ă  son corps de gloire » Phil. III, 20-21. Le salut espĂ©rĂ© n’est pas seulement individuel, mais social et mĂȘme cosmique La crĂ©ation en attente aspire Ă  la rĂ©vĂ©lation des fils de Dieu... avec l’espĂ©rance d’ĂȘtre, elle aussi, libĂ©rĂ©e de la servitude de la corruption pour entrer dans la libertĂ© de la gloire des enfants de Dieu » Rom. VIII, 19-21. En analysant l’objet global de l’espĂ©rance Ă©vangĂ©lique, nous y trouvons ainsi PLUSIEURS ÉLÉMENTS la possession de Dieu, source essentielle de notre bĂ©atitude, la rĂ©surrection de nos corps, complĂ©ment de notre bonheur, la sociĂ©tĂ© des Ă©lus, avec lesquels nous formons le Corps mystique, et enfin tout ce qui est moyen plus ou moins direct Ă  l’obtention de cette fin, la grĂące habituelle, la grĂące actuelle, les sacrements, et mĂȘme les biens temporels nĂ©cessaires. Il ne faut pas s’étonner qu’en face d’un objet aussi complexe eu des changements de perspective au cours des siĂšcles. Au II siĂšcle, les PĂšres insistent beaucoup sur la transformation cosmique suggĂ©rĂ©e par l’épĂźtre aux Romains U4 ji] y ait Il existe un moment de la pensĂ©e chrĂ©tienne oĂč les Ă©crivains ecclĂ©siastiques, avec un certain ensemble, ont prĂ©sentĂ© le cosmos comme participant au salut de l’homme dans le Christ et mĂȘme en ont parlĂ© en termes si rĂ©alistes qu’ils semblent bien croire Ă  la possibilitĂ© d’une saintetĂ© immĂ©diate du monde. La pĂ©riode des annĂ©es 100 Ă  250 environ offre, croyons-nous, dans une atmosphĂšre d’optimisme foncier, cette spiritualitĂ© des valeurs terrestres »!, Il y aurait lĂ , s’ajoutant Ă  l’enseignement de saint Paul, l’influence de la philosophie stoĂŻcienne Il est Ă©vident qu’il y a, derriĂšre ce culte vouĂ© au grand tout oĂč l’homme s’intĂšgre parfaitement, des thĂšses stoĂŻciennes, que les PĂšres ont adoptĂ©es consciemment ou inconsciemment. C’est bien au stoĂŻcisme qu’il faut recourir pour rendre compte de cette conception de la rĂ©demption » {16, Puis apparaĂźt le millĂ©narisme, thĂ©orie attribuant au Christ l’établissement sur terre d’un royaume de mille ans. ThĂ©orie erronĂ©e qui aura cependant la vie dure. Aux Illfet IV siĂšcles, beaucoup de PĂšres attendent la Parousie comme imminente, et leurs idĂ©es sur l’état de l’ñme aprĂšs la mort sont trĂšs floues. S. Augustin met en grande partie les choses au point il affirme que les martyrs jouissent de la vision bĂ©atifique sans attendre la rĂ©surrection. Et il est facile de dĂ©duire de son enseignement que tel est aussi le cas des autres saints. C’est prĂ©cisĂ©ment l’opinion qui se rĂ©pand universellement, malgrĂ© quelques voix discordantes, et est adoptĂ©e par tous les grands scolastiques du Moyen Age. Pour saint Thomas, l’objet essentiel de l’espĂ©rance est la BÉATITUDE ÉTERNELLE, rĂ©sultant de la jouissance de Dieu mĂȘme!!”. L'objet secondaire comprend tous les biens cĂ©lestes et terrestres ordonnĂ©s Ă  la bĂ©atitude ib., a. 2 ad 2um. Par suite, l’ñme sainte atteint l’objet essentiel de son espĂ©rance dĂšs son entrĂ©e au ciel, avant mĂȘme la rĂ©surrection des corps. Et ainsi la perspective semble s’ĂȘtre lĂ©gĂšrement modifiĂ©e. À s’en tenir Ă  ces textes sur l’espĂ©rance, on pourrait en conclure que cette vertu n’est plus prĂ©cisĂ©ment horizontale », comme dans le Nouveau Testament, mais verticale » elle ne tendrait plus avec autant d’ardeur vers la fin des temps, oĂč auront lieu la rĂ©surrection des corps, la restauration de toutes choses et le RĂšgne collectif du Corps mystique, mais se contenterait d’aspirer Ă  la possession de Dieu aprĂšs la mort. Toutefois il ne faut pas oublier l’ensemble de la doctrine catholique, et minimiser l’importance des FINS DERNIÈRES. En thomisme notamment, oĂč le corps tient un si grand rĂŽle dans toutes les sciences de l’homme, la rĂ©surrection est loin d’ĂȘtre nĂ©gligeable. Elle apporte un Ă©lĂ©ment secondaire de la bĂ©atitude, soit, mais cet Ă©lĂ©ment est fort important. Actuellement nous ne pouvons analyser que difficilement l’état des corps glorieux il Ă©chappe trop aux lois du monde matĂ©riel. Nous ne voyons pas trĂšs bien dans tous les dĂ©tails comment nos sens les plus Ă©levĂ©s sensibilitĂ©, vue, ouĂŻe, etc., pourront, une fois spiritualisĂ©s », contribuer Ă  notre bonheur. Mais si l’explication est dĂ©ficiente, le fait est indiscutable Ă  la rĂ©surrection, nos corps contribueront sensiblement Ă  notre bonheur. Nous ne formerons pas une sociĂ©tĂ© purement spirituelle, comme les anges, mais Ă  la fois spirituelle, grĂące Ă  l’empire absolu de notre esprit, et corporelle, en vertu de nos relations vraiment humaines et sensibles. Ce qui est trĂšs ferme au jugement des thĂ©ologiens est malheureusement oubliĂ© par la masse des fidĂšles. Beaucoup se font des joies du paradis une idĂ©e si pĂąle qu’ils prĂ©fĂ©reraient vivre toujours sur terre Ă  condition qu’ils n’y souffrent pas trop. C’est pourquoi, de nos jours, on s’efforce de revaloriser l’aspect eschatologique de l’espĂ©rance. MaĂŻs il ne faut pas en conclure que la doctrine catholique elle - mĂȘme varie elle reste toujours identique. Seulement elle est si riche qu’il est difficile d’en saisir tous les aspects Ă  la fois et dans leur harmonie primitive. Et il arrive que, sous l’influence extĂ©rieure et accidentelle de certains courants de pensĂ©e stoĂŻcisme aux II°-IIT* siĂšcles, individualisme au XIX*, esprit communautaire au XX°, on insiste tantĂŽt sur un aspect, tantĂŽt sur l’autre. Il suffit de faire sans cesse effort pour ĂȘtre le plus possible fidĂšle au Message Ă©vangĂ©lique authentique. Il. — Le motif de l’espĂ©rance Le catĂ©chisme fixe le motif de l’espĂ©rance dans la promesse et la fidĂ©litĂ© de Dieu parce que vous me l’avez promis et que vous tenez toujours vos promesses ». Ceci est conforme Ă  de nombreuses paroles de L'ECRITURE. Dans la GenĂšse XX VI, 3, puis maintes fois par la bouche des prophĂštes, Dieu assure qu’il sera fidĂšle Ă  son Alliance, Ă  ses promesses. Et l’épĂźtre aux HĂ©breux aime Ă  mettre en avant le mĂȘme motif NS Restons inĂ©branlablement attachĂ©s Ă  l’espĂ©rance que nous professons, car celui qui a fait la Promesse est fidĂšle » HĂ©b., x, 23 ; cf. Tit.,[, 2, etc.. Mais dans beaucoup d’autres textes, l’accent est mis sur la Toute- Puissance divine. Les prophĂštes la rappellent constamment. Les psaumes de confiance » aiment Ă  chanter la force du Seigneur Mais Toi, Seigneur, tu es mon bouclier... LĂšve-toi, Seigneur, sauve-moi, mon Dieu ! Car tu frappes Ă  la joue tous mes ennemis, tu brises les dents des impies » Ps. IIL, v. 4 et 8. Le Seigneur fera pleuvoir sur les impies charbons de feu et soufre et dans leur coupe un vent de flamme Ps. X, 6. Le Seigneur est le rempart de ma vie devant qui tremblerais-je ? Ps. 26, v. 1. MĂȘme confiance de S. Paul dans le Dieu Tout - Puissant, en Celui qui peut, par la puissance qui agit en nous, faire infiniment au-delĂ  de nos demandes ou de nos pensĂ©es » Eph., IIT, 20, et qui fortifie Ă  l’infini ses pauvres crĂ©atures Je puis tout en celui qui me fortifie » Phil., IIT, 13. Ailleurs encore, on fait appel Ă  la misĂ©ricorde de Dieu. Et moi, comme un olivier verdoyant dans la maison de Dieu je me fie Ă  l’amour de Dieu toujours et Ă  jamais » Ps. LI, 10. De mĂȘme S. Paul MaĂŻs Dieu, qui est riche en misĂ©ricorde, Ă  cause du grand amour dont il nous a aimĂ©s, alors que nous Ă©tions morts par suite de nos fautes, nous a fait revivre avec le Christ — c’est par grĂące que vous ĂȘtes sauvĂ©s ! — avec lui il nous a ressuscitĂ©s et fait asseoir aux Cieux dans le Christ JĂ©sus » Eph. IL, 4-6. Comment concilier tous ces motifs ? Quelle opinion choisir parmi toutes celles que les thĂ©ologiens en ont tirĂ©es ? Une fois de plus l’'OPINION THOMISTE, pour qui la comprend, semble s’imposer. De mĂȘme que pour la foi il y a des motifs de crĂ©dibilitĂ© qui sont prĂ©paratoires Ă  la vertu thĂ©ologale proprement dite, de mĂȘme la promesse de Dieu est une condition prĂ©alable et indispensable de notre espĂ©rance en lui. Il est clair que nous n’aurions pas la prĂ©tention d’espĂ©rer le bonheur du ciel si Dieu lui-mĂȘme ne nous l’avait promis. Et s’il nous a promis le salut, c’est Ă  cause de sa misĂ©ricorde purement gratuite. En ceci nous sommes d’accord avec les thĂ©ologiens qui insistent sur la Promesse de Dieu et sa misĂ©ricorde comme motifs de notre espĂ©rance. Mais si nous cherchons l’attribut divin qui justifie le plus fondamentalement cette vertu, par distinction de ceux qui fondent la foi et la charitĂ©, nous sommes obligĂ©s d’aller plus loin et de dire que la possession de Dieu dans la vision face Ă  face est un mystĂšre tellement incomprĂ©hensible, et qui dĂ©passe de si haut les forces humaines, que seule la TOUTE-PUISSANCE divine nous parait rendre compte d’un tel prodige. Pour avoir la foi, il faut croire en Dieu-VĂ©ritĂ©. Pour l’aimer, il faut tendre Ă  lui comme au Bien suprĂȘme. MaĂŻs pour espĂ©rer l’atteindre rĂ©ellement, tel qu’il est, face Ă  face, dans une vision qui nous assimile ineffablement Ă  lui, il n’y a qu’un moyen adĂ©quat sa Toute-Puissance, seule capable de rĂ©aliser cette merveille. Nous sommes tellement habituĂ©s, nous, chrĂ©tiens, Ă  cette pensĂ©e d’aller au ciel, que nous trouvons que cela va de soi. N’oublions pas qu’il y a lĂ  un des mystĂšres les plus profonds de la RĂ©vĂ©lation, que seule la Toute- Puissance divine peut expliquer. Ici encore, nous voyons que l” objet formel » de l’espĂ©rance, qui est la Toute-Puissance divine, est insĂ©parable de son objet matĂ©riel », qui est la BĂ©atitude divine Dieu seul peut donner Dieu. Remarquons du reste qu’il s’agit lĂ  d’une prĂ©cision thĂ©ologique. MĂȘme quand on admet la position thomiste, il peut trĂšs bien se faire que psychologiquement on soit plus sensible Ă  d’autres motifs. C’est un fait, par exemple, que beaucoup de saints Ă  l’agonie multiplient les actes de contrition et se rĂ©fugient dans la misĂ©ricorde divine tout naturellement le souvenir de leurs pĂ©chĂ©s passĂ©s leur fait demander grĂące. Mais dans cet Ă©tat psychologique l’ñme fait abstraction du problĂšme gĂ©nĂ©ral de la possibilitĂ© de la vision bĂ©atifique. Elle s’arrĂȘte seulement Ă  l’obstacle particulier le pĂ©chĂ©, qui est prĂ©cisĂ©ment supprimĂ© par la misĂ©ricorde divine. C’est aussi pourquoi, concrĂštement, l’ñme tentĂ©e de dĂ©sespoir fera encore appel Ă  d’autres secours la Passion de JĂ©sus, la priĂšre de Marie et des saints, etc. De l’avis de tous les thĂ©ologiens, ces motifs ne sont que secondaires » dans la formulation de l’espĂ©rance. Et cependant ils pourront trĂšs lĂ©gitimement absorber toute l’attention de l’esprit et soutenir efficacement la ferveur, surtout Ă  l’agonie. Cette variĂ©tĂ© ne diminue en rien la valeur des principes thĂ©ologiques le plan de la vie et la nature des motivations individuelles ne coĂŻncident pas nĂ©cessairement avec le domaine de la thĂ©orie et la rigiditĂ© des notions gĂ©nĂ©rales et essentielles. III. — Grandeur de l’espĂ©rance La grandeur de l’espĂ©rance nous apparaĂźt surtout dans son rĂŽle et dans sa nature intime. I. Le RÔLE capital de l’espĂ©rance s’est manifestĂ© dĂšs le dĂ©but de notre enquĂȘte. Quand nous avons recherchĂ© les grands caractĂšres de la morale chrĂ©tienne, nous avons constatĂ© que cette morale Ă©tait Ă  dominante nettement eschatologique. C'est-Ă -dire qu’il Ă©tait impossible de la comprendre si on ne la voyait pas orientĂ©e vers le retour du Seigneur cf. chapitre IV. Ce que nous en avons dit alors nous dispense d’insister ici. Qu'est-ce, dĂ©jĂ , que l’Ancien Testament, sinon l’histoire de tout un peuple tournĂ© vers l’avenir ? Depuis Abraham jusqu’à Jean-Baptiste, les HĂ©breux et leurs descendants ont attendu un bonheur qui se dessinait de plus en plus comme liĂ© Ă  l’action de Celui qui devait venir », le Messie. Et qu'est-ce que le Nouveau Testament et toute l’histoire de l’Eglise, sinon le rappel vivant et inlassable de notre vocation Ă  une destinĂ©e future ? Depuis l’Ascension, l’Eglise demeure dans l’attente de la Parousie, et entraĂźne Ă  sa suite des gĂ©nĂ©rations de fidĂšles, galvanisant leurs Ă©nergies, les aidant Ă  supporter les maux de cette vie, et leur apprenant Ă  transformer le monde terrestre sans oublier le ciel. Car il ne faut pas croire que l’espĂ©rance chrĂ©tienne les dispense de leurs devoirs d’état. Elle libĂšre seulement leurs affections, en leur faisant apprĂ©cier la crĂ©ature Ă  sa juste valeur. Et elle leur apprend Ă  TRAVAILLER LES YEUX FIXÉS AU CIEL. Cette vue, loin de les amollir, leur inspire un courage indomptable et un optimisme Ă  toute Ă©preuve. Quelles que soient les difficultĂ©s, ils sont sĂ»rs de pouvoir compter sur Dieu, ici-bas et au ciel, et ils redisent avec S. Paul Qui nous arrachera Ă  l’amour du Christ ? La tribulation ? La dĂ©tresse ? La persĂ©cution ? La faim ? La nuditĂ© ? Le pĂ©ril ? Le glaive ?.. Mais en tout cela nous triompherons grĂące Ă  celui qui nous a aimĂ©s. » Etc. Rom., VIIL, 35-38. Quelle diffĂ©rence avec ceux qui n’ont pas d’espĂ©rance », comme dit S. Paul consolant les fidĂšles qui pleurent leurs dĂ©funts ! I Thes., IV, 13. Pensons seulement Ă  tels de nos contemporains les marxistes, qui n’espĂšrent qu’un bonheur matĂ©riel, les existentialistes qui prĂŽnent un dĂ©sespoir absolu, tant d’incroyants, dont la vue est bornĂ©e aux horizons de cette terre. Tous ceux qui rejettent l’espĂ©rance chrĂ©tienne ne trouvent en dĂ©finitive que tristesse, dĂ©couragement ou joies factices et superficielles, Ă  la merci du moindre choc. Par contre, le chrĂ©tien fidĂšle a une CONFIANCE ABSOLUE EN DIEU. Puisque l’espĂ©rance est une vertu thĂ©ologale, elle s’appuie essentiellement et premiĂšrement sur Dieu comme sur son motif formel. Il faut donc dire qu’en rigueur de termes elle n’admet pas le doute, simpliciter certa dici debet »!18 Sans doute cette confiance absolue en Dieu n’empĂȘche nullement la conviction aussi absolue de notre misĂšre, et donc n’écarte pas l’éventualitĂ© de notre damnation. Autrement dit, notre certitude du salut n’est pas d’ordre thĂ©orique, mais pratique. Et c’est pourquoi, selon S. Thomas, l’inquiĂ©tude rĂ©sultant de la vue de notre dĂ©ficience a besoin d’ĂȘtre guĂ©rie par un don du Saint-Esprit, le don de crainte. Mais il reste que la possibilitĂ© de notre damnation est accidentelle » par rapport aux principes qui fondent notre espĂ©rance. Elle est notre fait, non le fait de Dieu. Donc, dans la mesure mĂȘme oĂč nous nous appuyons sur Dieu, pour ne voir que lui, n’aimer que lui, et attendre tout de lui, nous pouvons ĂȘtre sĂ»rs de notre salut L’espĂ©rance ne déçoit point, parce que l’amour de Dieu a Ă©tĂ© rĂ©pandu dans nos cƓurs par le Saint - Esprit qui nous fut donnĂ© » Rom., v, 5. Et ceci explique comment l’espĂ©rance est un des fondements essentiels de la morale chrĂ©tienne Ă  tout moment et en tout Ă©tat, aussi bien chez l’humble fidĂšle qui lutte contre ses passions et meurt dans les bras du Seigneur que chez le saint qui n’arrive au sommet de la perfection que grĂące Ă  une espĂ©rance hĂ©roĂŻque. IT. Importante par son rĂŽle, l’espĂ©rance l’est aussi par sa nature intime. Elle est une vertu, et une vertu thĂ©ologale. En tant que vertu, elle n’est pas simplement un Ă©tat d’ñme intermittent. Elle est une rĂ©alitĂ© stable orientĂ©e vers le Bien. Mais elle est une VERTU THÉOLOGALE. C’est-Ă -dire que cette rĂ©alitĂ© stable est une Ă©manation de la grĂące habituelle, une participation Ă  la vie divine, au mĂȘme titre que les vertus de foi et de charitĂ©. Nous avons vu comment la foi est une participation analogique Ă  la Science de Dieu. Nous verrons que la charitĂ© est une participation analogique Ă  l’Amour infini qui est l’Esprit-Saint. Mais que dire de l’espĂ©rance ? De quelle maniĂšre participera-t-elle Ă  un attribut divin ? Alors que la foi et surtout la charitĂ© atteignent Dieu en tant qu’objet prĂ©sent, l’espĂ©rance tend vers lui comme Ă  un objet futur. Peut-on, dans ce cas, saisir de quelle façon elle est cependant une rĂ©alitĂ© divine ? En nous basant sur le motif formel de cette vertu, tel que nous l’avons exposĂ© Ă  la suite des thomistes, il semble certain que sa rĂ©alitĂ© surnaturelle n’est autre qu’une participation rĂ©elle et ontologique, quoique analogique, Ă  la Toute-Puissance divine. L’espĂ©rance, disions-nous Ă  l’instant avec Mgr Lanza, est rigoureusement sĂ»re du salut parce qu’elle s’appuie sur Dieu mĂȘme. Cela veut dire que, tout en Ă©tant tendue vers l’avenir, elle n’a aucun doute sur le rĂ©sultat. Nous sommes bienheureux en espĂ©rance et ce bonheur n’est pas vain parce qu’il s’appuie sur la toute-puissance de Dieu ; nous vivons vraiment dans le secours de Dieu ; par lui nous possĂ©dons en espĂ©rance notre bĂ©atitude, tout comme Dieu possĂšde la sienne en rĂ©alitĂ©. Nous sommes dĂ©jĂ  de vĂ©ritables Bienheureux, car ce qu’ils ont par une possession effective, nous l’avons par une espĂ©rance absolue, et l’assimilation Ă  Dieu qui est celle des Bienheureux au ciel, nous la possĂ©dons dĂ©jĂ  ici-bas dans l'espĂ©rance, qui est une possession anticipĂ©e de Dieu » 1°. En d’autres termes, JĂ©sus-Christ, par son Incarnation et sa glorification, a comblĂ© les vƓux de l’Ancien Testament. Si nous lui restons unis, nous avons dĂšs maintenant, pour l’essentiel, la vie Ă©ternelle J., VI, 54. Et le plein Ă©panouissement de cette vie se rĂ©alisera infailliblement Ă  la Parousie. On voit ainsi que l’espĂ©rance n’est pas infĂ©rieure aux deux autres vertus thĂ©ologales, aussi bien dans sa nature que dans son rĂŽle. Chapitre XXII LA CHARITE POUR DIEU Si mystĂ©rieuses que soient la foi et l’espĂ©rance, il semble bien que la charitĂ© le soit encore plus. L’amour naturel est dĂ©jĂ  difficile Ă  analyser Ă  plus forte raison l’amour surnaturel. Ne pouvant tout dire, nous nous arrĂȘterons Ă  deux notions qui nous semblent capitales le motif de la charitĂ© et sa nature. I. — Le motif de la charitĂ© Il y a un principe trĂšs ferme dans la doctrine de S. Thomas, c’est que TOUT ÊTRE, PAR NATURE, AIME DIEU A SA MANIÈRE PLUS QUE LUI-MÊME » 120 S. Thomas n’en donne pas une dĂ©monstration en rĂȘgle Ă  chaque fois qu’il s’y rĂ©fĂšre, il se borne Ă  l’expliquer Ă  l’aide de comparaisons excessivement Ă©lĂ©mentaires qu’il faut toujours comprendre analogiquement et mĂ©taphysiquement. Comme le dit M. Verneaux Les explications que donne S. Thomas, qui scandalisent ses adversaires et embarrassent ses commentateurs, Ă  savoir que la partie se subordonne spontanĂ©ment au tout, que la main se sacrifie d’elle- mĂȘme pour protĂ©ger le corps, ces explications nous paraissent des comparaisons et non pas des raisons » 121, Mais quoi qu’il en soit de la rigueur trĂšs relative des termes employĂ©s, le principe est indiscutable. DĂšs qu’on sait ce qu’est Dieu — le Bien absolu — il est contre nature de l’estimer moins que nous. C’est encore ce que dit trĂšs bien M. Verneaux Si l’on aime Dieu comme fin derniĂšre, on ne le traite pas en moyen d'atteindre autre chose ». Et il ajoute ceci est une proposition analytique », donc Ă©vidente ; la thĂšse est Ă©vidente par elle-mĂȘme et n’a pas besoin de preuve » 122, Mais il ne suit pas de ce principe que tout homme acquiĂšre facilement la charitĂ© surnaturelle. D'abord l’homme est libre de suivre ou de nĂ©gliger les tendances profondes qui l’orientent vers Dieu. Il arrive que certains esprits d’un orgueil satanique ou d’un Ă©goĂŻsme effrĂ©nĂ© se fassent consciemment le centre du monde et leur propre fin derniĂšre. Et puis, note S. Thomas! le pĂ©chĂ© originel a bouleversĂ© la nature de l’homme et lui rend difficile l’oubli de soi nĂ©cessaire pour tendre effectivement au Bien absolu. Mais mĂȘme si ces deux obstacles libertĂ© perverse et dĂ©viation originelle, sont surmontĂ©s, et donc si l’homme aime effectivement Dieu plus que lui- mĂȘme, il ne faut pas croire qu’il obtienne automatiquement, de ce fait, un droit strict Ă  possĂ©der la vraie charitĂ©. Il peut trĂšs bien se faire qu’un philosophe ait pour l’Auteur de la nature » un sentiment rĂ©el d’estime et d’affection, mais qu’il ne se fie qu’à ses forces personnelles pour atteindre Dieu pensons aux nĂ©o-platoniciens Plotin, Porphyre, Proclus, etc., et Ă  certains rationalistes modernes. Or Dieu est tellement transcendant qu’il Ă©chappe aux efforts les plus sublimes et les plus dĂ©sespĂ©rĂ©s des crĂ©atures qui veulent le joindre par des moyens purement naturels. L’amour mĂȘme, ce sommet des sentiments humains, laisse l’homme Ă  une distance infinie de Dieu. Pour l’atteindre, il ne suffit pas de l’aimer d’une maniĂšre naturelle IL FAUT L’AIMER COMME IL VEUT ÊTRE AIMÉ, pour des raisons inspirĂ©es de la foi. Il faut l’aimer non pas comme l’Etre suprĂȘme, mais comme le Dieu de la RĂ©vĂ©lation, qui se fait connaĂźtre Ă  partir d’Abraham, qui rachĂšte l’humanitĂ© par l’Incarnation et la RĂ©demption, et la sanctifie par l'Eglise. Il ne suffit pas de l’aimer Ă  cause des perfections infinies que le bon sens ou la philosophie dĂ©couvrent en lui puissance, sagesse, bontĂ©, etc., mais Ă  cause de ces mĂȘmes perfections connues Ă  la lumiĂšre de la foi, et qui apparaissent de ce fait sous un jour Ă©blouissant de nouveautĂ© et de splendeur, sous un jour essentiellement surnaturel et divin. Enfin ces perfections, mĂȘme envisagĂ©es surnaturellement, il faut les aimer, non par intĂ©rĂȘt, mais d’un amour dĂ©sintĂ©ressĂ©. L’amour de convoitise est certes lĂ©gitime. Il a sa place dans la genĂšse de l’espĂ©rance qui nous fait aimer Dieu comme la source de notre bonheur. Mais la charitĂ© est d’un autre ordre elle nous fait aimer Dieu pour lui- mĂȘme, Ă  cause de sa bontĂ© absolue, Ă  cause de son bonheur et de sa gloire Ă  lui, et indĂ©pendamment des avantages qui nous en reviennent. En fait, cet amour est loin de nous ĂȘtre inutile il est aucontraire la source des joies les plus pures et le chemin le plus direct pour aboutir au bonheur Ă©ternel. Mais ce rĂ©sultat n’est pas recherchĂ© pour lui-mĂȘme. Au moment oĂč nous faisons un acte de charitĂ© authentique, nous n’envisageons que Dieu et ses perfections absolues sa bontĂ© essentielle, sa sagesse, sa puissance, etc. ; ou si nous pensons Ă  ses perfections relatives MisĂ©ricorde, Providence, Justice, etc., nous les aimons, non pas tant Ă  cause du bien que nous en retirons qu’à cause de la gloire qui en revient Ă  Dieu. En tout cela nous sommes heureux de son bonheur Ă  lui ; nous nous oublions pour ne voir que lui et n’aimer que lui. C’est l’amour oblatif » dans toute la force du terme, essentiellement diffĂ©rent de l’amour captatif ». L’amour que nous portons au Christ lui-mĂȘme, au dire des thĂ©ologiens, peut ne pas ĂȘtre nĂ©cessairement un amour de charitĂ©. Il peut n’ĂȘtre qu’un amour de gratitude, et Ă  ce titre, certes, il est extrĂȘmement prĂ©cieux, et nous introduit trĂšs efficacement dans l’amour de charitĂ©. Mais enfin, pour aboutir Ă  cet amour de charitĂ©, il faut dĂ©passer la simple reconnaissance et arriver Ă  aimer JĂ©sus-Christ pour lui-mĂȘme. Toutes ces prĂ©cisions thĂ©ologiques paraĂźtront peut-ĂȘtre superflues Ă  certains, qui prĂ©tendent que la vie » ne s’embarrasse pas de tant de subtilitĂ©s. C’est Ă  voir Qui sait si bien des chutes lamentables et surprenantes, Ă  notre Ă©poque surtout, ne viennent pas de l’oubli de la vraie charitĂ© ? Peut-ĂȘtre que si nous connaissions les antĂ©cĂ©dents spirituels de ces hommes qui semblent tomber si subitement du firmament, nous ne serions nullement surpris, car nous saurions qu’ils ne s’étaient jamais dĂ©cidĂ©s Ă  aimer Dieu vraiment, d’un amour oblatif et dĂ©sintĂ©ressĂ©. IT. — Nature de la charitĂ© Pour approfondir la NATURE PSYCHOLOGIQUE de la charitĂ©, S. Thomas a utilisĂ© les analyses d’Aristote sur l’amitiĂ©. Il montre comment la charitĂ© est une amitiĂ© entre Dieu et l’homme. Ainsi qu’il arrive toujours quand on s’efforce de pĂ©nĂ©trer les rĂ©alitĂ©s divines, cette notion demande Ă  ĂȘtre prise analogiquement. L’amitiĂ© et ses composantes amour de bienveillance, rĂ©ciprocitĂ©, communautĂ© de vie, s’appliquent Ă  la charitĂ© d’une maniĂšre nĂ©cessairement approximative. On peut mĂȘme Ă  ce sujet parler d°’ option », de choix comportant une part d’arbitraire, motivĂ© par l’impossibilitĂ© de trouver mieux Sans doute, dit le P. Olivier, du moment qu’on applique l’esprit Ă  l’étude d’une rĂ©alitĂ© aussi mystĂ©rieuse, il est inĂ©vitable qu’on introduise dans cette analyse certaines options. Le jour sous lequel on envisage l’objet conditionne l’image que l’on s’en fera c’est la loi de toute entreprise humaine. Ce qui importe donc, c’est d’utiliser, pour cerner le rĂ©el, les cadres intellectuels les mieux adaptĂ©s, les moins dĂ©formants. Or, tout ce que S. Jean nous dit de la charitĂ© semble appeler comme son cadre naturel la dĂ©finition de l’amitiĂ© qu’Aristote a mise au point dans son cĂ©lĂšbre PĂ©ri Philias » 124, Les analyses de S. Thomas en la matiĂšre sont devenues classiques tous les manuels les reproduisent. Nous ne pouvons qu’y renvoyer. Mais il faut veiller Ă  ne pas se contenter d’un schĂ©matisme dessĂ©chant. Il faut atteindre toute la substance contenue sous des termes apparemment trop pauvres. Quand on savoure les expressions enflammĂ©es des auteurs inspirĂ©s, des saints et des mystiques, on a peine Ă  saisir comment de tels accents peuvent n’ĂȘtre que le tĂ©moignage d’une amitiĂ©. Pour le comprendre, il faut d’abord approfondir la notion d’amitiĂ©. Certains auteurs l’ont trĂšs bien fait 12°. Et puis il faut se souvenir que l’amitiĂ© elle-mĂȘme se laisse difficilement rĂ©duire Ă  de froids concepts. On la dĂ©finit habituellement un amour de bienveillance rĂ©ciproque. Soit, mais, ainsi que le remarque justement M. Verneaux, il ne faut pas sĂ©parer complĂštement amour de bienveillance et amour de convoitise il convient plutĂŽt de doser convenablement ces deux sentiments Impossible de sĂ©parer et mĂȘme de distinguer dans l’amitiĂ© le mouvement de l’égoĂŻsme et celui de l’altruisme ils sont confondus. Mieux vaudrait dire sans doute que les deux concepts, en raison de leur dualitĂ© mĂȘme et de leur opposition, sont inapplicables Ă  l’amitiĂ© qui les transcende » 126, Ceci une fois admis, on s’explique comment l’amour de Dieu, tout en n'Ă©tant nullement un amour comparable aux passions sensuelles, est cependant capable de produire des effets extrĂȘmement violents dans la psychologie de l’homme, y compris sa sensibilitĂ© et mĂȘme parfois son corps. Et on comprend alors des accents tels que ceux-ci, du Cantique des Cantiques, appliquĂ©s Ă  l’amour de Dieu Qu'il me baise des baisers de sa bouche ! Tes amours sont dĂ©licieuses plus que le vin ; l’arĂŽme de tes parfums est exquis, ton nom est une huile qui s’épanche... I, 2-3. Pose-moi comme un sceau sur ton cƓur, comme un sceau sur ton bras, car l’amour est fort comme la Mort, la jalousie inflexible comme le ShĂ©ol. Ses traits sont des traits de feu, une flamme de YahvĂ© » VIIL, 6. * Mais l’étude psychologique de la charitĂ© ne suffit pas Ă  nous en dĂ©voiler toute la richesse. Il faut de plus en saisir la NATURE ONTOLOGIQUE. DĂ©jĂ  le simple amour naturel ne se rĂ©duit pas Ă  une sĂ©rie d’actes intermittents d’affection. Si l’on dĂ©passe son expression phĂ©nomĂ©nologique pour rechercher la source profonde de ces actes, on aboutit nĂ©cessairement Ă  une rĂ©alitĂ© mĂ©taphysique, disposition intime de l’ñme, qui la modifie ontologiquement par rapport Ă  l’objet aimĂ©. À plus forte raison la charitĂ© est-elle une rĂ©alitĂ© permanente, et non pas seulement naturelle, mais proprement divine. En quoi consiste cette rĂ©alitĂ© ? Tous les thĂ©ologiens catholiques admettent que la charitĂ© est une qualitĂ© surnaturelle qui perfectionne l’ñme dans ses rapports avec Dieu. Mais tous ne sont pas d’accord sur la nature prĂ©cise de cette qualitĂ©. Pour Scot et beaucoup de ses disciples, ainsi que pour Bellarmin, la charitĂ© s’identifierait avec la grĂące habituelle. Cette identification n’est guĂšre dans le sens du Nouveau Testament, oĂč nous voyons nettement distinguĂ©es grĂące et charitĂ© Que la grĂące du Seigneur JĂ©sus-Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous » 127. Aussi S. Thomas et ses disciples enseignent-ils que la charitĂ©, tout comme les deux autres vertus thĂ©ologales, est une VERTU INFUSE, qui a son siĂšge dans la volontĂ©. Elle dĂ©pend de la grĂące comme de son principe, mais elle s’en distingue spĂ©cifiquement. Alors que la grĂące sanctifie la substance de l’ñme, la charitĂ©, comme un ruisseau coulant d’une source, ou une branche se rattachant au tronc, dĂ©coule de la grĂące et sanctifie la volontĂ©. Mais comment nous reprĂ©senter cette vertu ? Il est bien difficile de le prĂ©ciser exactement. Nos concepts sont fort dĂ©ficients pour exprimer une rĂ©alitĂ© aussi mystĂ©rieuse que notre participation Ă  la vie divine. Toutefois, si l’on admet l’explication que nous avons donnĂ©e de la grĂące habituelle chapitre XIIT, la charitĂ© nous apparaĂźt dans une perspective d’une grandeur infinie. Par la grĂące, disions-nous, nous sommes Ă©levĂ©s Ă  un plan transcendant, au niveau mĂȘme de la TrinitĂ©. Tout notre ĂȘtre est transformĂ© en ses profondeurs la nature divine se greffe sur notre nature humaine ; de nouvelles facultĂ©s », essentiellement surnaturelles, jaillissent de cette source humano-divine et participent Ă  l’activitĂ© du Verbe de Dieu et de l'Esprit d’amour. Si bien que notre amour de Dieu n’est pas seulement un sentiment humain, comparable Ă  celui d’un amant passionnĂ© ou d’une mĂšre hĂ©roĂŻque il est infiniment supĂ©rieur. Intimement uni Ă  l’amour du Christ, il participe Ă  l’élan mĂȘme qui unit le PĂšre et le Fils et qui est un amour substantiel, une Personne divine. Notre Ă©lan d’amour est une participation rĂ©elle, quoique analogique, Ă  la spiration de l’Esprit-Saint, de mĂȘme qu’un morceau de fer, jetĂ© dans la fournaise, devient du feu sans cesser de rester du fer. Il ne faut donc pas mesurer cet amour surnaturel d’aprĂšs le sentiment psychologique que nous pouvons en avoir il est par nature infiniment Ă©levĂ© au-dessus de l’expĂ©rience psychologique. MĂȘme si nous restons apparemment froids dans notre sensibilitĂ©, mĂȘme si nous sommes plus Ă©mus par les objets naturels qui frappent nos sens que par la beautĂ© de Dieu, peu importe dĂšs lors que nous possĂ©dons la vie de la grĂące, notre amour de Dieu est en rĂ©alitĂ© digne de lui, parce que divin, et il dĂ©passe en valeur toutes les Ă©motions de la terre, mĂȘme les plus Ă©levĂ©es. Il arrive que des personnes privilĂ©giĂ©es, les mystiques, expĂ©rimentent ces rĂ©alitĂ©s grandioses et goĂ»tent un peu, dĂšs ici-bas, les jouissances du ciel Ce que le chrĂ©tien en Ă©tat de grĂące sait de son insertion dans la vie trinitaire, ce que le bienheureux en voit au ciel, le mystique l’expĂ©rimente en son Ăąme. MAIS LA RÉALITÉ FONCIÈRE EST LA MÊME ; seule la clartĂ© diffĂšre, et avec la clartĂ©, la jouissance » 128, On voit ainsi comment la charitĂ© ne passe jamais » 1 Cor., XIII, 8. Notre amour actuel de Dieu est essentiellement aussi sublime qu’il le sera au ciel. Quand nous aimons Dieu, c’est nous, sans doute, qui l’aimons personnellement, mais c’est encore plus le Verbe incarnĂ© qui l’aime en nous. Et quand nous aimons le Fils, c’est avec l’amour du PĂšre, car l’amour commun du PĂšre et du Fils n’est autre que le Saint-Esprit auquel nous participons. La charitĂ© nous fait participer Ă  l’activitĂ© mĂȘme de la TrinitĂ©. En rigueur de termes, comme le prĂ©cise PrĂŒmmer, ce n’est pas elle qui justifie » les pĂ©cheurs, qui les rend saints. Elle les dispose seulement Ă  la justification. C’est la grĂące sanctifiante qui est la cause formelle et efficiente de la justification. Mais une fois qu’on possĂšde la vie de la grĂące, soit par la contrition imparfaite jointe aux sacrements de pĂ©nitence ou d’extrĂȘme- onction, soit par la charitĂ© parfaite, avant mĂȘme qu’on ait pu recevoir un sacrement, cette charitĂ© est la piĂšce maĂźtresse de notre organisme spirituel. Elle nous permet de nous conduire envers Dieu avec une familiaritĂ© stupĂ©fiante Ă  l’excĂšs », selon l’expression de l’Imitation de JĂ©sus-Christ. Cette sublime Ă©lĂ©vation ne doit pas nous faire oublier que nous sommes toujours pĂ©cheurs, sujets au pĂ©chĂ©, victimes du dĂ©sordre originel. Nous ne devons donc pas nous dĂ©partir d’un respect infini pour le Dieu trois fois saint et d’un repentir continuel de nos fautes. Mais en mĂȘme temps, nous pouvons nous approcher avec assurance du trĂŽne de la grĂące HĂ©b., IV, 16 la charitĂ© rĂ©pandue dans nos cƓurs par le Saint-Esprit qui nous a Ă©tĂ© donnĂ© Rom., v, 5 nous accrĂ©dite auprĂšs du PĂšre ; nous lui offrons, grĂące au Christ et Ă  l’Esprit, un hommage digne de lui. GrĂące au Christ et Ă  l’Esprit-Saint. GrĂące aussi, ajouterons-nous avec conviction, Ă  la Vierge Marie. Il n’est nullement dĂ©placĂ©, en effet, de rappeler ici son rĂŽle trop peu connu dans notre accession auprĂšs du PĂšre. C’est Ă  tort qu’on relĂšgue son intervention au rang des dĂ©votions facultatives. Comme le dit prĂ©cisĂ©ment Ă  ce sujet le P. Gilleman, se rĂ©fĂ©rant au P. Mersch ParallĂšlement, puisque le Christ, et donc sa grĂące et sa charitĂ© que nous participons, ont irrĂ©vocablement un aspect mariai », s’il est vrai que JĂ©sus-Christ ne fut possible que grĂące Ă  la Vierge, une vie chrĂ©tienne, et donc une morale chrĂ©tienne, doivent recĂ©ler dans leur ontologie et leur psychologie un aspect filial, simple, confiant, qui rĂ©ponde Ă  cette prĂ©sence maternelle dans l’économie de notre agir. À cause d’elle, le christianisme se prĂ©sente avec une nuance unique d’espĂ©rance, de joie, de vĂ©ritĂ© humaine », et, pour les pĂ©cheurs, pour eux surtout, le christianisme n’a toute sa bontĂ© que parce que la Vierge, la MĂšre, est lĂ  » 12°, C’est un fait d’expĂ©rience solidement fondĂ© en doctrine que la Vierge Marie a le secret de communiquer Ă  ses enfants son esprit de profonde humilitĂ© et de filiale simplicitĂ© envers Dieu. Chapitre XXTII LA CHARITE POUR LE PROCHAIN Parmi les diverses questions traitĂ©es dans les manuels au sujet de la charitĂ© pour le prochain, il y en a une centrale et cependant peu Ă©tudiĂ©e, peut-ĂȘtre parce qu’elle est difficile quelle est la nature de notre amour du prochain ? Autrement dit que signifient ces mots de l’acte de charitĂ© J’aime mon prochain pour l’amour de Dieu » ? C’est Ă  cette seule question que nous nous arrĂȘterons. Nous verrons d’abord les diverses opinions en prĂ©sence ; puis nous proposerons celle qui nous paraĂźt prĂ©fĂ©rable ; et enfin nous discuterons les difficultĂ©s. [. — Opinions diverses sur la nature de l’amour du prochain 130 1. — Certains thĂ©ologiens, par exemple Th. Monnichs en 1898, pensent que dĂšs qu’on aime le prochain Ă  cause de Dieu, mĂȘme pour des raisons d’ordre naturel et philosophique, on l’aime d’un amour de charitĂ©. Ces auteurs semblent oublier que la charitĂ© pour le prochain est essentiellement surnaturelle. Nous avons suffisamment rappelĂ© au chapitre prĂ©cĂ©dent que la charitĂ© pour Dieu exige la foi et des motifs d’ordre, non seulement surnaturel, mais thĂ©ologal. Or la charitĂ© pour le prochain est de mĂȘme nature que la charitĂ© pour Dieu. Elle exige donc aussi des motifs surnaturels. 2. D’autres demandent Ă  bon droit que les motifs de notre amour du prochain soient inspirĂ©s par une vue de foi. Quelles que soient les qualitĂ©s de celui-ci surnaturelles par exemple la grĂące habituelle ou naturelles par exemple l’immortalitĂ© de son Ăąme, peu importe ; du moment que l’on se base sur les lumiĂšres de la RĂ©vĂ©lation pour estimer ces qualitĂ©s et aimer ceux qui les possĂšdent, on fait un acte de charitĂ©. Telle est l’opinion d’auteurs modernes tels que Noldin, GĂ©nicot et autres. Nous pensons qu’il faut pour le moins faire une distinction importante. Nous discuterons plus loin l’opinion qui fonde la charitĂ© sur des qualitĂ©s surnaturelles. Pour l’instant, contentons-nous de dire que ce serait rabaĂŻisser la charitĂ© que de lui donner comme motif des qualitĂ©s naturelles, mĂȘme connues Ă  la lumiĂšre de la foi. En effet, ce sentiment qui nous fait aimer le prochain pour ses qualitĂ©s naturelles connues Ă  la lumiĂšre de la foi est plutĂŽt une vertu morale l’amitiĂ©, ou simplement l’amour d’estime et de bienveillance. Ce n’est pas une vertu thĂ©ologale. Or la charitĂ© pour le prochain est une vertu thĂ©ologale ; l’enseignement du Seigneur est formel MaĂźtre, quel est le plus grand commandement de la Loi ? » JĂ©sus lui dit Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cƓur, de toute ton Ăąme et de tout ton esprit voilĂ  le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable Tu aimeras ton prochain comme toi-mĂȘme » Mt., XXII, 36-39. Il faut donc trouver Ă  la charitĂ© proprement dite pour le prochain un motif supĂ©rieur. 3. Pour Lehmkul, et des dominicains, tel PrĂŒmmer, ce motif n’est autre que la vie de la grĂące dans les Ăąmes des justes 1, Ces thĂ©ologiens pensent sauvegarder ainsi le caractĂšre thĂ©ologal de la charitĂ© pour le prochain. Ils estiment que la bontĂ© essentielle de Dieu et cette mĂȘme bontĂ© participĂ©e par les crĂ©atures en Ă©tat de grĂące constitue un seul et mĂȘme motif d'amour. Ils reconnaissent, Ă  vrai dire, qu’il y a une diffĂ©rence d’espĂšce entre la saintetĂ© de Dieu et celle des crĂ©atures, et que la seule ressemblance entre elles est une ressemblance analogique. Mais cela suffit, disent-ils, pour que la charitĂ© qui en dĂ©coule soit une mĂȘme et identique vertu de charitĂ©. Nous sommes ici au cƓur du problĂšme. Le plus clair de notre Ă©tude consistera Ă  confronter cette opinion avec celle de S. Thomas. 4, S. Thomas, en effet, a une position nettement diffĂ©rente. Il identifie beaucoup plus formellement l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Selon lui, ces deux amours n’ont qu’un mĂȘme motif, qui est LA BONTÉ ESSENTIELLE DE DIEU. Pour aimer le prochain d’un amour de charitĂ©, il faut l’aimer Ă  cause de Dieu lui-mĂȘme. Le mouvement de bienveillance et de bienfaisance qui nous porte vers lui doit ĂȘtre essentiellement dĂ©terminĂ© par la complaisance qui nous porte vers Dieu dans l’acte de charitĂ© pour lui. Non pas qu’il soit nĂ©cessaire d’orienter explicitement son amour vers Dieu Ă  chaque fois que nous faisons un acte de charitĂ© pour le prochain ; mais il faut du moins que le motif profond et implicite qui nous porte vers celui-ci soit l’amour de Dieu lui-mĂȘme. S. Thomas tient fermement Ă  cette position. Il la dĂ©fend Ă  plusieurs reprises, soit dans les questions de Caritate, soit dans la Somme thĂ©ologique quand il Ă©tudie spĂ©cialement cette vertu!*?, soit mĂȘme quand il en parle d’une maniĂšre occasionnelle, par exemple au sujet du respect dĂ» aux supĂ©rieurs La raison d’aimer le prochain est Dieu. En effet, par charitĂ©, nous n’aimons dans le prochain que Dieu non enim par caritatem diligimus in proximo nisi Deum » 1%, Et il ajoute que c’est pour cela que notre charitĂ© pour le prochain est identique Ă  notre amour de Dieu Et ideo eadem caritas est qua diligitur Deus et proximus ». Cette opinion est partagĂ©e par S. Bonaventure au XIII siĂšcle, par Vasquez, Lessius et d’autres auteurs Ă  la Renaissance et au XVII siĂšcle ; par Billot et le cardinal van Roey au xxe siĂšcle. Mgr Lanza, auquel nous empruntons la plupart de ces renseignements, l’adopte et la dĂ©fend vigoureusement. Il se base principalement sur ce principe que la charitĂ©, pour garder son unitĂ©, doit ĂȘtre dĂ©terminĂ©e et spĂ©cifiĂ©e par un seul et mĂȘme objet formel. Or il ne voit pas comment une rĂ©alitĂ© créée », la grĂące, peut ĂȘtre le mĂȘme objet formel que la bontĂ© incréée » de Dieu. 5. C’est l’opinion de S. Thomas que nous adopterons. Mais avant d’en Ă©tudier le bien-fondĂ©, il convient d’exposer une opinion rĂ©cente, intermĂ©diaire, pensons-nous, entre les deux prĂ©cĂ©dentes. Elle a Ă©tĂ© proposĂ©e par le P. PlĂ©!%%, Il ne donne pas prĂ©cisĂ©ment comme motif de la charitĂ© la prĂ©sence de la grĂące habituelle — et ainsi il se distingue des partisans de l’avant-derniĂšre opinion n° 3 ; — il ne se contente pas non plus des formules de S. Thomas que nous avons citĂ©es. Mais, tout en tenant aux principes de S. Thomas, il les prĂ©sente dans un contexte nouveau, celui de mystĂšre ». Les objets de notre charitĂ©, dit-il, sont — sur cette terre — une rĂ©alitĂ© d’ordre mystĂ©rique » p. 130. Dieu et le Christ sont si intimement unis Ă  l’Eglise, mystĂšre de Dieu » p. 131, qu’en atteignant l’Eglise, on atteint Dieu ; en aimant les membres de l’Eglise, on aime Dieu Dieu et le Corps mystique du Christ sont, pour nous, une insĂ©cable rĂ©alitĂ© mystĂ©rique » p. 131. Par et dans ce qu’il y a d’humain et de visible dans la communautĂ© de vie de l’Eglise, j’entre dans la communautĂ© de vie divine. Au plan du mystĂšre, cela ne fait qu’un et ne peut ĂȘtre sĂ©parĂ© » p. 132. L'Eglise n’est donc pas seulement fondement de la charitĂ©, elle est Ă  la fois son objet formel et son signe, l’objet inaccessible dans son accessibilitĂ©, son mystĂšre. De mĂȘme les personnes humaines, termes de la charitĂ©, sont aimĂ©es comme des mystĂšres de Dieu, terme premier de la charitĂ© » p. 133. Ces citations suffisent, pensons - nous, pour montrer comment cette opinion est intermĂ©diaire entre les deux prĂ©cĂ©dentes. Elle tient Ă  la fois de celle de S. Thomas on aime vraiment le prochain pour l’amour de Dieu. Elle tient aussi de celle de PrĂŒmmer on l’aime Ă©galement Ă  cause de sa participation Ă  la vie divine. Mais l’accent est mis ici sur la vie divine en tant que possĂ©dĂ©e dans la communautĂ© ecclĂ©siale, signe de la prĂ©sence de Dieu. Et prĂ©cisĂ©ment il nous semble que c’est lĂ  le point faible de cette opinion. D’abord, nous ne voyons pas comment, dans ce cas, la charitĂ© peut s’étendre Ă  ceux qui sont hors de l’Eglise, alors que ceux-lĂ  aussi sont objet de la charitĂ© chrĂ©tienne. Et puis, dans la mesure oĂč la charitĂ© a pour objet formel l’Église, qui est de l’ordre créé » — dans le sens oĂč, en thĂ©ologie, la grĂące est dite créée », — nous ne saisissons pas comment elle peut ĂȘtre une vertu thĂ©ologale, vu qu’une vertu thĂ©ologale a pour objet formel Dieu lui-mĂȘme. IT. — Opinion proposĂ©e la charitĂ© pour le prochain a pour objet formel la bontĂ© essentielle de Dieu Pour comprendre la position de S. Thomas, il nous semble qu’on peut recourir Ă  trois arguments principaux, tous trois fondĂ©s sur ce PRINCIPE admis en thĂ©ologie que la charitĂ© pour Dieu et la charitĂ© pour le prochain sont une seule et mĂȘme vertu. Dans le premier nous considĂ©rerons la charitĂ© dans sa source ; dans le deuxiĂšme, nous l’étudierons dans son retour de l’homme Ă  Dieu ; et dans le troisiĂšme, nous recourrons Ă  un raisonnement psychologique. 1. — LA SOURCE DE LA CHARITÉ se trouve en Dieu, ou, pour parler par appropriation, dans le Saint-Esprit. L’objet Ă©ternel de cet amour est Ă©videmment le bien infini de Dieu. Le PĂšre aime le Fils et ne peut aimer Ă©ternellement que lui d’un amour infini, puisqu'il se retrouve en lui. Le Fils ne peut aimer Ă  l’infini que le PĂšre, Principe de la divinitĂ©. Tout autre objet aimĂ© par les Personnes divines ne peut ĂȘtre un terme final de leur amour. L’infini ne peut s’abaisser Ă  aimer le fini en tant que tel Dieu ne peut aimer la crĂ©ature qu’en tant qu’elle participe Ă  sa bontĂ© essentielle et pour ainsi dire sans s’arrĂȘter » Ă  cette qualitĂ© créée, mais en la traversant » pour ne se reposer qu’en lui-mĂȘme. En dĂ©finitive, DIEU NE PEUT AIMER QUE DIEU D'UN AMOUR ABSOLU. Or notre charitĂ© pour le prochain constitue, dit S. Thomas, un mĂȘme habitus avec notre amour de Dieu. Elle est donc une participation rĂ©elle et ontologique, quoique analogique, Ă  l’amour incréé de Dieu, tout comme notre charitĂ© pour Dieu. Un chrĂ©tien qui aime son prochain d’un amour de charitĂ© authentique n’agit pas seulement en tant que crĂ©ature, mais en tant que crĂ©ature divinisĂ©e. Le mouvement de bienveillance et d’amitiĂ© qui le pousse vers le prochain vient de Dieu plus encore que de lui. S’il Ă©tait en Ă©tat de pĂ©chĂ© mortel, IL LUI SERAIT RADICALEMENT IMPOSSIBLE D’AIMER SON PROCHAIN D'UN AMOUR RÉEL DE CHARITÉ. Il pourrait faire extĂ©rieurement en sa faveur des actes de bienfaisance, tels que l’aumĂŽne, le soin des malades, etc. ; il pourrait mĂȘme avoir pour lui des sentiments d’amitiĂ© inspirĂ©s par la foi — une foi morte » — et donc d’ordre surnaturel. Mais il serait Ă  une distance infinie de la charitĂ© divine. Donc, Ă©tant donnĂ© cette transcendance ontologique de la charitĂ© chrĂ©tienne, qui assimile si merveilleusement l’homme Ă  Dieu, il semble prĂ©fĂ©rable d’admettre que, chez le chrĂ©tien comme en Dieu, le motif formel de l’amour du prochain est Dieu en personne. De mĂȘme que l’amour de Dieu, disions-nous, traverse » les objets créés pour se reposer dans la divinitĂ©, ainsi le chrĂ©tien voit Dieu et aime Dieu dans ses frĂšres. 2. — Rappelons-nous maintenant la NATURE DE LA CHARITÉ DU FIDÈLE POUR DIEU. Nous avons vu que le motif de cette charitĂ© est Dieu aimĂ© pour lui-mĂȘme. Tout autre motif semble incapable de fonder un amour essentiellement thĂ©ologal et oblatif ». Or la charitĂ© pour le prochain est identique Ă  la charitĂ© pour Dieu. Donc le motif qui l’inspire doit ĂȘtre du mĂȘme ordre il ne doit pas se fonder sur une rĂ©alitĂ© créée, mais SUR UN BIEN STRICTEMENT INFINI. Mais les rĂ©alitĂ©s de la grĂące, si transcendantes qu’elles soient, ne sont pas en elles-mĂȘmes de tout point infinies. Etant une participation de la bontĂ© divine, elles sont bornĂ©es et, pour faire court en employant un terme reçu Ă  ce sujet en thĂ©ologie, elles sont créées ». Donc on ne voit pas comment ces rĂ©alitĂ©s suffiraient pour motiver la charitĂ© chrĂ©tienne. Qu’on les envisage dans leur individualitĂ© concrĂšte telle Ăąme en Ă©tat de grĂące ou dans leur collectivitĂ© l'Eglise, Corps mystique du Christ, elles ne participent qu’analogiquement aux perfections divines. Sans doute l’Eglise a ceci de propre qu’elle est le signe et l’instrument de la prĂ©sence divine. Mais mĂȘme si nous aimons ses membres en tant qu’ils font partie du mystĂšre de l’Eglise, c’est toujours Ă  une rĂ©alitĂ© créée » que nous nous arrĂȘtons. Il semble qu’il faut aller plus haut, jusqu’à Dieu lui- mĂȘme. Autrement dit, l’amour du prochain n’ayant pas le mĂȘme objet matĂ©riel » que la charitĂ© pour Dieu, il faut au moins qu’il ait le mĂȘme objet formel » s’il veut faire avec elle une seule vertu. 3. — Un troisiĂšme argument D'ORDRE PSYCHOLOGIQUE peut nous aider Ă  pĂ©nĂ©trer un peu dans ce mystĂšre de l’amour du prochain. Prenons un exemple trĂšs simple. Supposons qu’une jeune fille donne Ă  son fiancĂ© qui part en voyage une modeste fleur en souvenir d’elle. Le jeune homme tient vivement Ă  cette fleur, non pas Ă  cause de sa valeur marchande, qui est nulle, mais Ă  cause de sa relation avec celle qu’il aime. Il aime la jeune fille pour elle-mĂȘme, d’un amour absolu, Ă  cause de ses qualitĂ©s et parce qu’elle est une personne d’une valeur infinie en un certain sens ; il aime la fleur d’un amour relatif, en tant qu’elle symbolise la jeune fille, qu’elle lui rappelle son souvenir, qu’elle la rend prĂ©sente pour ainsi dire malgrĂ© l’éloignement. En un mot, quand il aime cette fleur, ce n’est pas tellement elle qu’il aime, c’est sa fiancĂ©e qu’il retrouve en elle et Ă  travers elle. Elle lui apparaĂźt aurĂ©olĂ©e de la beautĂ© de la jeune fille ; ses effluves lui rappellent les parfums de la donatrice, sa vue Ă©voque le cadre des adieux, les derniers mots Ă©changĂ©s, la ferveur d’un cƓur passionnĂ©. Il aime cette fleur exactement du mĂȘme amour que sa fiancĂ©e ; non pas d’un amour semblable — cela n’aurait aucun sens — mais d’un AMOUR IDENTIQUE. On pourrait multiplier les exemples de ce genre, et notamment choisir le cas oĂč le lien avec une personne aimĂ©e est constituĂ©, non point par un objet inanimĂ©, mais par une autre personne, qui mĂ©rite d’ĂȘtre aimĂ©e pour elle- mĂȘme les amis de nos amis sont aussi nos amis ». Mais cet exemple suffit pour Ă©clairer notre sujet. Quand nous aimons notre prochain d’un rĂ©el amour de charitĂ©, c’est vraiment Dieu que nous aimons en lui. Le Seigneur nous a fait un prĂ©cepte d’aimer tous les hommes. Il a rĂ©itĂ©rĂ© ce prĂ©cepte au moment mĂȘme de ses adieux. Ce n’est pas seulement une fleur qu’il nous a lĂ©guĂ©e en souvenir de lui, c’est le prochain. Tout comme le fiancĂ© aime sa fiancĂ©e Ă  travers la fleur, nous devons aimer Dieu Ă  travers le prochain. A ces arguments positifs, on peut ajouter que l’opinion de S. Thomas ÉCHAPPE AUX DIFFICULTÉS que rencontrent les autres thĂ©ories. Pour nous borner Ă  l’opinion qui fait consister l’objet formel de la charitĂ© dans la grĂące habituelle ou dans l’appartenance des Ăąmes Ă  l’Eglise, la grosse difficultĂ© est celle-ci on n’est pas toujours sĂ»r d’ĂȘtre en face d’une personne en Ă©tat de grĂące ; le pĂ©chĂ© mortel fait, de toute Ă©vidence, bien des ravages dans le monde des Ăąmes. Les tenants de cette opinion rĂ©torquent que nous n’avons pas Ă  nous mĂȘler de cela, d’abord parce qu’il est impossible de savoir Ă  coup sĂ»r qui est en Ă©tat de grĂące, et puis parce qu’il serait d’une souveraine indiscrĂ©tion de nous poser une telle question. Qu’il nous suffise de considĂ©rer tout le monde comme saint ou susceptible de le devenir, et notre charitĂ© sera suffisamment fondĂ©e. C’est lĂ , dit Lanza, une Ă©chappatoire de peu de valeur, artificiosam solutionem »!%. L'objet formel d’une vertu thĂ©ologale ne peut ĂȘtre aussi alĂ©atoire. Il reste vrai que l’appel de tous les hommes Ă  la bĂ©atitude est un fondement de la charitĂ©. Car la charitĂ© est une amitiĂ©. Or nous ne pouvons aimer d’amitiĂ© que ceux qui nous ressemblent. Et c’est la ressemblance procĂ©dant de la participation Ă  la nature divine qui fonde l’amitiĂ© surnaturelle appelĂ©e charitĂ©. Mais, remarque encore Lanza, cette grĂące habituelle qui Ă©tablit la parentĂ© des chrĂ©tiens n’est pas ce qui est aimĂ© formellement » dans l’amour de charitĂ© thĂ©ologale, mais plutĂŽt LA CONDITION DE L'UNION ET DE L'AMOUR SURNATUREL ce que nous aimons en eux, c’est le Christ et Dieu » ib., p. 119. Aussi, dans l’opinion que nous proposons, nous ne rencontrons pas de difficultĂ© de ce genre. C’est en toute logique que nous aimons les pĂ©cheurs comme les saints d’un amour de charitĂ©, car nous ne les aimons pas formellement pour la beautĂ© surnaturelle de leur Ăąme, mais bien pour l’amour de Dieu lui-mĂȘme. IT. — Le mystĂšre de la charitĂ© chrĂ©tienne Quelle que soit la maniĂšre dont on conçoit la charitĂ© pour le prochain, elle prĂȘte le flanc aux CRITIQUES DES INCROYANTS. Ils rĂ©pugnent Ă  ĂȘtre aimĂ©s pour d’autres motifs que leur valeur personnelle. Ils considĂšrent comme une injure d’ĂȘtre aimĂ©s pour l’amour d’autres personnes, fĂ»t-ce pour l’amour de Dieu, ou pour des qualitĂ©s surnaturelles que Dieu aurait mises en eux. Ils feraient sans doute Ă©cho aux sarcasmes d’un malade Ă  sa charitable visiteuse Je ne veux pas de votre charitĂ©. En me soignant pour l’amour de Dieu, ce n’est pas moi que vous aimez, c’est votre Dieu. À moins que ce ne soit vous-mĂȘme, en agissant par intĂ©rĂȘt, en vue de votre bonheur Ă©ternel ». Que rĂ©pondre Ă  cette critique de fond ? La seule maniĂšre de rĂ©soudre une difficultĂ© aussi grave est de nous placer rĂ©solument au point de vue de la foi. La charitĂ© dĂ©pend essentiellement de la foi et ne se comprend que dans un contexte surnaturel. Toute explication naturaliste est nĂ©cessairement dĂ©cevante. Par consĂ©quent, nous n’arriverons pas Ă  convaincre les incrĂ©dules obstinĂ©s. Il n’est pas possible qu’ils saisissent la nature de la charitĂ© chrĂ©tienne tant qu’ils se fermeront Ă  la foi. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de montrer aux fidĂšles qui nous interrogent et aux incroyants qui cherchent de bonne foi que la charitĂ© chrĂ©tienne est profondĂ©ment mystĂ©rieuse et ne se rĂ©duit Ă  aucune sorte d’amour humain. Il faut d’abord SE RAPPELER CE QU’EST DIEU. Quand on se rappelle qu’il est la plĂ©nitude de l’Etre, on reconnaĂźt que lui seul mĂ©rite d’ĂȘtre aimĂ© d’une maniĂšre absolue dans toute la force du terme. Tout le créé est Ă  base de nĂ©ant on ne peut donc s’y arrĂȘter comme Ă  une fin derniĂšre. Aussi Dieu ne nous aime-t-il pas Ă  cause de nos perfections personnelles, mais par pure misĂ©ricorde. Ou plutĂŽt, dans la mesure oĂč il aime nos capacitĂ©s, naturelles ou surnaturelles, c’est sa propre bontĂ© qu’il aime en nous, puisque tout bien vient de lui. Si nous sommes logiques, nous reconnaĂźtrons nos limites. Nous n’exigerons pas d’ĂȘtre la fin derniĂšre de qui que ce soit, laissant cet honneur Ă  Dieu seul. Et SI NOUS RESTONS DANS L’ORDRE NOUS N’Y PERDRONS RIEN. En effet, nous dĂ©sirons ardemment ĂȘtre aimĂ©s d’un amour fort comme la mort ». Mais c’est prĂ©cisĂ©ment un fait d'expĂ©rience que le seul amour douĂ© de cette fermetĂ© est la charitĂ© chrĂ©tienne. Si Dieu nous aime d’un amour indĂ©fectible, malgrĂ© nos rĂ©sistances et nos rĂ©voltes, c’est parce qu’il voit plus loin que les faiblesses et les misĂšres inhĂ©rentes Ă  notre nature dĂ©chue c’est parce qu’il s’aime lui-mĂȘme en nous. Si les saints aiment leur prochain d’un amour hĂ©roĂŻque, malgrĂ© les avanies qu’ils en reçoivent parfois, c’est qu’ils ferment les yeux sur la mĂ©chancetĂ© pour ne voir que Dieu en lui. Ils pratiquent dĂšs ici-bas ce que nous vivrons au ciel. Au ciel, les Ă©lus voient si clairement que Dieu est la source et le terme de l’amour ; ils sont si bien entraĂźnĂ©s dans cette circulation d’amour » 6, qu’il ne leur est pas possible de s’aimer entre eux d’un autre amour que l’amour de Dieu mĂȘme. Cette perfection de l’amour cĂ©leste, rĂ©alisĂ©e dans la clartĂ© de la vision bĂ©atifique, est le modĂšle de la charitĂ© que les chrĂ©tiens doivent avoir entre eux dans l’obscuritĂ© de la foi sur terre. En face d’un tel amour on est tentĂ© de crier au paradoxe comment concilier un amour rĂ©el du prochain et un amour exclusif de Dieu ? C’est que L'AMOUR DE CHARITÉ CHRÉTIENNE NE RESSEMBLE GUÈRE AUX AMOURS TERRESTRES. Il est d’une puretĂ©, d’une libertĂ©, d’un universalisme sans limites. Le cƓur des saints, cette merveille de charitĂ©, est vaste comme la mer, au-dessus des prĂ©fĂ©rences comme des ingratitudes, tout donnĂ© Ă  l’ñme qui s’ouvre Ă  l’instant et disponible Ă  l'infini aux cƓurs qui s’offriront tout-Ă -l’heure. Il Ă©chappe Ă  tout accaparement, il domine de haut les Ăąmes qui convergent vers lui. On dirait que cette indĂ©pendance et cette universalitĂ© l’empĂȘchent de remarquer l'individu perdu dans la foule, et c’est tout le contraire. Quand le pĂȘlerin inconnu voit se fixer sur lui le regard du CurĂ© d’Ars, il se sent aimĂ©, lui, d’un amour vivant, profond, individuel, fidĂšle pour l’éternitĂ©. Il sait trĂšs bien qu’il ne mĂ©rite pas cet amour ; mais il est Ă©vident pour lui que sa misĂšre n’est pas un obstacle. Il expĂ©rimente qu’une vague d’amour mystĂ©rieux dĂ©ferle sur lui des profondeurs de l’infini Ă  travers l’ñme du saint et cette rĂ©vĂ©lation le fascine. Une expĂ©rience comme celle-lĂ  marque un homme pour la vie. Quand on sait cela, on est obligĂ© de conclure que l’amour de charitĂ© chrĂ©tienne, si diffĂ©rent des amours charnelles, ne leur cĂšde en rien en intensitĂ© et en profondeur. Mieux que cela Il faut mĂȘme dire que, plus que les amours humaines, la charitĂ© atteint la personne du prochain au plus secret de lui-mĂȘme. En effet, en l’aimant pour Dieu, je l’aime en ce qu’il a de plus personnel sa relation fondamentale Ă  Dieu ; je communie en lui Ă  l’invitation Ă  l’amour et Ă  la bĂ©atitude que Dieu lui adresse en l’appelant par son nom » 1*7. Ne nous Ă©tonnons pas de ce paradoxe on en rencontre d’autres du mĂȘme genre dans la religion chrĂ©tienne. LE CHRISTIANISME A LE PRIVILÈGE UNIQUE DE CONCILIER DES ANTINOMIES APPAREMMENT IRRÉDUCTIBLES libertĂ© et obĂ©issance, humilitĂ© et magnanimitĂ©, force et douceur, ascĂšse et bonheur, etc. Pour ne parler que de cette derniĂšre antinomie, combien d’incroyants n’ont-ils pas horreur de la condition de vie des vrais chrĂ©tiens ! Ils ne peuvent soupçonner que le vrai bonheur suppose la mortification, l’humilitĂ©, le dĂ©tachement du monde et des richesses, etc. Et cependant, c’est un fait d'expĂ©rience le vrai bonheur ne se trouve que lĂ . Mais c’est un bonheur qui ne ressemble pas Ă  celui du monde Jo., XIV, 27. C’est une joie spirituelle et non charnelle, paisible et non frĂ©missante, profonde et non superficielle c’est une joie divine. De mĂȘme la charitĂ© chrĂ©tienne n’est si transcendante que parce qu’elle est essentiellement divine. Si elle se rĂ©duisait Ă  une forme infĂ©rieure, fondĂ©e sur les qualitĂ©s du prochain, mĂȘme surnaturelles, elle ne pourrait avoir les mĂȘmes marques. Etant une participation Ă  l’amour infini de Dieu, elle descend du ciel et ne demeure que dans les Ăąmes cĂ©lestes. Ceci dit, il n’est pas superflu d’insister sur la valeur de L'AMITIÉ CHRÉTIENNE. Les hommes veulent ĂȘtre aimĂ©s pour eux-mĂȘmes et non pour un autre. Qu’à cela ne tienne, dans un sens. Expliquons-leur que le prochain en Ă©tat de grĂące — ou susceptible de le devenir — a une valeur personnelle incomparablement plus prĂ©cieuse que toutes les valeurs créées. La beautĂ© d’une Ăąme en Ă©tat de grĂące surpasse infiniment la splendeur du plus beau visage. Quand on sait cela et qu’on en vit, on a pour le prochain une estime et une amitiĂ© bien supĂ©rieure aux passions humaines les plus violentes une amitiĂ© Ă  la fois plus profonde, plus rĂ©elle et plus durable, source de dĂ©vouements inlassables. Il y a lĂ  de quoi satisfaire les requĂȘtes les plus exigeantes. Mais nous disons que ce sentiment relĂšve de l’amitiĂ© morale surnaturelle, et non de la charitĂ© thĂ©ologale, qui est encore beaucoup plus sublime. Chapitre XXIV LE REGNE DE LA CHARITE Tout chrĂ©tien qui connaĂźt l’Evangile et l’enseignement des apĂŽtres sait que la charitĂ© est la reine des vertus. MaĂŻs cette vertu, sous sa double forme d’amour de Dieu et d’amour du prochain, n’est malheureusement pas toujours la marque distinctive des disciples du Christ. Et l’on a raison de rappeler souvent son rĂŽle irremplaçable dans la vie morale. Il faudrait cependant le faire en termes corrects. Or ce n’est pas toujours le cas. On lit parfois, en rĂ©fĂ©rence Ă  Mt., xxv, 31- 46, qu’il n’y a qu’une vertu la charitĂ©, et on semble oublier qu’il y en a d’autres. Et il arrive effectivement que cette dĂ©viation doctrinale passe dans la pratique sous la forme d’un quiĂ©tisme immoral. Nous tĂącherons de mettre les choses au point en montrant le rĂŽle fondamental de la charitĂ© dans la vie chrĂ©tienne et en analysant la nature thĂ©ologique de son influence. Nous terminerons par quelques mots complĂ©mentaires sur le mĂ©rite. I. — RĂŽle fondamental de la charitĂ© Il est facile de comprendre comment L'AMOUR POUR DIEU est le devoir fondamental d’un chrĂ©tien. Nous avons dĂ©jĂ  vu 8 que Dieu a créé l’homme par amour, qu’il l’aime d’un amour indĂ©fectible, qu’il le prĂ©vient pour solliciter son amour. qu’il le soutient sans cesse dans ses efforts, qu’il le relĂšve aprĂšs ses chutes, et l’accompagne jusqu’au terme de sa vie terrestre pour l’introduire enfin dans sa propre bĂ©atitude. La seule rĂ©ponse convenable Ă  tant de bienfaits est un amour total, un don complet de soi. Cet amour de Dieu est central dans la morale chrĂ©tienne. Il permet Ă  l’homme d’atteindre d’un seul coup sa fin derniĂšre en le fixant en Dieu, en permettant Ă  la grĂące d’envahir son Ăąme, et en orientant toute son activitĂ© morale et religieuse. Ses rapports envers Dieu ne sont pas tant ceux d’une crĂ©ature envers son crĂ©ateur que ceux d’un fils envers son PĂšre. Dans sa vie morale, il n’obĂ©it pas tant Ă  une loi extĂ©rieure qu’il ne cherche Ă  plaire Ă  une Personne infiniment aimĂ©e en se modelant sur ses perfections. Le culte lui - mĂȘme, fait du respect de la grandeur divine, est inspirĂ© par l’amour l’adoration de Dieu est pĂ©nĂ©trĂ©e d’amour, et la participation Ă  la vie liturgique et aux sacrements est une Ɠuvre d’amour destinĂ©e Ă  augmenter l’amour. Les prĂ©ceptes moraux les plus austĂšres mortification des passions, support des Ă©preuves et des persĂ©cutions, rĂ©sistances aux tentations, etc., sont envisagĂ©s dans la lumiĂšre de l’amour divin, vivifiĂ©s par cet amour, rendus lĂ©gers par leur oblation d’amour. En un mot l’amour de Dieu est le moteur de toutes les actions en morale, comme il est la clef de tous les mystĂšres en dogme. Qu'est-ce, en effet, que le dogme, sinon l’amour de Dieu pour l’homme ? Et qu’est-ce que la morale, sinon l’amour de l’homme pour Dieu ? Une Ăąme qui aime vraiment Dieu ne se permettra rien qui puisse choquer le regard divin. Elle ne sera pas orgueillleuse, car l’orgueil est la pire des insultes et des folies. Elle ne sera pas impure, car la luxure profane le temple de Dieu », comme dit saint Paul. Elle ne sera pas sensuelle, car l’amour des plaisirs Ă©loigne de Dieu. Elle sera dĂ©tachĂ©e des richesses, car on ne peut plaire Ă  la fois Ă  Dieu et Ă  Mammon ». * Mais la charitĂ© pour Dieu est insĂ©parable de L'AMOUR DU PROCHAIN. Donc l’amour du prochain rĂšglera tous nos rapports sociaux. Ce n’est pas seulement par respect de la loi naturelle qu’un chrĂ©tien est juste, sincĂšre, dĂ©vouĂ©, poli, gĂ©nĂ©reux, etc. C’est surtout par amour pour ses frĂšres, en qui il voit Dieu. La simple loi naturelle et les stricts rapports de justice permettraient en morale naturelle bien des rĂ©actions de sĂ©vĂ©ritĂ©, de vengeance, ou autres, qu’un chrĂ©tien ne se permettra point, car en lui l’amour domine. Son attitude fonciĂšre sera toute d’accueil et d’ouverture, et ses premiĂšres rĂ©actions seront de bienveillance, de patience, de douceur, de pardon. C’est un fait psychologique que nous apprĂ©cions diffĂ©remment le mĂȘme acte chez deux personnes diversement estimĂ©es. Le halo affectif dont nous entourons ces personnes transfigure leurs actions, en bien ou en mal. L’impatience, par exemple, rĂ©sulte beaucoup moins de l’erreur matĂ©rielle commise que de l’antipathie que l’on a pour son auteur. Or un chrĂ©tien aura toujours le prĂ©jugĂ© favorable, et cela lui facilitera Ă©normĂ©ment la pratique des vertus sociales. Et non seulement sociales, mais aussi individuelles. Car certaines actions qui, en principe, ne regardent que la vie privĂ©e, ont une rĂ©percussion altruiste. Il est difficile, par exemple, d’avoir une pensĂ©e d’orgueil sans mĂ©priser plus ou moins consciemment le prochain ; une jouissance sensuelle est un blocage sur soi-mĂȘme qui ferme le cƓur aux autres ; et Ă  tout le moins on doit dire qu’un manque de gĂ©nĂ©rositĂ© nuit Ă  tout le Corps mystique en dĂ©mĂ©ritant aux yeux de Dieu. Ainsi la charitĂ© chrĂ©tienne comprise dans sa totalitĂ©, avec son double objet, Dieu et le prochain, renferme toute la loi en un certain sens A ces deux commandements se rattache toute la Loi, ainsi que les ProphĂštes » Mt., XXII, 40. Il n’est pas possible d’aimer Dieu sans le prochain. Et rĂ©ciproquement il n’est pas possible d’aimer le prochain surnaturellement sans ĂȘtre amenĂ© Ă  pratiquer parfaitement toutes les vertus sociales envers lui et mĂȘme les vertus personnelles les plus intimes. Et ceci explique le mot de S. Paul Celui qui aime autrui a de ce fait accompli la loi » Rom., XIII, 8. IT. — La charitĂ©, forme des vertus Ce que nous venons d’exposer est accessible Ă  une simple vue psychologique des choses. Pour approfondir la nature des rapports entre la charitĂ© et les autres vertus, les thĂ©ologiens ont recours Ă  une notion qui, sous la plume de S. Thomas, a une saveur toute aristotĂ©licienne ils disent que la charitĂ© est la forme des vertus. L'expression ne remonte, telle quelle, qu’à Pierre Lombard. Mais pour le sens on en trouve l’origine dans l’ Ambrosiaster, un auteur inconnu qui avait Ă©crit sous le patronage de S. Ambroise, et qui appelle la charitĂ© la mater », le fundamentum » des autres vertus!%. A la suite de S. Thomas, la plupart des thĂ©ologiens ont retenu la formule, quittes Ă  l’expliquer parfois diversement. Quel sens faut-il lui donner ? Si on identifie la charitĂ© avec la grĂące habituelle, l’explication est trĂšs simple on veut dire par lĂ  que les vertus naturelles des paĂŻens ne sont pas de vraies vertus, puisqu'elles ne permettent pas Ă  l’homme d’atteindre sa fin surnaturelle. Elles ne deviennent de vraies vertus que quand elles sont informĂ©es » par la grĂące, qui les surĂ©lĂšve au plan divin et leur donne une valeur infinie. Mais nous avons vu qu’il vaut mieux faire de la charitĂ© une vertu spĂ©ciale, qui dĂ©coule de la grĂące et ne la remplace pas, et dont le siĂšge est la volontĂ© et non la substance de l’ñme. Dans ce cas l’expression scolastique a un sens beaucoup plus prĂ©cis et trĂšs Ă©clairant. Voyons d’abord son FONDEMENT MÉTAPHYSIQUE I. En traitant de la vertu ch. xv, nous avons vu que pour S. Thomas les vertus proprement dites sont des HABITUS ORIENTES VERS LA FIN DERNIÈRE. C’est LA VOLONTÉ qui joue ce rĂŽle rectificateur. Elle le fait d’abord pour les actes moraux. Un acte quelconque et ici nous renvoyons au ch. x, oĂč nous avons Ă©tudiĂ© les Ă©lĂ©ments de la moralitĂ©, prend la plus grande partie de sa valeur morale, et parfois toute sa valeur de sa rĂ©fĂ©rence Ă  la fin envisagĂ©e. Balayer un corridor est de soi une action indiffĂ©rente. Mais cette action reçoit une valeur diverse de la fin qui l’anime gloire de Dieu, obĂ©issance, service, amour-propre, intention mauvaise, etc. C’est la volontĂ© qui fait cette mĂ©tamorphose. Elle transforme Ă  sa guise un acte neutre en une action hĂ©roĂŻque ou en sacrilĂšge. Elle ramasse un brin de paille et en fait une pĂ©pite d’or ou un poison. Ce fait est indiscutable. Il met en relief la dignitĂ© de l’homme et son autonomie. Ce qui compte surtout en morale et aux yeux de Dieu, c’est l’intention, profonde ou avouĂ©e. c’est la bonne ou mauvaise volontĂ©. L’action extĂ©rieure a moins d’importance. À moins d’ĂȘtre intrinsĂšquement mauvaise, elle est entraĂźnĂ©e par la volontĂ© et modifiĂ©e moralement par elle, plus ou moins profondĂ©ment selon les cas, ainsi que nous l’avons montrĂ© en dĂ©tail. Il faut en dire autant des vertus, source des actes. Nous ne parlons, pour l’instant, que des vertus naturelles, accessibles Ă  la simple raison philosophique justice, loyautĂ©, bravoure, etc., telles qu’on peut les rencontrer chez des paĂŻens Ces vertus, nous le savons dĂ©jĂ  ch. xv. sont des rĂ©alitĂ©s ontologiques qui ne peuvent ĂȘtre saisies par notre imagination. Seule l’intelligence peut s’en faire une idĂ©e grĂące Ă  la notion d’ĂȘtre et Ă  l’analogie. Il ne faut donc pas se les reprĂ©senter comme des choses qui viendraient s’ajouter Ă  la volontĂ©, Ă  la façon dont un bourgeon se mettrait Ă  Ă©clore sur une tige. Une qualitĂ© est une maniĂšre d’ĂȘtre. Donc la vertu d’une facultĂ© n’est que cette facultĂ© en tant qu’elle est douĂ©e de telle ou telle propriĂ©tĂ©. C’est ce que dit trĂšs bien le P. Gilleman La vertu n’est pas une chose » collĂ©e sur une facultĂ©. Elle est une qualitas, une maniĂšre d’ĂȘtre de cette facultĂ©, une attitude fonctionnelle, de la mĂȘme façon que la facultĂ© elle-mĂȘme n’est pas une chose, mais une fonction de notre ĂȘtre spirituel et tendanciel. Dans notre activitĂ© vertueuse, la vertu n’élicite donc pas un acte diffĂ©rent de celui de la facultĂ© ; c’est la facultĂ© amĂ©liorĂ©e par la qualitĂ© vertueuse qui Ă©licite l’acte ; et Ă  son tour la facultĂ© n’agit qu’à la façon d’un instrument de la volontĂ© et finalement de l’ñme » 140, Par suite, la multiplication des intentions ou la convergence de multiples vertus ne nuisent nullement Ă  la simplicitĂ© de l’action. Dans un mĂȘme acte, la volontĂ© peut mobiliser » plusieurs vertus sans modifier en rien leur nature respective. Dans le mĂȘme et unique acte de soigner un client, un mĂ©decin peut Ă  la fois vouloir gagner sa propre subsistance, s’acquitter de son devoir d’état ou d’une dette en justice, manifester sa pitiĂ© et accomplir un acte de rĂ©elle charitĂ© envers un membre du Christ pratiquer donc en mĂȘme temps, dans un seul acte, plusieurs vertus » ib., p. 35. II. Transposons ces donnĂ©es mĂ©taphysiques au PLAN SURNATUREL. Tout se passe de la mĂȘme maniĂšre. La seule diffĂ©rence essentielle, c’est que tout est Ă©levĂ© au plan de la vie divine. Et le facteur de cette Ă©lĂ©vation, c’est la charitĂ©, ou, plus exactement, la volontĂ© douĂ©e de la charitĂ©. Les vertus morales infuses ne sont pas, elles non plus, des choses » ajoutĂ©es aux facultĂ©s existantes, mais des qualitĂ©s surnaturelles de ces facultĂ©s ; elles sont ces facultĂ©s en tant qu’élevĂ©es et surnaturalisĂ©es. En disant qu’un acte procĂšde d’une vertu infuse, on signifie qu’il procĂšde de la facultĂ© Ă©levĂ©e par cette vertu tout entier de la facultĂ© et tout entier de la vertu. Nous pouvons donc raisonner Ă  propos des vertus infuses comme nous le faisons pour les vertus acquises et les facultĂ©s un seul acte de volontĂ© — Ă©levĂ©e et divinisĂ©e cette fois — peut viser des fins de vertus infuses subordonnĂ©es et impĂ©rĂ©es ; ou encore dans un seul et indivisible acte complexe, la charitĂ© et les vertus peuvent ĂȘtre exercĂ©es Ă  la fois » ib., p. 35-36. Donc, de mĂȘme qu’au plan naturel, les actes des vertus et les vertus particuliĂšres elles-mĂȘmes tirent le plus clair de leur valeur du rĂŽle de la volontĂ©, qui les oriente vers une fin et les entraĂźne dans son orbite, de mĂȘme au plan surnaturel, c’est LA CHARITÉ qui joue le mĂȘme rĂŽle par rapport aux actes vertueux et aux vertus infuses elles-mĂȘmes, parce que la charitĂ© n’est autre qu’une propriĂ©tĂ© de la volontĂ©, et donc, au fond, la volontĂ© elle- mĂȘme en tant que douĂ©e de cette vertu. Nous retrouvons une fois de plus le principe thomiste connu la grĂące ne dĂ©truit pas la nature, mais elle la surĂ©lĂšve et la perfectionne. Et Ă  ce plan surnaturel, comme au plan naturel, les vertus infuses gardent leur rĂ©alitĂ© ontologique et ne se confondent pas sous l’empire de la charitĂ©. Citons encore le P. Gilleman Ici encore, de mĂȘme que pour les actes, la charitĂ© ne fait pas pour autant perdre leur spĂ©cification aux autres vertus qu’elle perfectionne. Sa prĂ©sence en nous ne nous apporte pas cela mĂȘme que les autres vertus sont destinĂ©es Ă  nous confĂ©rer. Cette derniĂšre supposition reviendrait Ă  dire que la charitĂ© remplace » toutes les vertus particuliĂšres, ou que les autres vertus ne peuvent ĂȘtre rĂ©ellement distinguĂ©es d’elle. Ce serait entiĂšrement contraire Ă  la pensĂ©e de S. Thomas. Il dĂ©nie prĂ©cisĂ©ment Ă  la charitĂ© une causalitĂ© formelle » au sens propre dans les autres vertus. Si la charitĂ© intervient dans la dĂ©finition de toute vertu, selon S. JĂ©rĂŽme et S. Augustin, ce n’est point parce que toute vertu est essentiellement la charitĂ©, mais parce que toutes dĂ©pendent d’elle en quelque façon » ib., p. 53-54. Pour nous rĂ©sumer en quelques mots, nous pourrions dire en nous inspirant de S. Thomas que la charitĂ© est la forme des vertus Ă  un TRIPLE POINT DE VUE 1° D’abord et surtout Ă  titre de cause efficiente. C’est elle, en effet, qui inspire les vertus et les oriente vers la fin derniĂšre Ă©tant vertu thĂ©ologale, et atteignant Dieu plus directement que la foi et l’espĂ©rance, elle a le privilĂšge d’entraĂźner les vertus jusque dans le coeur de Dieu mĂȘme, pour ainsi dire. 2° Puis, Ă  titre de cause exemplaire, elle leur communique sa beautĂ© divine. C’est par elle que les vertus sont pĂ©nĂ©trĂ©es Ă  fond de la grĂące habituelle et acquiĂšrent une valeur surnaturelle incomparable. 3° Enfin elle agit comme cause formelle. Mais il faut bien comprendre en quel sens. Nous avons dit que cela ne peut ĂȘtre au sens strict. On sait, en effet, quel est le rĂŽle de la forme dans la thĂ©orie hylĂ©morphique d’Aristote c’est elle qui spĂ©cifie un ĂȘtre. Ainsi, quand on veut expliquer mĂ©taphysiquement la diffĂ©rence entre l’hydrogĂšne et l’oxygĂšne, on dit que cette diffĂ©rence ne vient pas de la matiĂšre premiĂšre, indiffĂ©renciĂ©e et donc identique partout, mais d’un principe non matĂ©riel en vertu duquel on a d’un cĂŽtĂ© l’hydrogĂšne et de l’autre l’oxygĂšne. C’est la forme. Si la charitĂ© Ă©tait la forme de toutes les vertus en ce sens-lĂ , elle les absorberait toutes, ce qui n’est pas le cas les vertus particuliĂšres animĂ©es par la charitĂ© gardent leur forme spĂ©ciale. C’est donc que la charitĂ© est leur forme, non pas spĂ©ciale, mais gĂ©nĂ©rale, ce qui ne veut pas dire que son influence soit, de ce fait, secondaire La charitĂ© n’est donc pas la cause essentielle ou formelle, ni Ja cause exemplaire de la chastetĂ© par exemple, mais elle en fait partie, et mĂȘme d’une maniĂšre principale forma formĂŠ », puisque sans ’ information » supĂ©rieure et gĂ©nĂ©rale de l’amour charitĂ© qui la porte Ă  la fin derniĂšre, la chastetĂ© ne serait pas une vertu chrĂ©tienne »!41. III. — CharitĂ© et mĂ©rite La charitĂ© n’est pas seulement la forme des vertus dans le sens que nous venons de prĂ©ciser elle l’est aussi par mode de mĂ©rite. Tel est du moins l’enseignement de S. Thomas et de la plupart des thĂ©ologiens. Les seuls auteurs principaux qui soient d’un avis diffĂ©rent sont quatre thĂ©ologiens du XVIS siĂšcle, dont Vasquez et Suarez. Selon eux, le chrĂ©tien mĂ©rite du fait mĂȘme qu’il est en Ă©tat de grĂące Vasquez ou du moins dĂšs qu’il agit pour un motif surnaturel, quel qu’il soit, mĂȘme si ce n’est pas la charitĂ© qui l’inspire Suarez 2. On le voit tout le monde s’accorde sur l’existence et la nature du mĂ©rite. Nous n’avons donc pas Ă  revenir sur ce que nous avons dit plus haut Ă  ce sujet ch. XII. La question agitĂ©e ici est de savoir quelle est la cause prochaine du mĂ©rite est-ce la grĂące habituelle ? Est-ce un motif de foi ? Est-ce la charitĂ© ? La rĂ©ponse dĂ©pend de l’idĂ©e que l’on se fait de la nature de notre organisme surnaturel. Si l’on accorde peu d’importance aux principes mĂ©taphysqiques, on sera tentĂ© de dire avec Vasquez que le problĂšme de la charitĂ© forme des vertus n’est pas une question de choses mais une question de mots »!, On sera portĂ© Ă  ne pas bien voir la place des vertus infuses ainsi Vasquez rejette les vertus morales infuses et par consĂ©quent Ă  diminuer leur rĂŽle et Ă  ne guĂšre retenir que l’action de la grĂące, surtout sanctifiante. Mais si, avec saint Thomas, on distingue nettement la grĂące habituelle, les vertus thĂ©ologales, et les vertus morales infuses ; et si on fait de la charitĂ© une vertu de la volontĂ© ; et de la volontĂ© la facultĂ© de la fin derniĂšre, alors tout s’éclaire et se prĂ©cise. La grĂące habituelle, en nous confĂ©rant une surnature dĂ©ifique », nous habilite Ă  poser des actes d’ordre surnaturel. Mais elle ne sanctifie notre Ăąme qu’à la maniĂšre d’un principe de vie divine. Si nous nous dĂ©sintĂ©ressons de ce trĂ©sor, il demeure improductif, comme les richesses enfouies sous terre, dont parle la parabole Mt., XIII, 44. Il faut le faire fructifier. Si, comme le veut Suarez, nous nous contentons d’agir avec des vues de foi il s’agit de la foi strictement dite, et non au sens vital et riche de la Bible, nous ne voyons pas comment cela peut suffire au progrĂšs de la vie morale et au mĂ©rite. Le motif de foi intĂ©resse le regard de l’esprit et la conviction de la volontĂ©. Il peut aller de pair avec une dĂ©cision sĂšche, peu cordiale, et mĂȘme coexister avec le pĂ©chĂ© mortel. Or une telle attitude d’ñme ne reflĂšte guĂšre les exigences de l’Evangile et des apĂŽtres. Par contre, la charitĂ© est la valeur suprĂȘme du chrĂ©tien. De mĂȘme que, dĂ©jĂ  au plan naturel, on estime un homme Ă  son grand cƓur et non Ă  sa vigueur d’esprit, de mĂȘme au plan surnaturel c’est l’amour de Dieu qui fait la valeur d’une Ăąme et le prix des actions. Dieu n’est pas honorĂ© par la masse des actes, mais par leur qualitĂ©. Il regarde moins le rĂ©sultat que les intentions. Il prĂ©fĂšre un cƓur brĂ»lant d’amour pour lui mais pauvre en rĂ©alisations Ă  un esprit entreprenant mais trop sĂ»r de lui. Et on comprend ainsi que la charitĂ© soit le grand principe du mĂ©rite surnaturel. Elle est la vie du coeur », au sens courant du mot. Elle est une vertu de la volontĂ©, facultĂ© qui oriente l’homme vers sa fin derniĂšre. Par suite, elle est cause du mĂ©rite Ă  un double point de vue ontologique et juridique 1. 1. Au POINT DE VUE ONTOLOGIQUE. Quand nous avons exposĂ© les principes du mĂ©rite ch. XII, nous avons vu son importance fondamentale en morale il s’insĂšre dans la constitution mĂȘme de la nature humaine et de cette mĂȘme nature surnaturalisĂ©e. Et nous l’avons justifiĂ© en vertu du principe de finalitĂ©. Autrement dit, nous avons dĂ©montrĂ© que le mĂ©rite s’impose ontologiquement, en morale naturelle comme en morale surnaturelle. Mais alors nous envisagions la nature humaine dans sa totalitĂ© nous ne nous posions pas la question du fonctionnement du mĂ©rite. Au point oĂč nous sommes arrivĂ©s, nous ajoutons une prĂ©cision. Nous disons que si la nĂ©cessitĂ© ontologique du mĂ©rite dĂ©coule des lois mĂȘmes de la nature, son fonctionnement relĂšve spĂ©cialement de la volontĂ© au plan naturel et, au plan surnaturel, de cette piĂšce maĂźtresse de notre organisme qu'est la charitĂ©. La charitĂ© nous unit directement Ă  Dieu, notre fin derniĂšre. Toutes les autres vertus, y compris la foi et l’espĂ©rance, sont incapables par elles seules de produire cet effet, puisqu’elles peuvent coexister avec le pĂ©chĂ© mortel. La charitĂ© est donc LA SEULE VERTU DE LA FIN DERNIÈRE, et les autres vertus ont pour objet des biens qui sont moyens par rapport Ă  cette fin. Si donc la charitĂ© est seule capable de nous unir directement Ă  Dieu, elle seule est essentiellement source de mĂ©rite, puisque le mĂ©rite nous conduit Ă  la possession de Dieu. 2. — Il faut en dire autant AU POINT DE VUE JURIDIQUE. Dans ce mĂȘme chapitre XII, nous avons soulignĂ© que le mĂ©rite ne pouvait valoir en stricte justice qu’en vertu d’une disposition prĂ©alable et purement gratuite de Dieu, vu qu’aucun ĂȘtre créé n’a, par nature, de droit strict Ă  l’égard de Dieu. Or cette convention se situe naturellement au plan juridique. Il suffit de prĂ©ciser ici que c’est aussi en vertu d’une convention divine que la charitĂ© mĂ©rite. Dieu a dĂ©cidĂ© que la condition essentielle de notre mĂ©rite surnaturel serait notre union Ă  son divin Fils, accompagnĂ©e de nos efforts personnels. Or c’est prĂ©cisĂ©ment la charitĂ© qui satisfait Ă  cette double condition c’est elle qui nous fait adhĂ©rer pleinement au Christ et qui nous fait pratiquer courageusement la vertu. PĂ©cisons encore, avec le P. Gilleman ib., p. 63-64 que cette doctrine du mĂ©rite, propriĂ©tĂ© de la charitĂ©, n’inclut nullement une mĂ©sestime des autres vertus, thĂ©ologales ou morales. Nous avons en effet montrĂ© que la charitĂ©, en informant » Ă  sa maniĂšre les autres vertus, ne les supprime pas, mais leur laisse leur spĂ©cificitĂ©. Sans doute, toutes les vertus qui collaborent dans une circonstance donnĂ©e aboutissent Ă  un acte moral un et indivisible rappelons l’exemple du mĂ©decin soignant ses malades pour plusieurs motifs. Mais, de mĂȘme qu’au regard du mĂ©taphysicien le rĂ©el apparaĂźt trĂšs complexe dans son unitĂ©, de mĂȘme au regard du thĂ©ologien l’acte moral apparaĂźt revĂȘtu de diverses modalitĂ©s rĂ©sultant des intentions variĂ©es. Or il est normal que ces modalitĂ©s se superposent dans un ordre hiĂ©rarchique et que la charitĂ© soit au sommet. C’est elle qui confĂšre au ciel la gloire essentielle ». Les autres vertus procurent la gloire accidentelle ». Conclusion Notre conclusion sera double THÉORIQUE ET PRATIQUE. I. — On reproche parfois, de nos jours, Ă  S. Thomas de ne pas avoir donnĂ© Ă  la charitĂ© une place prĂ©pondĂ©rante dans sa synthĂšse. On lui prĂ©fĂšre la prĂ©sentation augustinienne de la morale. Mais il faut dire une fois de plus que le point de vue de S. Thomas n’est pas celui de S. Augustin il n’est pas mystique et affectif, mais strictement scientifique. Or la mĂ©thode scientifique exige que chaque vertu soit Ă©tudiĂ©e pour elle- mĂȘme, dans son originalitĂ© propre. Il va de soi qu’en doctrine thĂ©ologique les vertus morales ne reçoivent leur valeur complĂšte que de la charitĂ©, mais on ne peut le rĂ©pĂ©ter Ă  l’occasion de chacune d’elles. C’est au lecteur de ne pas l’oublier, et de ne jamais abstraire une vertu de tout son contexte surnaturel pour la prĂ©senter dans sa seule analyse psychologique et mĂ©taphysiqne. De mĂȘme, quand, Ă  la suite de S. Thomas, nous Ă©tudions les principes mĂ©taphysiques de la moralitĂ© cf. chap. x, nous savons que ces principes doivent ĂȘtre vivifiĂ©s par la charitĂ©. Il suffit donc de ne jamais l’oublier et de ne pas rĂ©duire la morale thomiste Ă  un systĂšme philosophique. Il est vrai que certains de nos contemporains proposent de faire Ă  la fois Ɠuvre scientifique et Ɠuvre kĂ©rygmatique », en synthĂ©tisant toute la morale autour de la charitĂ© chrĂ©tienne. Reste Ă  savoir s’il n’y a pas plus Ă  perdre qu’à gagner dans cette entreprise. Nous avons dĂ©jĂ  notĂ© ch. IX, 8 IT, note 3 que la substition de la notion de charitĂ© Ă  celle de bĂ©atitude nous paraissait un appauvrissement mĂ©thodologique. Il est Ă  croire que certains de ceux qui proposent une rĂ©forme d’une telle envergure n’ont pas bien saisi le sens de la notion de bĂ©atitude en S. Thomas. Redisons que cette notion, et celle, parallĂšle, de finalitĂ© ch. VIID, doivent ĂȘtre comprises dans un sens principalement objectif et ontologique, qui est parfaitement conciliable avec les exigences de la charitĂ©, et qui prĂ©sente l’avantage d’une supĂ©rioritĂ© mĂ©thodologique jusqu'ici inĂ©galĂ©e. IT — PRATIQUEMENT, on ne saurait trop tenir compte dans la vie morale des principes thomistes que nous venons de rappeler. Il faut garder aux vertus morales toute l’estime qu’elles mĂ©ritent ce serait un contresens blasphĂ©matoire de prĂ©tendre que la charitĂ© peut nous en dispenser. La chastetĂ©, la justice, l’humilitĂ© et toutes les vertus, naturelles et surnaturelles, sont irremplaçables. Sans elles, la charitĂ© n’existerait pas. Mais, ceci une fois admis, rappelons - nous que les plus belles vertus, thĂ©ologales et morales, n’ont toute leur valeur de saintetĂ© et de mĂ©rite que dans la mesure oĂč elles sont animĂ©es, informĂ©es » par la charitĂ©. Il convient donc de viser avant tout Ă  progresser dans la charitĂ©. Plus notre amour pour Dieu et le prochain augmente, plus aussi les autres vertus se fortifient ontologiquement et psychologiquement. Ontologiquement, parce que la vie surnaturelle qui jaillit de la charitĂ© les pĂ©nĂštre de son Ă©lan. Psychologiquement parce que, selon le mot connu de S. Augustin Quand on aime, on ne peine pas ; ou, si l’on peine, cette peine est aimĂ©e ». Chapitre XXV LA PRUDENCE Nos contemporains ne considĂšrent pas la prudence comme une piĂšce maĂźtresse de la morale on chercherait en vain ce mot dans l’index alphabĂ©tique de tel manuel de philosophie morale rĂ©putĂ©. Aujourd’hui la prudence est comprise habituellement dans un sens restreint et mĂȘme mesquin on en fait le synonyme de circonspection rĂ©flĂ©chie, opposĂ©e Ă  la hardiesse d’entreprise. Depuis un demi - siĂšcle les thomistes ont rĂ©agi contre cette dĂ©prĂ©ciation. Ils se sont efforcĂ©s de montrer que la prudence joue un rĂŽle capital dans la vie morale et que, loin d’ĂȘtre une attitude timorĂ©e, elle voit trĂšs haut et trĂšs loin tout en s’occupant essentiellement des actions concrĂštes. Tel d’entre eux propose, entre autres dĂ©finitions, la suivante c’est la vertu qui conforme la vie Ă  l’idĂ©al »!, MalgrĂ© ces efforts, le mot semble bien Ă  jamais dĂ©monĂ©tisĂ©. Pour faire passer la doctrine importante qu’il renferme, il faudrait crĂ©er un autre terme, plus Ă©vocateur et plus comprĂ©hensif. Quoi qu’il en soit, il est nĂ©cessaire de bien possĂ©der la doctrine elle-mĂȘme, quitte Ă  la traduire en termes variĂ©s, selon les circonstances. Nous situerons d’abord la prudence au plan naturel, puis au plan surnaturel, et enfin au stade de son Ă©laboration thĂ©ologique. I. — La prudence naturelle D’une maniĂšre trĂšs gĂ©nĂ©rale, on peut dire que la prudence consiste dans l’adaptation des moyens Ă  une fin dĂ©terminĂ©e un automobiliste prudent sait Ă©viter les obstacles qui l’empĂȘcheraient d’arriver au terme de son voyage. Pour les philosophes grecs, la prudence joue en morale un rĂŽle capital elle est l’adaptation des moyens Ă  une fin morale donnĂ©e et, en dernier lieu, A LA FIN SUPRÊME DE LA VIE. Cette fin est, pour eux, le bonheur. Mais le bonheur varie selon les systĂšmes. D’aprĂšs Epicure, il consiste dans l’équilibre parfait du corps et de l’ñme. Dans ce cas, la prudence s’efforce de doser savamment les jouissances possibles et les souffrances inĂ©vitables. Aristote vise thĂ©oriquement plus haut il met le bonheur dans l’activitĂ© la plus Ă©levĂ©e de l’intelligence, qui est la contemplation de Dieu. Mais comme cet idĂ©al lui paraĂźt bien difficile Ă  rĂ©aliser durant cette vie, et inaccessible dans l’au-delĂ , il se contente pratiquement d’un bonheur relatif, rĂ©sultat d’un excellent fonctionnement de toutes nos tendances, corporelles et spirituelles. Pour lui, la prudence consiste donc en fait Ă  organiser la vie morale en vue de l’épanouissement de la personne humaine. On peut, Ă  partir de ses propres principes, Ă©tablir que la prudence bien comprise requiert un lien de dĂ©pendance par rapport Ă  la sagesse contemplative 7. Mais ceci est une interprĂ©tation. En rĂ©alitĂ©, cette dĂ©pendance est trĂšs spĂ©ciale et trĂšs difficile Ă  prĂ©ciser. Aristote, du reste, ne l’a pas explicitĂ©e » ib., p. 50. C’est Platon qui propose le but le plus Ă©levĂ© Ă  l’activitĂ© morale de l’homme atteindre le Bien suprĂȘme, source de tous les biens, et s’en laisser pĂ©nĂ©trer par la contemplation et l’amour. Par suite, la prudence devrait consister Ă  hiĂ©rarchiser de telle sorte les activitĂ©s diverses que toutes concourent au repos de l’ñme dans la contemplation du Beau. En fait, Platon rĂ©serve cette vertu Ă  une Ă©lite qui aura pour fonction de gouverner la sociĂ©tĂ© conformĂ©ment Ă  cet idĂ©al. Dans les siĂšcles suivants, d’autres philosophes contribuent encore Ă  l’élaboration d’un traitĂ© de la prudence ; notamment CicĂ©ron, Macrobe, Andronicus. Saint THOMAS les a connus et utilisĂ©s. Il montre comment toutes ces donnĂ©es de philosophie naturelle peuvent ĂȘtre assumĂ©es, coordonnĂ©es et prĂ©cisĂ©es par le thĂ©ologien. Il a surtout transformĂ© ces Ă©lĂ©ments philosophiques Ă  la lumiĂšre de la RĂ©vĂ©lation, et nous reviendrons sur ce point. Pour l’instant, soulignons seulement que ce concours des philosophes Ă  une Ɠuvre commune aboutit dans la Somme ThĂ©ologique de S. Thomas Ă  une synthĂšse trĂšs riche. Le P. Sertillanges, qui a, comme on sait, extrait de la thĂ©ologie thomiste une morale philosophique, Ă©crit au sujet de son enquĂȘte sur la prudence Nous aurons Ă  regretter qu’une mĂ©thode impĂ©rieuse nous dĂ©fende d'Ă©couter S. Thomas thĂ©ologien. Toutefois, si maint trĂ©sor Ă©chappe ainsi Ă  nos prises, l’abondance de nos biens sera capable de faire envie Ă  de soi-disant riches » 8. Nous ne pouvons dĂ©velopper tous les Ă©lĂ©ments de cette synthĂšse !?. Retenons seulement les grandes lignes. La fin derniĂšre envisagĂ©e par la prudence est la jouissance de Dieu. En cela Platon avait vu juste. Mais — et ici Aristote reprend l’avantage — la prudence ne doit pas ĂȘtre confondue avec la sagesse contemplative. Elle est, certes, une vertu de la raison, mais de la raison pratique. Elle a pour objet principal les rĂ©alitĂ©s contingentes, les actions particuliĂšres. De ce fait elle est trĂšs influençable par la volontĂ© et les passions, qui l’aveuglent ou lui facilitent la libertĂ© de son choix, selon qu’elles sont dĂ©rĂ©glĂ©es ou raisonnables, une seule passion suffisant parfois Ă  la fausser partiellement ou Ă  la supprimer totalement. Aussi ne peut-elle s’exercer correctement que moyennant le concours de toutes les facultĂ©s et de toutes les ressources de l’ñme. Telles sont, entre autres la mĂ©moire, qui retient les leçons du passĂ©, la docilitĂ© d’esprit, qui tient compte de l’expĂ©rience des autres, l’intelligence, qui estime avec exactitude les situations morales, la prĂ©voyance, qui devine les consĂ©quences des actes, la prĂ©sence d'esprit pratique, qui fait trouver rapidement la solution Ă  prendre. Et enfin, dans l’activitĂ© intellectuelle mise en jeu, il faut distinguer deux Ă©lĂ©ments qui constituent deux vertus spĂ©ciales l’une a pour objet l’exacte apprĂ©ciation thĂ©orique de la loi, et l’autre l’adaptation de la lettre de la loi aux cas concrets selon l’esprit du lĂ©gislateur. Ces deux Ă©lĂ©ments sont aussi importants l’un que l’autre Ă  une juste apprĂ©ciation morale des faits particuliers. L'homme prudent, ainsi armĂ©, pourra faire Ɠuvre vraiment personnelle dans le gouvernement de la vie morale, et prendre les initiatives parfois hardies que les circonstances exigeront. Il pourra ainsi atteindre ce que les Anciens appelaient le juste milieu ». MaĂŻs cette formule demande Ă  ĂȘtre bien comprise. Le juste milieu ne doit pas ĂȘtre confondu avec la mĂ©diocritĂ©. On serait peut-ĂȘtre parfois tentĂ© de le croire en lisant Aristote. Mais, si la briĂšvetĂ© aristotĂ©licienne peut prĂȘter ici Ă  confusion, les explications thomistes ne laissent plus rien Ă  dĂ©sirer »!°0 la raison impose parfois l’hĂ©roĂŻsme et exige que le juste milieu » soit apprĂ©ciĂ© diffĂ©remment selon les vertus et les circonstances. Aucune rĂšgle gĂ©nĂ©rale ne peut ĂȘtre donnĂ©e en cette matiĂšre dĂ©licate. Tels sont les principaux matĂ©riaux purement philosophiques exploitĂ©s et organisĂ©s par S. Thomas. Cela seul suffirait Ă  faire saisir la supĂ©rioritĂ© de la prudence ainsi comprise sur la prudence au sens courant du mot Il y a loin de l’expĂ©rience pratique amassĂ©e par chaque homme au hasard des rencontres, et par quoi l’on se croit devenu prudent, Ă  la vertu patiemment et soigneusement construite que saint Thomas nomme prudence » l°1, IT. — La rĂ©vĂ©lation de la prudence surnaturelle Si nous ouvrons l’Ancien Testament, nous y trouvons de nombreux textes relatifs Ă  la prudence. Une bonne partie d’entre eux relĂšve du FONDS COMMUN Ă  toutes les civilisations anciennes. Ainsi on insiste sur la valeur de l’expĂ©rience et la nĂ©cessitĂ© de prendre conseil des vieillards et des parents, qui sont prĂ©cisĂ©ment censĂ©s avoir beaucoup retenu Garde, mon fils, le commandement de ton pĂšre, ne rejette pas l’enseignement de ta mĂšre. Fixe-les constamment dans ton cƓur, noue-les Ă  ton cou. Dans tes dĂ©marches ils te guideront dans ton repos ils veilleront sur toi, Ă  ton rĂ©veil ils s’entretiendront avec toi » Prov., VI, 20-23. Cette attitude de dĂ©fĂ©rence Ă  l’égard des anciens est inculquĂ©e dans tout l’Orient, essentiellement traditionnaliste. Il a fallu la rĂ©volution communiste en Chine pour que les vieillards y soient dĂ©nigrĂ©s et mĂ©prisĂ©s. De mĂȘme encore, bien des conseils de prudence donnĂ©s dans la Bible ne dĂ©passent pas le niveau de la MORALE NATURELLE, commune Ă  l’élite des peuples ancien. TantĂŽt, c’est la mise en garde contre les mĂ©chants Quand la sagesse entrera dans ton cƓur, que le savoir fera tes dĂ©lices, la prudence veillera sur toi, l'intelligence te gardera pour t’éloigner de la voie mauvaise de l’homme aux propos pervers. » Prov., II, 10-12. TantĂŽt, ce sont des conseils de prudence Ă  l’égard de la femme Dis Ă  la sagesse Ma soeur ! » donne le nom d’amie Ă  l’intelligence, pour te garder de la femme Ă©trangĂšre, de l’inconnue aux paroles enjoleuses. Par la fenĂȘtre de sa demeure elle s’est penchĂ©e sur la place, pour aviser peut-ĂȘtre parmi de jeunes ingĂ©nus un blanc-bec dĂ©pourvu de sens » Prov., VII, 4-7. Ou bien ce sont des conseils de bon ton, de politesse, de modĂ©ration, etc., qui foisonnent dans les livres sapientiaux, notamment dans les recueils salomoniens Prov., ch. x Ă  XXII et xxv Ă  XXIX. De tous ces textes et d’autres encore, se dĂ©gage une morale des sages d'IsraĂ«l » savoureuse et remarquable, oĂč la prudence a une place prĂ©pondĂ©rante. Mais l’Ancien Testament ne s’en tient pas Ă  cette prudence un peu terre- Ă -terre. Il enseigne une PRUDENCE SURNATURELLE, rĂ©sultant des rapports du fidĂšle Ă  l’égard de Dieu. C’est dans la Loi divine, autant et plus que dans les conseils des sages, qu’il cherche sa ligne de conduite tout le psaume 119-118 est rempli de cette idĂ©e que la Loi du Seigneur est une lumiĂšre pour l’homme pieux. Aussi ne se contente-t-il pas de mĂ©diter cette Loi il prie Dieu de lui accorder la sagesse, Ă  l’exemple de Salomon I Reg. IL, 9 Agis avec ton serviteur selon ton amour, apprends-moi tes volontĂ©s. Je suis ton serviteur, fais-moi comprendre, et je saurai ton tĂ©moignage » Ps. CXIX-CXVIIL, V. 124-125. Car la prudence est un don de Dieu C’est YahvĂ© qui donne la sagesse, de sa bouche sortent le savoir et l’intelligence » Prov. IL, 6. Si remarquables toutefois que fussent ces donnĂ©es, il leur manquait un Ă©lĂ©ment essentiel pour s’élever Ă  la prudence chrĂ©tienne la connaissance exacte de la fin surnaturelle de l’homme Les anciens sages ont Ă  peine entrevu les perspectives rĂ©servĂ©es aux Temps futurs. Avec le Nouveau Testament, tout s’éclaire et se transforme. DĂšs le dĂ©but de la prĂ©dication de JĂ©sus nous savons que le but de la vie n’est pas temporel mais surnaturel nous sommes invitĂ©s Ă  entrer dans le Royaume des Cieux Mt., IV, 17. La prudence ne consiste plus, comme le voulaient les sages grecs, Ă  fuir la pauvretĂ©, les larmes, l’humilitĂ©, le dĂ©tachement, la persĂ©cution, la haine des hommes et la mort. Au contraire, CES MAUX, HORRIBLES A LA NATURE, SONT LA CONDITION DU VRAI BONHEUR Mt. v, 1-12. La sagesse ne consiste pas Ă  sauver sa vie, mais Ă  la perdre 39, afin de vivre Ă©ternellement dans l’autre monde. Il rĂ©sulte de cette transposition une situation morale exceptionnelle et apparemment paradoxale. D'une part les vertus thĂ©ologales nous poussent Ă  l’absolu aucune limite n’est fixĂ©e ni permise Ă  notre foi, Ă  notre espĂ©rance et Ă  notre charitĂ© Si vous avez la foi gros comme un grain de sĂ©nevĂ©, vous direz Ă  cette montagne DĂ©place-toi d’ici Ă  lĂ  » et elle se dĂ©placera, et rien ne vous sera impossible » Mt., XVII, 20-21. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cƓur, de toute ton Ăąme et de tout ton esprit » Mt., XXII, 37. Mais par ailleurs nous devons exercer ces vertus dans les contingences de la vie courante, qui nĂ©cessitent une adaptation aux conditions du moment. C’est ce que le Seigneur nous suggĂšre en nous recommandant d’ĂȘtre Ă  la fois simples comme des colombes et prudents comme des serpents » Mt., x, 16 il faut savoir unir l’ardeur sans limite de la ferveur Ă©vangĂ©lique et la prudence avisĂ©e qu’exige le contact des mĂ©chants. Saint Paul, Ă  son tour, fait les mĂȘmes recommandations FrĂšres, ne vous montrez pas enfants en fait de jugement ; des petits enfants pour la malice, soit, mais pour le jugement, montrez- vous des hommes mĂ»rs » I Cor., XIV, 20. Et il insiste sur la nĂ©cessitĂ© d’éclairer l’esprit dans cette recherche pruderie Que votre charitĂ© croissant toujours de plus en plus s’épanche en cette vraie science et ce tact affinĂ© qui vous donneront de discerner le meilleur » Phil., 1,9-10. Cf. Eph., v, 10, 15-17. Comment rĂ©aliser un tel programme ? La sagesse humaine, laissĂ©e Ă  elle seule, en est incapable Ceux qui vivent selon la chair dĂ©sirent ce qui est chanel ; ceux qui vivent selon l’esprit, ce qui est spirituel. Car le dĂ©sir de la chair, c’est la mort, tandis que le dĂ©sir de l’esprit, c’est la vie et la paix, puisque le dĂ©sir de la chair est ennemi de Dieu il ne se soumet pas Ă  la loi de Dieu, il ne le peut mĂȘme pas » Rom., VII, 5-7. Le secours exceptionnel du Saint - Esprit nous est bien assurĂ© dans les cas dĂ©sespĂ©rĂ©s ; Quand on vous livrera, ne cherchez pas avec inquiĂ©tude comment parler ou que dire ce que vous aurez Ă  dire vous sera donnĂ© sur le moment, car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre PĂšre qui parlera en vous » Mt., x, 19-20. Et saint Paul nous recommande vivement cette docilitĂ© au Saint-Esprit Ne contristez pas l’Esprit Saint de Dieu » Eph., IV, 30. — Cf. Rom, VIII, 14, 26. Mais la priĂšre et l’abandon Ă  la Providence ne suffisent pas. La prudence, mĂȘme chrĂ©tienne, ne se rĂ©duit pas Ă  la dĂ©finition mystique qu’on a proposĂ©e rĂ©cemment une maniĂšre divinement inspirĂ©e d’ĂȘtre docile aux inspirations de Dieu »!°?. Elle suppose Ă  la fois les grĂąces prĂ©venantes de Dieu et la collaboration active du fidĂšle. Et c’est dans cette conciliation de la nature et de la grĂące qu’intervient l’effort des thĂ©ologiens. IT. — ThĂ©ologie de la prudence En vue de l’élaboration d’une thĂ©ologie de la prudence, nous sommes en possession d’une double sorte de matĂ©riaux. D’une part, nous avons l’apport des philosophes, et nous en avons soulignĂ© l’intĂ©rĂȘt. D’autre part, nous possĂ©dons l’enseignement de la RĂ©vĂ©lation, et nous avons vu qu’il ne semble pas toujours s’accorder avec la synthĂšse des philosophes. Comment surmonter les ANTINOMIES APPARENTES ? Ici, comme partout ailleurs en thĂ©ologie, le problĂšme consiste Ă  introduire dans la doctrine rĂ©vĂ©lĂ©e l’armature psychologique et mĂ©taphysique mise au point par les philosophes, sans toutefois diminuer en rien la transcendance de la RĂ©vĂ©lation. Or il ne semble pas que ce travail ait toujours ait Ă©tĂ© fait correctement Ă  lire certains traitĂ©s de thĂ©ologie morale, on a l’impression que leurs auteurs n’ont retenu, de la vertu de prudence, que les donnĂ©es philosophiques, et c’est une lacune regrettable. Si nous devons sacrifier quelques-unes des richesses que nous possĂ©dons, il vaut mieux que ce soit dans le domaine des sciences humaines que dans celui de la RĂ©vĂ©lation. Toutefois, qu’on se rassure mĂȘme quand la sublimitĂ© de la religion chrĂ©tienne exige un Ă©clatement des cadres de la prudence naturelle, cela rĂ©sulte de raisons parfaitement justifiables. Ainsi, il est entendu que notre tendance Ă  jouir de Dieu ne peut souffrir de limites. Ici, pas de juste milieu » la seule mesure d’aimer Dieu, disait S. Augustin, est de l’aimer sans mesure. Mais n'est-ce pas lĂ  une position de principe dĂ©jĂ  acquise en philosophie ? Philosophiquement il est raisonnable et donc prudent de ne pas mettre de bornes Ă  notre dĂ©sir de la fin voulue. Aristote remarquait dĂ©jĂ  qu’on ne souhaite pas conditionnellement la santĂ© ou le bonheur, mais qu’on les veut absolument. C’est la mĂȘme chose dans l’ordre surnaturel, oĂč nous savons que Dieu est notre fin derniĂšre il est normal que nous ne mettions pas de bornes Ă  notre dĂ©sir de lui. Le caractĂšre absolu des vertus thĂ©ologales, que nous avons reconnu plus haut, ne fait donc nulle difficultĂ© au point de vue prudentiel. Jamais nos vertus thĂ©ologales ne seront assez dĂ©veloppĂ©es. Ici nous sommes dans l’ordre de la fin, non des moyens. Il est vrai que mĂȘme dans l’ordre des moyens, nous constatons chez la prudence chrĂ©tienne, telle, du moins, que les thomistes la conçoivent, un nouvel Ă©clatement des cadres de la prudence philosophique cette derniĂšre est si radicalement surnaturalisĂ©e par la grĂące qu’ELLE CHANGE D'ESSENCE EN DEVENANT SURNATURELLE elle n’est plus une vertu acquise, mais une vertu infuse. Peut-on dire qu’il y a encore des rapports intrinsĂšques entre l’une et l’autre ? La rĂ©ponse Ă  cette question exige quelques prĂ©cisions. Il faut d’abord maintenir la transcendance de la prudence infuse sur la prudence naturelle. Nous avons briĂšvement indiquĂ© plus haut ch. xv les raisons qui nous semblaient imposer l’existence de vertus morales infuses dans l’ñme chrĂ©tienne. La prudence Ă©tant, Ă  un certain point de vue, la plus importante des vertus morales, mĂ©rite plus que toute autre d’ĂȘtre infuse. Elle est une rĂ©alitĂ© ontologique qui dĂ©coule nĂ©cessairement de la charitĂ© et dont l’absence entraĂźnerait immĂ©diatement l’anĂ©antissement de la charitĂ©. En effet, dĂšs qu’une Ăąme est justifiĂ©e par la grĂące habituelle et l’amour de Dieu, elle est nĂ©cessairement orientĂ©e efficacement vers Dieu, et donc radicalement dĂ©cidĂ©e Ă  prendre les moyens nĂ©cessaires pour atteindre la fin derniĂšre. Si elle n’était pas dans cette disposition, elle n’aurait pas la charitĂ©, elle serait donc en Ă©tat de pĂ©chĂ© mortel. Autrement dit, elle ne peut possĂ©der la charitĂ© sans avoir la vertu de prudence, au moins Ă  un degrĂ© Ă©lĂ©mentaire une vertu de prudence surnaturelle, orientĂ©e vers la fin surnaturelle, alimentĂ©e par la grĂące, et suffisamment implantĂ©e en elle pour qu’elle constitue cette rĂ©alitĂ© ontologique qu’on appelle vertu infuse. Si sublime que soit cette rĂ©alitĂ©, ELLE FONCTIONNE CEPENDANT D’UNE MANIÈRE ANALOGUE A LA VERTU DE PRUDENCE ACQUISE. Elle a besoin des mĂȘmes ressources et met en jeu les mĂȘmes facultĂ©s. Seulement tout cela fonctionne au plan surnaturel. L’habitus des premiers principes, ou sens moral — que les anciens appelaient syndĂ©rĂšse, — est complĂ©tĂ© et surĂ©levĂ©, chez le chrĂ©tien prudent, par les lumiĂšres surnaturelles reçues de la foi. Par lĂ -mĂȘme, sa vertu de prudence s’alimente aux mĂȘmes sources que la sagesse contemplative. Si au lieu d’empoisonner son esprit au contact frĂ©quent des choses du monde, on ne le nourrit pas soigneusement par la lecture et la mĂ©ditation des choses de Dieu, l’étude d’une saine doctrine, la familiaritĂ© avec les Ă©crits des auteurs anciens ou modernes, qui ont brillĂ© par la fermetĂ© de leur foi et la sĂ»retĂ© de leur piĂ©tĂ©, comment pourrait-on apprĂ©cier le vrai et Le bien ? »1°3 Sa mĂ©moire ne se souvient pas seulement des leçons ordinaires du passĂ©, mais aussi et surtout des Gestes de Dieu » dans l’hisoire du monde et de son action dans l’histoire des Ăąmes. Sa vie affective n’est pas seulement rectifiĂ©e par les passions raisonnables, mais par la charitĂ© elle-mĂȘme. Sa docilitĂ© se manifeste non seulement Ă  l’égard des sages, mais surtout Ă  l’égard de l’enseignement de l’Eglise et des saints, et souvent aussi Ă  l’égard des inspirations du Saint-Esprit dans le don de conseil. Sa prĂ©voyance porte trĂšs loin, jusque dans l’éternitĂ©. Sa prĂ©sence d’esprit est vivifiĂ©e par l’assurance du secours du Saint-Esprit. Ses connaissances thĂ©oriques s’alimentent dans l’étude de la Bible et de la thĂ©ologie. Sa perspicacitĂ© s’inspire de la supĂ©rioritĂ© de la Loi Nouvelle, toute de charitĂ© et de libertĂ©, en mĂȘme temps que d’une vue surnaturelle des personnes et des rĂ©alitĂ©s contingentes. Tous ces Ă©lĂ©ments existent au moins Ă  l’état embryonnaire, c’est-Ă -dire Ă  l’état de dispositions fondamentales, en toute Ăąme qui se convertit. Certes, il peut se faire que dans les premiers temps de la conversion, ils rencontrent de la rĂ©sistance par suite des mauvaises habitudes passĂ©es. Mais Ă  mesure qu'ils se perfectionnent, ils rayonnent dans la conduite morale et inspirent la prudence acquise qui doit gouverner toutes les actions. ElevĂ©e Ă  ces sommets, LA PRUDENCE CHRÉTIENNE NE RESSEMBLE GUÈRE A LA PRUDENCE NATURELLE DES PHILOSOPHES. Le paĂŻen ou l’homme mondain s’inquiĂštent de ce qu’ils mangeront et boiront le chrĂ©tien sait que son PĂšre cĂ©leste ne l’abandonnera pas. L’homme du monde juge tout d’aprĂšs les avantages terrestres ; il juge selon la chair », comme dit S. Paul le chrĂ©tien juge selon l’esprit et voit tout au regard de l’éternitĂ©. Etant donnĂ© la fin derniĂšre qu’il envisage, il choisit les moyens proposĂ©s dans le Sermon sur la Montagne et dans tout l'Evangile moyens qui sont folie pour le monde, mais sagesse aux yeux de Dieu. Il affronte sans regret le martyre et la mort et il pratique les vertus les plus hĂ©roĂŻques pour qu’il soit avec Dieu pour toujours. En un mot, sa vertu de prudence, inspirĂ©e par les vertus thĂ©ologales et les dons du Saint-Esprit, se joue des difficultĂ©s et se moque des calculs humains. Et CEPENDANT ELLE CONSERVE EN RÉALITÉ LA STRUCTURE ORGANIQUE DE LA PRUDENCE NATURELLE. MĂȘme Ă  ce niveau transcendant elle reste toujours la prudence. Le chrĂ©tien prudent continue de juger toutes ses dĂ©cisions et d’imprĂ©gner de raison toutes ses actions. Il dĂ©sire ardemment possĂ©der toutes les vertus morales, mais il en rĂšgle l’exercice selon les exigences de son devoir d’état et la volontĂ© de Dieu. Par exemple, lorsqu'il se trouve en face de l’appel du hĂ©ros ou des sublimes folies des saints, il apprĂ©cie leur convenance d’aprĂšs ses possibilitĂ©s et se garde de les imiter Ă  l’aveuglette. En prĂ©sence des Ă©coles de spiritualitĂ© les plus sĂ»res, il choisit celle qui convient le mieux Ă  sa vocation propre. Devant un conseil autorisĂ©, il sait prendre ses responsabilitĂ©s et se dĂ©cide librement. MĂȘme dans la pratique de l’obĂ©issance la plus authentique et la plus sainte, il fait acte de jugement critique au sens noble de ce mot c’est la vertu de synĂšsis des Grecs et n’obĂ©it pas aveuglĂ©ment!°, Ou s’il obĂ©it aveuglĂ©ment en un certain sens, c’est parce qu’il a un motif supĂ©rieur d’agir de la sorte, et alors son obĂ©issance prĂ©tendue aveugle est en rĂ©alitĂ© Ă©clairĂ©e. Elle sera peut-ĂȘtre hĂ©roĂŻque, mais il aura un motif raisonnable d’agir hĂ©roĂŻquement. MĂȘme dans la pratique de la charitĂ© envers le prochain il n’agit pas inconsidĂ©rĂ©ment. Il n’hĂ©site pas Ă  paraĂźtre sĂ©vĂšre s’il en rĂ©sulte un plus grand bien Si le motif de prudence me faisait refuser tel service immĂ©diat Ă  l’un de mes frĂšres, ce refus devrait m’apparaĂźtre comme la condition d’une charitĂ© mieux entendue et Ă  plus grande portĂ©e » 1°, Enfin la prudence se manifeste mĂȘme dans les rapports avec Dieu, non pas certes pour refrĂ©ner l’ardeur des vertus thĂ©ologales, mais pour en contrĂŽler l’expression. Il est si difficile, par exemple, de tenir un juste milieu entre l’excĂšs d’esprit critique et la crĂ©dulitĂ©, entre la confiance absolue et la prĂ©somption, entre la sĂ©cheresse de cƓur et les dĂ©bordements de la sensibilitĂ© ! Ainsi la prudence chrĂ©tienne a un CHAMP D'ACTION ILLIMITÉ. Elle s’exerce aussi bien dans les hauteurs les plus sublimes que dans les actions les plus modestes. Son domaine est aussi vaste que la prudence du sage, et englobe tous les secteurs de la vie, qu’elle soit individuelle, familiale, sociale, politique, etc. Ou plutĂŽt ce domaine est encore plus vaste, puisqu’il s’étend aux rĂ©alitĂ©s strictement surnaturelles. Et ceci nous aide Ă  comprendre comment la prudence est LA REINE DES VERTUS. Elle l’est Ă  un autre titre que la charitĂ©. La charitĂ© est la reine des vertus, comme nous Pavons vu, en ce sens qu’elle les inspire toutes et les surnaturalise ; c’est elle qui les conduit Ă  la fin derniĂšre. La prudence est aussi leur reine, mais dans l’ordre des moyens, car elle surveille leurs manifestations et concilie leur collaboration. Moyennant cette division du travail », il ne doit jamais y avoir de conflit de principe entre ces deux vertus. Chapitre XXVI LA CONSCIENCE Saint Thomas ne parle de la conscience que briĂšvement et en termes gĂ©nĂ©raux l%, DĂšs qu’il envisage la maniĂšre dont l’homme moral doit se conduire, il le fait en traitant de la prudence. Pour les modernes, c’est tout le contraire. Les philosophes ignorent le terme de prudence, et les thĂ©ologiens n’en parlent guĂšre. Par contre, les uns et les autres s’arrĂȘtent longuement Ă  l’étude de la conscience. S’il ne s’agissait que d’une substitution de vocables, cela n’aurait pas grande importance il suffirait de bien dĂ©finir les mots employĂ©s et de s’en tenir au sens acceptĂ©. Malheureusement tel n’est pas le cas. La maniĂšre dont on parle de la conscience depuis le XVII* siĂšcle Ă©voque un climat qui n’est plus celui des thĂ©ologiens du Moyen Age traitant de la prudence. LA PRUDENCE est une vertu stable, orientĂ©e vers le bien, qui perfectionne celui qui la possĂšde et qui est le principe de tous ses actes libres. Il faut du temps et de la peine pour l’acquĂ©rir, mais une fois qu’on la possĂšde on est comme naturellement portĂ© au bien, et on choisit spontanĂ©ment la solution la meilleure proposĂ©e par la conscience. LA CONSCIENCE, Ă  proprement parler et dans son sens primitif, n’est pas un pouvoir, mais un acte. Elle est le jugement par lequel l’esprit apprĂ©cie la valeur morale des actions. Elle est l’interprĂšte par lequel les lois universelles se manifestent aux individus. Celles-ci sont des lois objectives ; la conscience est une loi subjective. Le problĂšme agitĂ© depuis trois siĂšcles par les moralistes dans les SystĂšmes de morale » est de faciliter la rectitude de cet acte sans qu’il soit nĂ©cessairement subordonnĂ© Ă  la vertu de prudence. A la rigueur, dans les cas douteux, il suffirait d'appliquer un principe rĂ©flexe » pour se tirer d'affaire. Nous ne pouvons entrer ici dans toutes les discussions soulevĂ©es Ă  ce sujet d’ailleurs les manuels renseignent suffisamment sur l’essentiel. Mais nous voudrions au moins montrer l’importance de la prudence par rapport Ă  la conscience, et suggĂ©rer une apprĂ©ciation des systĂšmes de morale ». I. — Prudence et conscience La remise en valeur de la prudence par rapport Ă  la conscience semble un fait acquis chez les meilleurs thĂ©ologiens moralistes. Les travaux des thomistes de la premiĂšre moitiĂ© de ce siĂšcle on puissamment contribuĂ© Ă  cette revalorisation. Pour la plupart des thomistes, la conscience et la prudence ont la MÊME MATIÈRE, mais elles se distinguent dans leur procĂ©dĂ© de raisonnement et dans leur jugement. La conscience se base sur les lois gĂ©nĂ©rales et la prudence sur la fin envisagĂ©e. La conscience apprĂ©cie la valeur d’un acte d’aprĂšs les principes thĂ©oriques et aboutit Ă  un jugement d’ordre surtout thĂ©orique ; la prudence l’apprĂ©cie en fonction de la rĂ©alitĂ© contingente et formule un jugement d’ordre pratique. C’est pourquoi ces thĂ©ologiens estiment que, dans le dĂ©roulement de la vie morale, c’est la prudence qui doit dominer et tirer dans chaque cas particuler la conclusion inspirĂ©e par la conscience. Pratiquement, disent-ils, la conscience s’insĂšre dans l’activitĂ© de la vertu de prudence. Par suite, l’éducation morale doit porter avant tout, selon eux, sur la formation de la vertu de prudence. Il faut d’abord inculquer les Ă©lĂ©ments essentiels de cette vertu docilitĂ© au rĂ©el et aux conseils des hommes sages, dĂ©gagement des passions, utilisation de l’expĂ©rience personnelle, maĂźtrise de soi, etc. Puis, connaissance de plus en plus intime de la fin derniĂšre et des moyens qui y conduisent. Enfin recours Ă  la priĂšre et aux lumiĂšres du Saint-Esprit. Mais il faut mener de pair la formation de la conscience, l’assimilation subjective des lois gĂ©nĂ©rales, afin de pouvoir appliquer facilement ces lois aux cas particuliers. Ainsi formĂ©, le chrĂ©tien prudent qui doit prendre une dĂ©cision pratique agira en fonction de tout son acquis prudentiel et choisira habituellement avec promptitude les actes conformes au devoir. Une fois admise cette prĂ©pondĂ©rance de la vertu de prudence, faut-il biffer d’un trait le chapitre sur la conscience ? Il ne semble pas. Ce traitĂ© est le rĂ©sultat d’une telle somme de controverses qui ont eu lieu depuis trois siĂšcles qu’on ne peut l’ignorer. Mais il convient alors de ne pas se perdre dans ce maquis, et d’en retenir une ligne de conduite claire et ferme. Il. — Les systĂšmes de morale » 1. — ApprĂ©ciation gĂ©nĂ©rale de ces systĂšmes. Les discussions relatives aux systĂšmes de morale prĂ©sentent un intĂ©rĂȘt historique passionnant il suffit de lire le long article du P. Deman dans le Dictionnaire de ThĂ©ologie Catholique pour s’en rendre compte. Mais les Ă©tudiants qui abordent pour la premiĂšre fois ces questions dans les manuels, sous une forme austĂšre et schĂ©matique, sont plutĂŽt rebutĂ©s. C’est Ă  peine s’ils en retiennent quelque principe rĂ©flexe qui les aidera Ă  rĂ©soudre les cas de conscience embarrassants. Quant au fond du problĂšme, il est Ă  craindre qu’ils s’en dĂ©sintĂ©ressent vite, une fois qu’ils sont lancĂ©s dans le ministĂšre. A ce moment - lĂ , chacun rĂ©agit selon son tempĂ©rament sans se poser beaucoup de questions, quitte Ă  passer du rigorisme au laxisme selon l’humeur et les circonstances. Cette indiffĂ©rence tient sans doute Ă  la multiplicitĂ© des systĂšmes et Ă  la subtilitĂ© de certaines discussions. Elle tient peut-ĂȘtre, fĂ»t-ce inconsciemment, Ă  la coupure trop nette entre ces systĂšmes et la vertu de prudence. La prudence est une vertu vitale, qui fait appel aux ressources profondes de l’ñme et de la grĂące. Or on s’intĂ©resse Ă  la vie, mais beaucoup moins Ă  des thĂ©ories abstraites et durcies dans leur formulation. Enfin LE POINT DE VUE MÊME oĂč se placent ces systĂšmes est TRÈS DISCUTABLE — a Ils mettent constamment en balance la loi et la libertĂ©, se demandant quelles conditions sont nĂ©cessaires ou suffisantes pour que la libertĂ© puisse se soustraire Ă  la loi. Or, ainsi que nous l’avons montrĂ© ch. XVI, cette perspective est profondĂ©ment erronĂ©e. Loin de s’opposer, la loi et la libertĂ© se con cilient merveilleusement, et c’est dans la mesure mĂȘme oĂč la libertĂ© va dans le sens de la loi qu’elle s’épanouit et se perfectionne. DĂšs qu’on admet cette conception de la libertĂ©, Ă  la suite mĂȘme de s. Thomas et de bons auteurs modernes, une quantitĂ© de discussions agitĂ©es dans les systĂšmes de morale » se rĂ©vĂšlent dĂ©nuĂ©es de tout fondement, — b À la base mĂȘme de ces systĂšmes on dĂ©couvre une prĂ©occupation qui a entachĂ© de nombreux exposĂ©s de morale depuis trois siĂšcles la recherche du nĂ©gatif plutĂŽt que du positif, la dĂ©limitation des conditions nĂ©cessaires pour Ă©viter le pĂ©chĂ© plutĂŽt que le souci de progresser dans la perfection. Et cette prĂ©occupation, lĂ©gitimĂ©e par la nĂ©cessitĂ© de doser les responsabilitĂ©s au confessionnal et de rĂ©pondre aux questions des pĂ©nitents mĂ©diocres, devient nĂ©faste quand elle se transforme en principe de spiritualitĂ©. Ces raisons concourent Ă  expliquer un changement d’orientation chez les moralistes contemporains. On sent chez eux un effort pour Ă©panouir l’ñme dans la charitĂ© et la sainte libertĂ© des enfants de Dieu. Toutes les difficultĂ©s ne sont pas rĂ©solues, certes. Les discussions continuent parfois avec vigueur. Mais chacun s’efforce visiblement de surmonter l’étroitesse de vues de certains moralistes et de revenir Ă  une conception plus proche de celle des grands thĂ©ologiens du Moyen Age. 2. — Principales tendances contemporaines. Comment se prĂ©sente aujourd’hui la question ? Un point sur lequel tout le monde est d’accord, c’est qu’il faut REVALORISER LA VERTU DE CHARITÉ. Plus personne ne veut d’une morale au rabais, oĂč l’on se contenterait d’éviter le pĂ©chĂ©, et oĂč l’on calculerait minutieusement le point prĂ©cis au-delĂ  duquel on tomberait dans le pĂ©chĂ© mortel. On veut un christianisme large, gĂ©nĂ©reux, Ă©panouissant, inspirĂ© par l’amour de Dieu et du prochain, et non par la peur de l’enfer !°?. Ceci Ă©tant admis, QUELLE SERA LA RÈGLE D'ACTION LA PLUS SÛRE ? Quel systĂšme mĂ©ritera le plus notre faveur ? A pemiĂšre vue, on serait tentĂ© de dire que c’est la voie indiquĂ©e par les tutioristes une Ăąme gĂ©nĂ©reuse et ardente choisit toujours la solution la plus sĂ»re en faveur de la loi. Et telle a Ă©tĂ© l’opinion soutenue par de nombreux thĂ©ologiens, condamnĂ©e en ce qu’elle avait d’excessif, mais permise dans la mesure oĂč elle Ă©tait modĂ©rĂ©e. Toutefois le principe mĂȘme semble discutable. Comme le dit un thomiste contemporain Il n’est pas vrai que le parti le plus sĂ»r, au sens ainsi dĂ©fini, soit nĂ©cessairement le meilleur »!%, Et il donne en plaisantant l’exemple de celui qui, pour ne pas manquer Ă  la loi du jeĂ»ne, jeĂ»nerait tous les jours. Le simple bon sens suffit Ă  rejeter cete position extrĂȘme Ă  cĂŽtĂ© de la lettre de la loi gĂ©nĂ©rale, il y a une quantitĂ© de circonstances particuliĂšres qui imposent une ligne de conduite variable selon les cas et les personnes, et parfaitement inspirĂ©e par une charitĂ© authentique et sanctifiante. En cela les thomistes sont d’accord avec les probabilistes qui mettent en relief la vertu de charitĂ© et qui enseignent que, dĂšs qu’une Ăąme est animĂ©e par l’amour de Dieu et excusĂ©e par des motifs raisonnables, elle peut se considĂ©rer comme exemptĂ©e d’une loi positive qui l’empĂȘche d’atteindre un plus grand bien. C’est ainsi que le P. Gilleman Ă©crit Quand j’ai dans le mĂȘme ordre objectif une raison solide, qui m'empĂȘche de reconnaĂźtre une certitude objective Ă  telle loi, dans tel cas concret, j’échappe Ă  la dĂ©termination de cette loi objective pour obĂ©ir plus intimement Ă  l’obligation intĂ©rieure et personnelle de mon amour-charitĂ©, car le domaine objectif de la loi n’est pas la seule ni la principale source d obligation. Il n’est source que des spĂ©cifications de l’obligation. Celle-ci vient de l’amour, nous l’avons vu. Le probabilisme ne libĂšre pas de l'obligation ; il remplace telle particularitĂ© d’obligation, insuffisamment spĂ©cifiĂ©e pour mon cas dans l’objectif, par une obligation plus haute, plus intime et plus universelle que je spĂ©cifie moi-mĂȘme dans le concret en prĂ©sumant raisonnablement que le lĂ©gislateur le veut ainsi. La conscience joue plus parfaitement l’équilibre entre l’objectif loi et le subjectif conscience au profit du second ; il sauvegarde les exigences de la personne spirituelle devant celles-de la loi objective » 1°?, Et le P. Carpentier conclut que le probabilisme inspirĂ© par l’amour de Dieu est apte Ă  assurer l’effort paisible et confiant du spirituel vers la perfection ». Il suffit pour cela de l’appliquer avec une conscience vivante, c’est-Ă -d. charitable » 160, 3. — Mise au point. Nous ne voudrions pas chicaner sur les mots. Mais il nous semble que le probabilisme ainsi compris ne ressemble guĂšre au probabilisme traditionnel. Autant nous sommes d’accord sur le fond de la doctrine, autant nous trouvons discutable la prĂ©tention du probabilisme d’ĂȘtre une Ă©cole de perfection. Qu'est-ce, en effet, que le probabilisme ? C’est, dit Tanquerey, le systĂšme de morale selon lequel, Ă  chaque fois qu’il y a doute sur la licĂ©itĂ© d’une action, il est permis de suivre une opinion probable, mĂȘme si l’opinion contraire est plus probable »{6f, Peut-on dire que ce systĂšme, ainsi dĂ©fini, est conciliable avec une vie de charitĂ© active et soucieuse de perfection ? Il ne semble pas. Prenons un cas concret. C’est aujourd’hui jeĂ»ne d’Eglise, donc obligatoire sous peine de pĂ©chĂ© mortel. Avec ma santĂ© dĂ©ficiente, je ne suis pas sĂ»r de remplir comme il faut mon devoir d’état si je jeĂ»ne. Je crois sincĂšrement plus probable qu’en observant la loi je me tirerai d’affaire sans nuire Ă  ma santĂ© ni aux intĂ©rĂȘts du prochain ; mais enfin cela n’est pas certain le doute persĂ©vĂšre. Si j’agis en probabiliste proprement dit, j’applique le principe du systĂšme une loi douteuse n’oblige pas », et je me considĂšre comme exemptĂ© de l’observation de la loi. Si je me conduis par amour de Dieu et dĂ©sir de la perfection, je me dĂ©cide pour d’autres motifs je regarde de quel cĂŽtĂ© j’ai le plus de chance de procurer la gloire de Dieu et mon progrĂšs spirituel. Supposons que, cette fois encore, je conclue que c’est en m’abstenant du jeĂ»ne que je rĂ©aliserai le mieux cette double fin ai-je vraiment agi en probabiliste ? Non, car je n’ai pas du tout motivĂ© ma dispense par l’axiome du probabilisme ou par son Ă©quivalent, proposĂ© par Dom Lottin une obligation objective douteuse n’entraĂźne aucune obligation subjective »162, mais bien par la considĂ©ration d’une double loi supĂ©rieure Ă  la loi positive du jeĂ»ne la loi naturelle et la loi divine, qui m’obligent Ă  tendre Ă  la perfection, et me font un devoir d’aimer Dieu de tout mon cƓur 155, IT. Conclusions thĂ©oriques et pratiques Sans vouloir discuter Ă  fond le probabilisme, bornons-nous Ă  rappeler quelques conclusions. 1° À prendre les systĂšmes Ă  la lettre, c’est le probabiliorisme ou tutiorisme mitigĂ©, qui semble le plus conforme Ă  l’esprit de l’évangile en cas de doute, le probabilioriste prĂ©fĂšre renoncer Ă  sa libertĂ© et s’incliner devant la loi, parce qu’il fait de ce sacrifice un hommage Ă  Dieu. 2° Le probabiliste, qui nĂ©glige une opinion plus probable pour s’en tenir Ă  une opinion moins probable, agit contre les lois de la psychologie. Il est NORMAL QUE LA VOLONTÉ PENCHE DU CÔTÉ OÙ LES MOTIFS SONT LES PLUS DÉTERMINANTS. VolontĂ© et raison vont naturellement ensemble la volontĂ© est le poids de l'intelligence », disait le P. Sertillanges. Et nous avons rappelĂ© ch. XI que la libertĂ© n’est nullement diminuĂ©e par cet accord de la raison et de la volontĂ©. Il est donc normal qu’en face de deux opinions diversement probables l’homme prudent choisisse celle qui est plus probable — que ce soit en faveur de la loi positive, ou en faveur d’une loi supĂ©rieure qui, en le dispensant lĂ©gitimement de cette loi positive, lui demande un effort plus mĂ©ritoire, mais pas nĂ©cessairement plus pĂ©nible. 3° De mĂȘme il est psychologiquement faux qu’en morale pratique une opinion moins probable continue de garder sa valeur en face d’une opinion plus probable. DĂšs que, en prĂ©sence d’une alternative, j’ai conclu avec une sĂ©rieuse probabilitĂ© que mon devoir est d’agir, cette conclusion s’impose Ă  moi et Ă©clipse les objections entrevues. Je dois aller de l’avant sans aucune inquiĂ©tude, ou alors mes scrupules relĂšvent d’un Ă©tat pathologique. Si, dans le courant de l’action, de nouveaux facteurs interviennent, la prudence pourra conseiller de remettre tout en question, maĂŻs ce sera alors un nouveau problĂšme qui aura surgi. 4° Il semble aussi qu’on peut reprocher au probabilisme un manque de logique. Il renonce Ă  appliquer l’axiome Lex dubia lex nulla » dans trois cas importants quand il s’agit de moyens nĂ©cessaires au salut, quand la validitĂ© des sacrements est en cause, et lorsque le prochain risque un grave danger corporel ou spirituel. Il est plus logique d’agir toujours suivant les mĂȘmes principes, aussi bien en matiĂšre de licĂ©itĂ© qu’en matiĂšre de validitĂ©. C’est ce que fait le probabiliorisme. 5° Il est vrai que les trois cas mis hors de cause par le probabilisme sont d’une exceptionnelle importance. Mais pour une Ăąme fervente, rien n’est Ă  nĂ©gliger dans la vie spirituelle, toutes proportions gardĂ©es, bien entendu. D'autant plus que si par principe on nĂ©glige les occasions courantes, c’est Ă  peu prĂšs toute la vie qui sera mĂ©diocre. Car la plupart du temps nous agissons pour des motifs simplement probables la vie ne se prĂȘte pas aux Ă©vidences mathĂ©matiques. Dois-je me lever Ă  6 heures ou Ă  5 heures et demie ? Dois-je me mortifier Ă  table de telle maniĂšre ou de telle autre ? Ou mĂȘme ne pas me mortifier du tout ? Dois-je prier chaque matin dix minutes ou un quart d’heure ? Etc. Du matin au soir, nous sommes ainsi entraĂźnĂ©s dans une suite de circonstances oĂč notre devoir ne nous apparaĂźt presque jamais avec une pleine clartĂ©. Si j’applique l’axiome du probabilisme Ă  chaque cas douteux, et que je ne tienne pas compte de l’opinion plus probable, j’aboutirai vraisemblablement Ă  un Ă©chec. Par exemple si par tempĂ©rament je rejette l’opinion plus probable qui me conseille de mĂ©nager ma santĂ© dĂ©licate, je tomberai malade. Si, au contraire, je nĂ©glige l’appel Ă  la gĂ©nĂ©rositĂ© et me contente d’un vie moins fervente, je deviendrai tiĂšde. Dans un cas comme dans l’autre je serai sans doute en rĂšgle avec toutes les lois positives, et j’éviterai le pĂ©chĂ© mortel avec un peu de bonne volontĂ©. Mais serai-je sur le chemin de la perfection ? C’est pourquoi nous prĂ©fĂ©rons dire avec Dom Lottin Une conclusion s’impose Ă  la fin de ce chapitre c’est que LE PROBABILISME N’EST PAS UNE ÉCOLE DE PERFECTION » 64. 6° Il va sans dire — et tous les manuels insistent sur ce point — que le confesseur probabilioriste n’a pas le droit d’imposer son systĂšme » aux pĂ©nitents qui le rejettent. Comme le dit encore Dom Lottin Malheureusement il existe des chrĂ©tiens mĂ©diocres qui ont dĂ©jĂ  bien de la peine Ă  observer les lois certaines. Va-t-on leur imposer d’observer les incertaines ? » Ibid., p. 103. 7° Du reste, d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les principes rĂ©flexes ne sont pas Ă  bannir, mais il faut les employer Ă  bon escient. Ils sont d’origine juridique. À ce titre ils ont force de loi. L’Eglise elle-mĂȘme les invoque dans ce domaine. On peut donc les employer tels quels dans l'interprĂ©tation des lois en matiĂšre purement juridique. Quant Ă  en faire des principes universels de moralitĂ©, ce serait une transposition discutable. En morale, c’est la prudence et la conscience bien Ă©clairĂ©e qui doivent avoir le dernier mot et juger de la convenance de tous les motifs, fĂ»t-ce des motifs rĂ©flexes 165, Ceci est d’autant plus raisonnable que, en morale chrĂ©tienne, l’homme prudent doit se rappeler quelle est la fin de la loi. On sait que la fin de la loi ne tombe pas sous le prĂ©cepte peu importe au lĂ©gislateur le motif de mon assistance Ă  la messe du dimanche ; il suffit que j’y assiste pour que je sois en rĂšgle Ă  ses yeux. Mais Dieu voit plus loin que la matĂ©rialitĂ© des actes. Si j’aime vraiment Dieu, et que je me croie dispensĂ© d’assister Ă  la messe ce dimanche, je m'efforcerai de remplacer cette participation liturgique par d’autres priĂšres ; non point par un motif de scrupule ou par erreur de jugement, mais pour entrer pleinement dans l’esprit du lĂ©gislateur, qui veut avant tout la sanctification des Ăąmes. En un mot, la conduite normale du chrĂ©tien prudent consiste Ă  tendre Ă  la perfection, et il s’en fait un devoir de conscience. Par suite, on objectera sans doute que c’est multiplier Ă  loisir les occasions de pĂ©chĂ©, beaucoup plus que dans l’optique du probabilisme. On sait que la position thomiste en matiĂšre de conscience entraĂźne Ă  considĂ©rer toute imperfection morale consentie comme un pĂ©chĂ©. Nous rĂ©pondons que c’est exact, mais que ce n’est pas une raison pour rejeter la vĂ©ritĂ©. Si, par suite de faux principes, nous commettons les pĂ©chĂ©s de bonne foi, peut-on dire que nous y gagnerons ? La vraie solution consiste Ă  connaĂźtre les exigences du christianisme et Ă  les mettre en pratique avec la grĂące de Dieu qui ne nous manquera pas. Chapitre XX VII LE PECHE Depuis le XVI siĂšcle, la morale des manuels a souvent Ă©tĂ© une morale des pĂ©chĂ©s. DestinĂ©s avant tout Ă  faciliter le travail des confesseurs, ces ouvrages mettaient peu l’accent sur les Ă©lĂ©ments positifs de la morale chrĂ©tienne et en retenaient surtout le cĂŽtĂ© nĂ©gatif, les interdictions Ă©manant de la loi positive, et les conditions minimales exigĂ©es pour Ă©viter le pĂ©chĂ© mortel. Notre Ă©poque rĂ©agit contre une prĂ©sentation aussi incomplĂšte de la morale. Mais elle passe parfois d’un excĂšs Ă  l’autre elle ne veut plus entendre parler de pĂ©chĂ©, ou le moins possible. Elle prĂ©tend qu’il y a peu de pĂ©cheurs, mais surtout des malades. Parfois elle va jusqu’à glorifier le pĂ©chĂ©. On comprend que Pie XII ait dit Le plus grand pĂ©chĂ© actuel, c’est que les hommes ont commencĂ© Ă  perdre le sens du pĂ©chĂ© »!66. PĂ©riodiquement les revues thĂ©ologiques rĂ©futent des opinions erronĂ©es sur la quasi-impossibilitĂ© de commettre un pĂ©chĂ© mortel et sur le peu de gravitĂ© du pĂ©chĂ©, quel qu’il soit. A leur suite, nous nous bornerons Ă  insister sur trois points la possibilitĂ© du pĂ©chĂ©, la gravitĂ© du pĂ©chĂ© mortel, et la nature du pĂ©chĂ© vĂ©niel. I. — PossibilitĂ© du pĂ©chĂ© La possibilitĂ© du pĂ©chĂ© rĂ©sulte de la diffĂ©rence entre le jugement de conscience et le jugement prudentiel$7. La conscience, avons-nous dit, porte un jugement sur la valeur morale des actions. Se rĂ©fĂ©rant aux lois qui conduisent Ă  la fin derniĂšre de l’homme, elle conclut que tel acte est thĂ©oriquement bon ou mauvais dans telle circonstance donnĂ©e. Le jugement prudentiel ne se borne pas Ă  peser la valeur thĂ©orique d’un acte il dĂ©cide de son opportunitĂ© en fonction du but que l’on veut atteindre actuellement. Si ce but coĂŻncide avec la fin derniĂšre, le jugement prudentiel rejoindra le jugement de conscience et le choix dĂ©finitif sera bon. Mais si l’on Ă©carte le souvenir de la destinĂ©e future pour se concentrer sur le plaisir ou le profit immĂ©diat, le jugement pratique risquera de se dissocier du jugement thĂ©orique. On dira sans doute, si je voulais me conformer Ă  l’ordre universel voulu par Dieu et indiquĂ© par ma conscience, je devrais m’abstenir de cette action. Mais dans le cas prĂ©sent, le plaisir me fascine tellement que je ne puis croire qu’il me soit formellement interdit il doit y avoir pour moi, maintenant, une exception Ă  la loi gĂ©nĂ©rale ; n’examinons pas la chose de trop prĂšs, et suivons les tendances de la nature. Quelquefois mĂȘme la sĂ©paration des deux jugements sera encore plus tranchĂ©e. On ne se contentera pas de fuir la pleine lumiĂšre, mais on se dĂ©cidera froidement dans le sens du mal. Le plaisir ou l’intĂ©rĂȘt du moment prĂ©sent auront complĂštement Ă©clipsĂ© l’attrait du bonheur Ă©ternel et les injonctions de la loi morale on prĂ©fĂ©rera une satisfaction d’un instant Ă  toutes les promesses concernant l’avenir. Mais cette attitude doit ĂȘtre rare. La plupart du temps le pĂ©cheur ne veut pas le pĂ©chĂ© comme tel il veut simplement jouir d’un bien, mais ce bien est dĂ©rĂ©glĂ©, et au fond il en est bien fĂąchĂ©. Ici prĂ©cisĂ©ment beaucoup de nos contemporains nous arrĂȘtent. Ils trouvent des excuses Ă  ce choix dĂ©rĂ©glĂ©, soit dans le manque de libertĂ© qui rĂ©sulte de nos passions, conscientes ou inconscientes, soit dans la difficultĂ© que nous avons de bien connaĂźtre Dieu. Nous avons mis au point la premiĂšre de ces difficultĂ©s, et montrĂ© que les rĂ©centes dĂ©couvertes de la psychologie ne nous empĂȘchent nullement de croire Ă  la libertĂ© ch. XI. Quant Ă  la CONSCIENCE DE L’OFFENSE FAITE A DIEU, on prĂ©tend que pour commettre un pĂ©chĂ© mortel, il faut savoir, au moment mĂȘme de l’acte, qu’on offense Dieu gravement. Or, ajoute-t-on justement, beaucoup de gens connaissent Dieu trĂšs mal. Ils sont donc incapables de pĂ©cher formellement. Cette excuse est sans valeur. C’est une erreur de croire que pour faire un pĂ©chĂ© mortel il faut nĂ©cessairement avoir une conscience claire que l’on se rĂ©volte contre Dieu. Sans doute le pĂ©chĂ© mortel se dĂ©finit par rĂ©fĂ©rence Ă  la fin derniĂšre est mortel ce qui nous Ă©carte de Dieu, est vĂ©niel ce qui ralentit seulement notre marche vers lui. Par suite, un homme qui serait dans une ignorance invincible de Dieu, et qui ne le connaĂŻĂźtrait pas mĂȘme implicitement ni confusĂ©ment, ne serait pas encore arrivĂ© au stade de la moralitĂ© proprement dite il serait au plan de la sociologie ou de l’humanisme, rĂ©glant sa conduite sur les convenances sociales ou sur tout autre motif tirĂ© des exigences de la nature humaine plaisir, honneur, etc.. Mais ceci n’est pas normal. Tout homme qui a l’usage de ses facultĂ©s peut s’élever Ă  la connaissance de Dieu, au moins d’une maniĂšre imparfaite, soit confusĂ©ment par exemple d’une façon anthropomorphique, soit mĂȘme implicitement en se rĂ©fĂ©rant Ă  un Absolu qui serait pour lui l’équivalent de Dieu. Cela suffit pour qu’il puisse se rendre compte de la gravitĂ© d’un acte et sortir volontairement de l’ordre moral. PlacĂ© en face de cet Absolu, ou de la loi naturelle ou positive qui en est l’expression, il prĂ©fĂšre un dĂ©sordre grave Ă  l’ordre qui s’impose Ă  sa conscience il pĂȘche. Cette affirmation peut, Ă  premiĂšre vue, sembler sĂ©vĂšre. En rĂ©alitĂ© elle SE FONDE SUR LE MÊME PRINCIPE QUI EXPLIQUE LA POSSIBILITÉ DU SALUT DES INFIDÈLES. Supposons qu’un incrĂ©dule ne connaisse Dieu que de nom et sous des images caricaturales ou odieuses, mais qu’il se consacre par ailleurs totalement au culte de la justice, de l’honneur, ou de toute autre vertu, au point d’en faire un Absolu. Il peut se faire qu’il parvienne un jour au salut, si Ă  partir de ces sentiments profonds et sincĂšres, il rĂ©alise les conditions requises pour la justification. Or, autant ce second point salut des infidĂšles qui ne connafĂźtraient Dieu qu’implicitement est adoptĂ© et dĂ©fendu par certains qui sont portĂ©s Ă  justifier tout le monde, autant la premiĂšre affirmation possibilitĂ© du pĂ©chĂ© mortel mĂȘme si on ne connaĂźt pas Dieu parfaitement fait scandale aux yeux de ces mĂȘmes personnes. C’est un manque de logique dĂ» Ă  un sentiment dĂ©rĂ©glĂ©. Il faut reconnaĂźtre que le pĂ©chĂ© ne prend tout son sens que par rĂ©fĂ©rence Ă  Dieu. Plus on connaĂźt Dieu, plus le pĂ©chĂ© apparaĂźt odieux, et les saints, ces grands amis de Dieu, ont horreur de la plus petite faute vĂ©nielle. Par consĂ©quent la faute de ceux qui ne connaissent guĂšre Dieu est moins grande, toutes proportions gardĂ©es, que celle des Ăąmes avancĂ©es dans les voies spirituelles. Mais par ailleurs il ne faut pas sĂ©parer la raison et la foi, ainsi que quelques thĂ©ologiens ont voulu le faire Ă  partir de la Renaissance. DĂšs que, par delĂ  les lois naturelles et les injonctions de la raison, on perçoit, fĂ»t-ce confusĂ©ment et implicitement, l’autoritĂ© de Dieu, on se trouve situĂ© au plan moral et capable de bien et de mal. Et la RĂ©vĂ©lation ne fait que confirmer et complĂ©ter les lois essentielles de la nature. IT. — GravitĂ© du pĂ©chĂ© mortel Nous avons parlĂ© du mĂ©rite au dĂ©but de notre Ă©laboration thĂ©ologique ch. XII parce que, expliquions-nous, cette notion est fondamentale en morale, du fait que nous ne pouvons pas atteindre notre fin ici-bas, mais seulement dans un autre monde. Le pĂ©chĂ© est une notion aussi capitale. Ou plutĂŽt, il n’est QU’UN ASPECT DU MÉRITE. Quand nous faisons une bonne action, ou mieux, selon saint Thomas, un acte de charitĂ© suffisamment fervent, le rĂ©sultat immĂ©diat est une augmentation de vie surnaturelle dans l’obscuritĂ© de la foi et, par suite, le droit Ă  une rĂ©compense future dans la lumiĂšre de la gloire. De mĂȘme, quand nous commettons le pĂ©chĂ© mortel, UN DOUBLE EFFET EN RÉSULTE, l’un immĂ©diat, l’autre Ă  retardement ». ImmĂ©diatement, nous dĂ©sobĂ©issons Ă  la loi de Dieu. Pour bien comprendre la gravitĂ© de cette expression, il faut se rappeler la grandeur de la loi, mĂȘme naturelle et non seulement divine, aux yeux de S. Thomas ch. XVI. La loi n’est pas un diktat capricieux, mais l’expression d’une RaĂŻson suprĂȘme, crĂ©atrice de l’ordre universel. Donc, dĂ©sobĂ©ir Ă  la loi de Dieu, qui oriente tous les ĂȘtres vers leur fin, c’est sortir de l’ordre, c’est commettre une monstruositĂ©, et, par suite, c’est perdre la vie surnaturelle, qui ne peut se greffer que sur une Ăąme orientĂ©e vers Dieu. C’est, pour une Ăąme baptisĂ©e, perdre tout le cortĂšge des vertus thĂ©ologales et morales qui nous assimilent Ă  Dieu et nous mettent en communication avec lui. C’est se dĂ©tacher du Corps mystique et briser les liens de la charitĂ©. En deux mots, pĂ©cher, pour un chrĂ©tien, ce n’est pas seulement sortir de l’ordre et commettre une suprĂȘme injustice, c’est refuser le Don de Dieu et se rĂ©volter contre l’ Amour. VoilĂ  pour l’immĂ©diat. Quant Ă  la sanction future, elle dĂ©coule tout naturellement de l’acte du pĂ©chĂ©. Pas plus que la rĂ©compense de la vertu, la sanction du pĂ©chĂ© ne doit ĂȘtre conçue comme extĂ©rieure et hĂ©tĂ©rogĂšne elle est l’aboutissement normal et immanent d’un ĂȘtre qui a manquĂ© sa fin. La mort ne fait que mettre au grand jour ce qui Ă©tait cachĂ©. À ce moment, n’étant plus abusĂ©s par les apparences sensibles, les pĂ©cheurs expĂ©rimentent ce qu’est la sĂ©paration coupable de l’harmonie universelle Ils se trouvent alors dans le dĂ©sordre le plus essentiel qui puisse se rĂ©aliser. L'intelligence, créée pour la contemplation de l’Etre divin, n’a plus en face d’elle que le spectacle d’une ruine Ă©ternelle ; la volontĂ©, affamĂ©e de bonheur, n’a plus rien Ă  aimer, ni Dieu, ni le prochain, ni mĂȘme le moi » Ă©goĂŻste, devenu un objet de rĂ©pulsion. Le corps lui-mĂȘme, Ă  la rĂ©surrection, participera Ă  ce bouleversement radical et ne trouvera aucun objet adaptĂ© Ă  ses tendances. Ainsi, toutes les facultĂ©s humaines si puissamment finalisĂ©es par rapport Ă  leurs objets respectifs, seront coupĂ©es de ces objets et refoulĂ©es sur elles- mĂȘmes, fonctionnant Ă  vide dans un dĂ©sespoir Ă©ternel. C’était, au fond, ce qu’elles faisaient avant la mort, puisqu'elles Ă©taient dĂ©jĂ  sĂ©parĂ©es de la vraie RĂ©alitĂ© suprĂȘme qui est Dieu. Seulement elles trompaient leur faim » au moyen des apparences, tandis qu’en enfer il n’y a plus d’apparences. Fait particuliĂšrement grave, en justice stricte, l’homme qui a pĂ©chĂ© mortellement NE PEUT PLUS, DE LUI - MÊME, SORTIR DE L’ABÎME oĂč il s’est prĂ©cipitĂ©. Tant que la branche est unie au tronc, elle peut rĂ©parer ses pertes ; une fois coupĂ©e, elle se dessĂšche. De mĂȘme quand le pĂ©cheur n’est plus uni au Corps mystique, il lui est impossible de retrouver la sĂšve de la vie divine. C’est la grĂące, et plus prĂ©cisĂ©ment la charitĂ©, qui est le principe du progrĂšs surnaturel. Ce principe une fois perdu, il est humainement impossible de se relever. Cet enseignement de S. Thomas surprend Ă  premiĂšre vue. Pour le faire comprendre, on a parfois recours Ă  des explications psychologiques tyrannie du pĂ©chĂ©, tendance Ă  le renouveler, enracinement des mauvaises habitudes, etc. En rĂ©alitĂ© la raison est beaucoup plus profonde elle se trouve DANS LA DOCTRINE DE LA GRACE cf. ch. XIII et XIX, et partant on peut dire que c’est lĂ  un enseignement d’Eglise beaucoup plus qu’une opinion d’école l’homme ne peut mĂ©riter que s’il possĂšde la vie divine ; mais cette vie est un don purement gratuit. Quand il l’a perdue par sa faute, il n’a aucun droit Ă  la rĂ©cupĂ©rer. La misĂ©ricorde de Dieu est inlassable et va au-devant du pĂ©cheur tant que celui-ci ne s’est pas obstinĂ© dans un refus dĂ©finitif. Mais faut-il au moins retenir que les avances divines, au plan surnaturel, sont purement gratuites et que Dieu pourrait en pleine justice laisser Ă©ternellement Ă  son sort le pĂ©cheur qui s’est volontairement sĂ©parĂ© de lui. IT. — FrĂ©quence du pĂ©chĂ© vĂ©niel Il importe beaucoup Ă  la vie spirituelle d’avoir une juste notion du pĂ©chĂ© vĂ©niel et de sa frĂ©quence. Tout le monde sait que ce qui le distingue du pĂ©chĂ© mortel, c’est qu’il ne porte pas sur la fin, mais sur les moyens. Quand on pĂšche vĂ©niellement, on reste fermement attachĂ© Ă  Dieu, fin derniĂšre, mais on se permet des nĂ©gligences sur la maniĂšre de tendre vers lui. Seulement tous les auteurs ne sont pas d’accord sur l’amplitude du domaine du pĂ©chĂ© vĂ©niel. Et surtout beaucoup de fidĂšles ne voient aucun pĂ©chĂ© lĂ  oĂč il y en a certainement. Pour S. Thomas, les premiers mouvements dĂ©rĂ©glĂ©s de la sensibilitĂ© sont des pĂ©chĂ©s. Et pour la plupart des thomistes, les imperfections ne sont pas des actions facultatives, mais des pĂ©chĂ©s. Qu'il y ait pĂ©chĂ© dans les PREMIERS MOUVEMENTS DÉRÉGLÉS d’impatience, de gourmandise, de vaine gloire, etc., voilĂ  une affirmation qui heurte les fidĂšles comment peut-on pĂ©cher si on n’a pas consenti librement Ă  la tentation ? Et cependant cette doctrine Ă©tait dĂ©jĂ  couramment partagĂ©e par les thĂ©ologiens antĂ©rieurs et contemporains de S. Thomas !°é, Et notre saint Docteur n’a fait que lui donner une fermetĂ© qui cadre parfaitement avec tout l’ensemble de son systĂšme. Pour admettre cette position, il faut se baser sur le type de perfection idĂ©ale auquel nous sommes tous appelĂ©s selon nos possibilitĂ©s. L’idĂ©al est de FAIRE DOMINER LA RAISON en toute notre activitĂ©. Si nous nous Ă©cartons volontairement de la voie indiquĂ©e par elle, nous pĂ©chons, tout le monde l’admet. Mais mĂȘme quand le dĂ©sordre, sans ĂȘtre prĂ©cisĂ©ment voulu, est seulement tolĂ©rĂ© par exemple quand on lutte mollement contre de mauvaises habitudes ou non prĂ©venu c’est le cas des multiples mouvements dĂ©rĂ©glĂ©s de la sensibilitĂ© chez les personnes imparfaites, il est clair que nous nous Ă©cartons de la perfection. Donc nous pĂ©chons encore !°?. Sans doute, dans ces cas, le consentement n’est pas plĂ©nier. Il n’y a donc jamais, en principe, de pĂ©chĂ© mortel. Mais si peu qu’il y ait de consentement, fĂ»t-ce implicite, ou dans la cause du dĂ©rĂšglement, cela suffit pour qu’il y ait pĂ©chĂ© vĂ©niel. On reproche Ă  cette doctrine d’ĂȘtre trop sĂ©vĂšre et impossible Ă  mettre en pratique. Distinguons, Ă  la suite de S. Thomas. Il est entendu que personne, ici-bas, mĂȘme les plus grands saints sauf des exceptions telles que la Vierge MĂšre de Dieu ne peut Ă©viter absolument toute faute vĂ©nielle. Ce fait tient Ă  notre condition de descendants d’Adam. MĂȘme justifiĂ©s, nous gardons au fond de notre nature un foyer de convoitise toujours prĂȘt Ă  se rĂ©veiller et Ă  provoquer des incendies. Nous sommes si portĂ©s au mal que nous ne pouvons faire front Ă  tous nos adversaires Ă  la fois. Comme le dit S. Thomas, quand nous rĂ©sistons Ă  une tentation de sensualitĂ©, nous risquons de succomber aussitĂŽt Ă  une tentation de vaine gloire, et ainsi de suite. Mais s’il nous est impossible de refouler l’assaillant sur tous les points, il reste que nous sommes toujours capables, avec la grĂące de Dieu, de surmonter les tentations l’une aprĂšs l’autre. Cela suffit Ă  Ă©carter tout pessimisme dĂ©courageant. Et, de ces fautes de fragilitĂ©, immĂ©diatement pardonnĂ©es si nous le voulons, il ne reste qu’une salutaire leçon d’humilitĂ©. Sans compter qu’il y a lĂ  un stimulant perpĂ©tuel de progrĂšs spirituel. Les personnes, qui ne considĂšrent comme pĂ©chĂ©s que les fautes pleinement dĂ©libĂ©rĂ©es, sont naturellement trĂšs indulgentes pour leurs premiers mouvements dĂ©rĂ©glĂ©s. Mais alors, quelle multitude d’imperfections ! Les premiers mouvements d’orgueil, de colĂšre, d’envie et d’autres passions foisonnent parfois et produisent des Ă©motions visibles. Ces dĂ©fauts, n’étant pas combattus, s’amplifient avec les annĂ©es et se changent souvent en habitudes dangereuses, pĂ©nibles pour le prochain, et parfois ridicules. Passe encore pour ce dernier inconvĂ©nient il n’est que la punition immanente de ceux qui ne veulent pas entendre raison. Mais les deux autres sont redoutables ils sont la cause des pĂ©chĂ©s contraires Ă  la charitĂ©, et ils entraĂźnent parfois des chutes irrĂ©parables. Manifestement les premiers mouvements qui sont Ă  l’origine de tels dĂ©rĂšglements ne sont pas sans importance morale ce sont des pĂ©chĂ©s, dans la mesure oĂč on ne les combat pas suffisamment. Il en est de mĂȘme pour LES IMPERFECTIONS, comprises au sens moderne. La plupart des, thomistes, disions-nous, considĂšrent aussi que les imperfections sont peccamineuses. C’est sĂ»rement la pensĂ©e de S. Thomas, qui regarde toujours comme pĂ©chĂ© vĂ©niel ce que nous appelons imperfection. On sait la diffĂ©rence que certains modernes veulent mettre entre pĂ©chĂ© et imperfection est pĂ©chĂ© ce qui s’oppose Ă  un prĂ©cepte, imperfection ce qui s’oppose Ă  un conseil. Certes, il faut tenir absolument Ă  la distinction entre prĂ©cepte et conseil thĂ©oriquement et juridiquement les deux notions ne se recouvrent pas. Mais en fait, quand il s’agit de telle personne donnĂ©e et de tel conseil Ă©vangĂ©lique Ă  pratiquer, la distinction n’est pas toujours aussi tranchĂ©e. 11 peut trĂšs bien se faire qu’un conseil s’impose Ă  une personne sous peine de pĂ©chĂ©. Rappelons-nous que LA RAISON DOIT COMMANDER tous nos actes quand elle nous indique un conseil comme salutaire pour nous, utile au prochain et ordonnĂ© Ă  la gloire de Dieu, on ne voit pas comment il serait loisible de passer outre Ă  ces indications. Nous rejoignons ici ce que nous disions plus haut ch. XX VI du probabilisme. Et nous conclurons, ici comme prĂ©cĂ©demment, qu’il y a tout Ă  gagner Ă  suivre la thĂ©orie thomiste, parce que plus conforme Ă  la psychologie humaine, Ă  la doctrine du pĂ©chĂ© originel et Ă  l’idĂ©al de perfection Ă©vangĂ©lique !?0, Chapitre XXVIII CONCLUSION Dans cet exposĂ© des principes de la morale chrĂ©tienne, notre premiĂšre dĂ©marche a Ă©tĂ© de rechercher l’enseignement du Christ et des ApĂŽtres. Puis, suivant l’ancien adage des PĂšres, fides quĂŠrens intellectum, la foi cherchant Ă  comprendre », nous nous sommes efforcĂ©s de pĂ©nĂ©trer intellectuellement Ă  l’intĂ©rieur des richesses divines. Enfin, au cours de cette double enquĂȘte, nous n’avons cessĂ© d’admirer la valeur de vie du message Ă©vangĂ©lique. C’est sur ce TRIPLE EFFORT que nous voudrions revenir une derniĂšre fois soumission au donnĂ© rĂ©vĂ©lĂ©, recours aux lumiĂšres de la raison philosophique, assimilation vitale de la doctrine chrĂ©tienne. I. — Soumission au donnĂ© rĂ©vĂ©lĂ© L’attitude la plus fondamentale d’un chrĂ©tien qui demande Ă  l’Eglise des rĂšgles de morale est une ACCEPTATION INCONDITIONNELLE DU MESSAGE DIVIN. Le christianisme n’est pas une sociĂ©tĂ© anonyme oĂč chaque individu entre et sort comme il veut et apprĂ©cie tout selon les caprices de son humeur. C’est un organisme vivant inspirĂ© d’en-Haut, portant en son sein le dĂ©pĂŽt de la RĂ©vĂ©lation, et distribuant aux fidĂšles la vie en mĂȘme temps que la lumiĂšre. Ceci est Ă  prendre ou Ă  laisser on ne peut ĂȘtre Ă  la fois rationaliste et chrĂ©tien. On ne peut se prĂ©poser juge de l’enseignement de l’Eglise et se prĂ©tendre fidĂšle au Christ. Il faut d’abord se soumettre au Christ et Ă  ses reprĂ©sentants, dans un acte de foi et d’abandon total, puis la lumiĂšre viendra d’autant plus sĂ»re et Ă©clairante que l’adhĂ©sion de foi aura Ă©tĂ© plus complĂšte. Il peut se faire qu’à premiĂšre vue certaines prescriptions de l’Evangile ou de l’Eglise paraissent trop exigeantes. C’était mĂȘme Ă  prĂ©voir il est normal qu’une rĂšgle aussi transcendante bouscule nos prĂ©jugĂ©s et nos convoitises. Mais la conversion de l’esprit et du coeur consiste prĂ©cisĂ©ment Ă  reconnaĂźtre le bien-fondĂ© de ces directives et Ă  y conformer notre vie morale. Et cela dans toute la gamme des commandements depuis les plus Ă©lĂ©mentaires, qui se confondent, en fait, avec les prĂ©ceptes de la loi naturelle, jusqu'aux plus Ă©levĂ©s, qui rejoignent les conseils Ă©vangĂ©liques et introduisent Ă  la vie mystique. Nous n’avons pas exposĂ© toute cette gamme. Notre projet, on le sait, Ă©tait moins de condenser la morale dĂ©jĂ  connue, que de montrer sous quel biais on pouvait l’envisager avec profit. Nous nous sommes dĂ©libĂ©rĂ©ment dressĂ© Ă  des lecteurs qui connaissaient au moins un manuel assez dĂ©veloppĂ© de thĂ©ologie. C’est pourquoi notre exposĂ© contient des LACUNES manifestes. Ainsi nous n’avons rien dit de la religion, vertu pourtant essentielle. Sans ĂȘtre prĂ©cisĂ©ment thĂ©ologale, elle Ă©merge des vertus morales, et Ă  ce titre elle mĂ©riterait une Ă©tude particuliĂšre. Dans un systĂšme philosophique, elle aurait mĂȘme la place d’honneur. Nous n’en avons rien dit parce que les manuels lui accordent habituellement une grande place, trop grande mĂȘme parfois, au dĂ©triment de la qualitĂ© le danger est de la prĂ©senter un peu comme une vertu naturelle, et de ne pas montrer assez combien les vertus thĂ©ologales et les dons du Saint-Esprit la transfigurent. Qu’il nous suffise au moins d’avoir signalĂ© ce dĂ©faut. Nous n’avons rien dit non plus de la vertu d’humilitĂ©, dont le rĂŽle spirituel est capital, et qui paraĂźt un peu estompĂ©e dans la synthĂšse thomiste. De fait nous n’aurions pu la passer sous silence dans un exposĂ© de thĂ©ologie kĂ©rygmatique ». Mais la littĂ©rature ne manque pas sur ce sujet, et les principes que nous avons exposĂ©s pĂ©chĂ©, grĂące habituelle, grĂące actuelle, etc. en Ă©clairent si bien la nature et l’importance que notre omission sera excusĂ©e. Enfin nous n’avons pas mĂȘme abordĂ© les problĂšmes soulevĂ©s Ă  l’occasion de la justice, notamment ceux qui relĂšvent de la question sociale. Une Ă©tude suffisamment complĂšte de ces problĂšmes nous aurait trop Ă©cartĂ©s de notre voie. D’ailleurs le lecteur qui possĂ©dera les principes que nous avons exposĂ©s, sera suffisamment armĂ© pour discerner la diffĂ©rence essentielle qui sĂ©pare une sociologie marxiste, ou purement philosophique, d’une sociologie chrĂ©tienne. Disons au moins quelques mots d’un sujet sur lequel l’Eglise n’est pas intervenue dĂ©finitivement dans les conciles, mais qui nous semble important pour la vie spirituelle celui des DONS DU SAINT-ESPRIT. Un savant historien des doctrines du Moyen Age, reprenant et accentuant une thĂ©orie qu’on aurait crue abandonnĂ©e, conteste l’existence de ces Dons Ce qu’on appelle les dons du Saint-Esprit » sont des habitus acquis », c’est-Ă -dire des habitus qui s’acquiĂšrent par l’exercice fervent et prolongĂ© des vertus thĂ©ologales »!”1, Cette opinion est Ă©troitement liĂ©e Ă  celle qui rĂ©duit aussi les vertus morales infuses Ă  des acquisitions personnelles. Nous avons dit plus haut ch. xv ce que nous en pensons. Mais pour ce qui est des Dons du Saint-Esprit, il nous semble que le dĂ©bat est plus dĂ©licat, en un sens, et qu’il dĂ©borde les querelles d’Ecoles. Que l’on discute sur le sens prĂ©cis de tel ou tel don, soit S. Thomas lui- mĂȘme a variĂ© dans son interprĂ©tation. Que l’on rappelle que la fixation du septĂ©naire remonte historiquement Ă  un texte biblique compris trop matĂ©riellement, soit encore. Que l’on insiste sur le rĂŽle des Ă©coles thĂ©ologiques dans l’infiltration de cette croyance dans l’Eglise, tout cela encore est trĂšs bien l’érudition historique permet de mieux situer la portĂ©e de certains dĂ©tails et de bien saisir les synthĂšses dans leur genĂšse et leur Ă©panouissement. Mais ces considĂ©rations historiques SUR LE MODE de formation des croyances reçues dans l’Eglise permettent-elles de rejeter LES CROYANCES ELLES-MÊMES ? Ceci est une toute autre affaire. Car le Saint-Esprit peut trĂšs bien, si cela lui plaĂźt, se jouer des contingences historiques et faire progresser l’Eglise dans la conscience du donnĂ© rĂ©vĂ©lĂ© sous le couvert d’une exĂ©gĂšse Ă©troite ou allĂ©gorique et d’arguments d’Ecole peu probants en soi. Qu’on pense, par exemple, Ă  l’exĂ©gĂšse de certains PĂšres, qui enseignaient sur bien des points une doctrine parfaitement exacte, mais en la rattachant Ă  des textes bibliques mal compris. Que l’on pense encore aux considĂ©rants des dĂ©finitions dogmatiques qui, on le sait, ne tombent pas, eux, sous le coup de l’infaillibilitĂ©. Or, Ă  notre avis, la doctrine des Dons du Saint-Esprit est si bien accrĂ©ditĂ©e dans l’Eglise depuis des siĂšcles qu’il semble difficile de la rejeter sans tĂ©mĂ©ritĂ©. Sans doute, redisons-le, le MagistĂšre extraordinaire n’a rien dĂ©fini Ă  ce sujet, mais le concours de la liturgie, de l’ensemble des thĂ©ologiens, et mĂȘme des expressions des papes, permet de voir lĂ  un Ă©lĂ©ment du MagistĂšre ordinaire. LĂ©on XIII, dans l’encyclique Divinum illud, parle des Dons dans le sens traditionnel. Et mĂȘme s’il semble faire siens certains dĂ©tails thomistes qui manifestement ne s’imposent pas, l’ensemble de son enseignement est quand mĂȘme catĂ©gorique. De plus, la plupart des THÉOLOGIENS de tous bords, tout en reconnaissant la difficultĂ© d'expliquer la nature des dons, n’en nient pas l'existence. Et la LITURGIE, dans certaines expressions par ex. Sacrum Septenarium, l’admet aussi. Mais mĂȘme si elle n’en parle pas expressĂ©ment d’une maniĂšre habituelle, le moins qu’on puisse dire, c’est que les formules qu’elle emploie au brĂ©viaire et Ă  la messe, pour la PentecĂŽte et son octave, ainsi que dans la collation des sacrements, surtout de l’Ordre et de la Confirmation, se comprennent beaucoup mieux selon la doctrine thomiste que dans l’hypothĂšse contraire. AprĂšs cela il ne faut pas s’étonner si la masse des fidĂšles est pĂ©nĂ©trĂ©e de cette doctrine au moyen du CATÉCHISME, qui prĂ©sente les Dons comme des qualitĂ©s surnaturelles mises dans l’ñme par le Saint-Esprit ». Nous ne voyons pas comment Dieu pourrait laisser se rĂ©pandre dans son Eglise une croyance aussi importante pour la vie des Ăąmes si elle Ă©tait erronĂ©e. IT. — La foi en quĂȘte de l’intelligence La pleine soumission au MagistĂšre vivant de l’Eglise est parfaitement compatible avec un effort soutenu de l’intelligence en quĂȘte de la vĂ©ritĂ©. Selon un principe bien connu, il ne peut y avoir deux vĂ©ritĂ©s contradictoires, dont l’une serait rĂ©vĂ©lĂ©e et l’autre acquise. La RĂ©vĂ©lation peut trĂšs bien transcender les lumiĂšres naturelles de l’esprit humain, sans contredire ses acquisitions les plus sĂ»res. Et c’est merveille de voir comment ces acquisitions rejoignent le mystĂšre et s’harmonisent avec lui sans attenter Ă  sa transcendance. La condition absolue d’un tel accord est Ă©videmment la VÉRITÉ DU SYSTÈME PHILOSOPHIQUE sur lequel on s’appuie. De nos jours, certains proposent de refondre la doctrine thĂ©ologique en recourant Ă  d’autres philosophies que le thomisme idĂ©alisme, bergsonisme blondĂ©lisme, phĂ©nomĂ©nologie, voire marxisme. Ce sont des vues en l’air. Les meilleurs de ces systĂšmes sont bornĂ©s, parce qu’ils n’envisagent qu’un aspect de l’ĂȘtre. SEUL LE THOMISME EST UNIVERSEL parce qu’il part de l’ĂȘtre dans toute sa richesse et accepte tout ce qui peut ĂȘtre. Par suite seul il est pleinement ouvert sur l’infini et apte Ă  Ă©pouser toutes les exigences d’une PensĂ©e transcendante. Il est fort probable que ceux qui prĂŽnent une telle rĂ©forme ne connaissent guĂšre du thomisme que les donnĂ©es du sens commun, sur lesquelles il se fonde, mais qui ne constituent que le stade prĂ©-mĂ©taphysique d’une philosophie proprement dite. GrĂące au thomisme, la morale chrĂ©tienne possĂšde une profondeur mĂ©taphysique et une cohĂ©rence logique qui ne le cĂšdent Ă  aucune autre morale, et qui surpassent toute autre par la garantie de la vĂ©ritĂ©. Nous avons aimĂ© Ă  souligner cette HARMONIE DE LA RÉVÉLATION ET DE LA RAISON dans l’exposĂ© de la morale. Cette concordance est, on le sait, une des caractĂ©ristiques du thomisme. Que ce soit pour Ă©tudier la fin de l’homme, ou sa conduite, son mĂ©rite, sa vie divine, sa libertĂ©, etc., nous avons constatĂ© combien les notions de finalitĂ©, de bĂ©atitude, de causes, etc., Ă©taient Ă©clairantes et rejoignaient Ă  un plan mystĂ©rieux et transcendant les donnĂ©es de la RĂ©vĂ©lation. On retrouve constamment ces notions. Ainsi les quatre causes efficiente, finale, matĂ©rielle et formelle sont utilisĂ©es Ă  peu prĂšs Ă  chaque chapitre et sont du domaine commun de toute thĂ©ologie, spĂ©cialement au sujet des trois vertus thĂ©ologales. Mais cette armature mĂ©taphysique n’est pas le seul bienfait de la philosophie thomiste elle prĂ©pare Ă©tonnamment l’esprit Ă  accepter dans toute sa plĂ©nitude le DonnĂ© rĂ©vĂ©lĂ©. Ainsi, pour en revenir Ă  la question des vertus infuses et des dons du Saint - Esprit, nous ne serions pas surpris que la cause de certaines incomprĂ©hensions se trouve dans une mĂ©connaissance de la mĂ©taphysique thomiste. On s’oppose Ă  ce point de doctrine sous prĂ©texte qu’il ne faut pas multiplier les entitĂ©s sans nĂ©cessitĂ©. Mais justement, quand on a Ă©tĂ© formĂ© Ă  la philosophie de l’Etre et de l’analogie ; quand on a saisi Ă  quel degrĂ© le rĂ©el est riche et complexe sous son apparente simplicitĂ©, on est tout prĂȘt Ă  accepter la mĂȘme richesse et la mĂȘme complexitĂ© dans le domaine surnaturel. Dans ce cas des vertus et des Dons, notons-le bien, les thĂšses de philosophie ne sont pas du tout une source de vĂ©ritĂ© dogmatique en dogme le donnĂ© » n’est pas philosophique ; il est surnaturel. Mais une formation thomiste joue ici, entre autres effets, le rĂŽle de removens prohibens elle ĂŽte l’obstacle ; elle prĂ©pare Ă  accepter le rĂ©el tel qu’il est. Et quand on a de bonnes raisons de croire, par ailleurs, que le rĂ©el surnaturel infus par Dieu dans l’ñme est aussi complexe que la rĂ©alitĂ© de la nature, on n’est nullement surpris et on ne cherche pas Ă  Ă©luder cette complexitĂ©. Le tout est d’établir la preuve de cette complexitĂ© en toute objectivitĂ© et dans une docilitĂ© totale Ă  tout le donnĂ© rĂ©vĂ©lĂ©, non seulement tel que nous le dĂ©couvrons dans la Bible, mais tel qu’il nous apparaĂźt dans la vie de l’Eglise. IT. — Morale et spiritualitĂ© Une morale fondĂ©e sur l’Evangile et sur le dogme, et organisĂ©e Ă  l’aide de principes mĂ©taphysiques, est ÉMINEMMENT PROPRE A NOURRIR LA SPIRITUALITÉ. On l’aura sĂ»rement compris des chapitres comme ceux sur la bĂ©atitude, la grĂące habituelle, la grĂące actuelle, les rapports de la loi et de la libertĂ©, la nature de la loi nouvelle, les vertus thĂ©ologales, la prudence, etc., ne sont pas seulement des thĂšmes de science morale, mais l’aliment d’une vie spirituelle Ă©clairĂ©e et la base d’un humanisme supĂ©rieur, le seul humanisme vrai. Nos contemporains veulent fonder L'HUMANISME en dehors de la RĂ©vĂ©lation et de la thĂ©ologie. Mais un tel humanisme, clos sur lui-mĂȘme, aboutit Ă  une impasse l’homme ne trouvera jamais le bonheur dĂ©finitif hors de Dieu, car il est fait pour Dieu Sans doute, pour rejoindre Dieu et participer Ă  sa vie bĂ©atifiante, il faut d’abord mourir Ă  soi-mĂȘme », se renoncer courageusement, dompter ses passions et pratiquer le dĂ©tachement et l’humilitĂ©. Et cela peut paraĂźtre Ă  premiĂšre vue une mutilation intolĂ©rable. Mais c’est une illusion, sans compter que ce n’est lĂ  qu’une Ă©tape provisoire. Quand le chrĂ©tien s’est mortifiĂ© au moyen d’une ascĂšse prudente, IL S'ÉPANOUIT en Dieu et peut alors, Ă  l’exemple des saints pensons Ă  saint François d’Assise, Ă  S. François de Sales, Ă  Ste ThĂ©rĂšse d’Avila, Ă  Ste ThĂ©rĂšse de Lisieux et Ă  tant d’autres, jouir de la crĂ©ation d’une maniĂšre Ă©minemment suave. Il doit, certes, demeurer toujours sur ses gardes. MaĂŻs dans la mesure oĂč il est uni Ă  Dieu et soumis Ă  sa volontĂ©, il goĂ»te les joies de l’art, de la beautĂ©, de l’amour et de toute activitĂ© sensible avec une plĂ©nitude et une paix que les pĂ©cheurs ignorent. À plus forte raison l’humanisme chrĂ©tien est-il le seul vrai quand on l’envisage dans son Ă©panouissement final, qui est la restauration universelle consĂ©cutive au Jugement dernier. Ainsi comprise, la morale chrĂ©tienne n’a rien Ă  craindre d’une comparaison avec les autres morales et avec les mystiques naturelles, quelles qu’elles soient. Le syncrĂ©tisme si rĂ©pandu de nos jours rĂ©sulte d’une ignorance grossiĂšre du catholicisme. DĂšs qu’on connaĂźt la morale chrĂ©tienne authentique, les inventions purement humaines perdent tout leur attrait. BIBLIOGRAPHIE Nous n’indiquons que quelques-uns des ouvrages les plus indispensables pour poursuivre l’étude des sujets esquissĂ©s ici. On trouvera dans ces volumes, surtout dans le tome IIT de l’Initiation thĂ©ologique, les complĂ©ments bibliographiques permettant des recherches complĂ©mentaires. Saint Thomas Somme thĂ©ologique, I°-IF° et IT$-IT, Initiation thĂ©ologique, t. III, 1280 p. Editions du Cerf, 1952. Dom Odon Lottin Morale fondamentale, 546 p., DesclĂ©e et Ci, 1954. Morale chrĂ©tienne et requĂȘtes contemporaines, 292 p., Casterman, 1954. Bernard Haering La Loi du Christ, I et IL, DesclĂ©e et Cie, 1956 et 1957. Jacques Leclercq L’enseignement de la morale chrĂ©tienne retirĂ© du commerce. G. Gilleman, Le primat de la charitĂ© en thĂ©ologie morale, 2° Ă©d., 374 p., DesclĂ©e de Brouwer, 1954. L’amour du prochain, 404 p., ouvrage collectif, Editions du Cerf, 1954. P. FoulquiĂ© Morale, 494 p., Editions de l’Ecole, 1955. Ph. Delhaye Rencontre de Dieu et de l’Homme Foi, espĂ©rance, charitĂ©, 164 p., DesclĂ©e et Ci, 1957. Dom Lottin Au cƓur de la Morale chrĂ©tienne, 208 p. DesclĂ©e, 1957. La premiĂšre moitiĂ© de notre travail Ă©tait dĂ©jĂ  publiĂ©e lorsque ce volume est paru. LEXIQUE Nous donnons ici le sens des principaux termes que nous n’avons pas eu l’occasion de dĂ©finir ou d’expliquer, et qui risquent de dĂ©router les lecteurs peu avertis. La lettre C renvoie au Vocabulaire philosophique d’A. Cuvillier, et J au Vocabulaire de Philosophie de Mgr Jolivet. Accident. Ce qui peut ĂȘtre modifiĂ© ou supprimĂ© sans que la chose elle- mĂȘme change de nature ou disparaisse » C. Analogie. Rapport Ă©tabli entre rĂ©alitĂ©s essentiellement diverses, mais ayant quelque chose de commun » J. BĂ©atitude. Etat permanent de bonheur parfait. Cosmos. Le monde considĂ©rĂ© comme un tout ordonnĂ© et harmonieux » C. Eschatologie. Doctrine des fins derniĂšres de l’homme et de l’univers » C. Essence. Ce par quoi une chose est ce qu’elle est et se distingue de toute autre » J. Etre. Ce qui existe ou peut exister de quelque maniĂšre que ce soit » J. EudĂ©monisme. Doctrine morale selon laquelle le bonheur est le souverain bien » C. Existentialisme. Mode de philosopher qui pose le primat de l’exister sur l’essence et qui se donne pour objet l’analyse de l’existence humaine dans sa rĂ©alitĂ© concrĂšte et vĂ©cue » C. Immanence de Dieu. — PrĂ©sence de Dieu au plus intime des ĂȘtres, en vertu de sa causalitĂ© crĂ©atrice et conservatrice universelle, qui, Ă  ce titre, transcende tout le créé Cf. Transcendance. KĂ©rygme. Annonce solennelle et enthousiaste de la Parole de Dieu par les ApĂŽtres en vue de convertir les Ăąmes Ă  JĂ©sus-Christ. Logion. Sentences ou discours du Seigneur JĂ©sus conservĂ©s par la Tradition primitive et fixĂ©s ensuite par Ă©crit, surtout dans les Ă©vangiles. Motif. Raisons d’agir de nature intellectuelle » J. Nature. L’essence d’un ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme principe d’opĂ©ration » J. Dans les ĂȘtres créés, s’emploie par opposition Ă  grĂące ou surnature, participation Ă  la nature divine. Objet matĂ©riel. L’objet, indĂ©pendamment de tout point de vue dĂ©terminĂ© » J. Objet formel. L’objet considĂ©rĂ© Ă  un point de vue dĂ©terminĂ©. Ex. L'homme est l’objet matĂ©riel de la morale, de la sociologie, de la mĂ©decine. L’homme est l’objet formel de la morale en tant que personne raisonnable et libre ; de la sociologie, en tant qu'ĂȘtre social ; de la mĂ©decine, en tant que sujet de la maladie » J. Ontologique. Qui concerne l’ĂȘtre en gĂ©nĂ©ral, et spĂ©cialement les rĂ©alitĂ©s profondes et stables. Parousie. Le retour du Seigneur JĂ©sus dans sa gloire Ă  la fin des temps. PhĂ©nomĂ©nologie. Etude descriptive de ce qui apparaĂźt aux sens ou Ă  la conscience. Transcendance. SupĂ©rioritĂ© infinie de Dieu qui le rend absolument indĂ©pendant et hors d’atteinte de tout le créé en tant que tel. INDEX ANALYTIQUE DES MATIÈRES AMITIE. APOCALYPTIQUE. ARISTOTE. AUGUSTIN saint. BEATITUDE. BIBLIQUE ThĂ©ologie. CHARITE pour Dieu. — pour le prochain. — RĂšgne de la. — Forme des vertus. CIRCONSTANCES. CONSCIENCE. CONSEIL. CONVERSION. DENYS Pseudo. DETERMINISME. DIEU. DONS DU SAINT-ESPRIT. ECHEC. EGLISE. ELEMENTS de la moralitĂ©. ENFER. ESPERANCE. ESCHATOLOGIE. EUDEMONISME. FIN moralitĂ© de la. FINALITE. FOI. GRACE habituelle. Cf. Vie divine. — actuelle. HUMANISME. HUMILITE. IMITATION de JĂ©sus-Christ. IMPERFECTION. JESUS-CHRIST. JUSTICE. LIBERTE. LITURGIE. LOI NOUVELLE. LOIS. MARIE. MERITE. METAPHYSIQUE. MORALES vertus. NORME de la moralitĂ©. NOUVELLE Bonne. OBFISSANCE. OBJET moralitĂ© de ’. PAROUSIE. PECHE. Mortel. VĂ©niel. Originel. PENITENCE. PHILOSOPHIE. Cf. MĂ©taphysique. PROBABILISME. PROPHETISME. PRUDENCE. PSYCHOLOGIE. RELIGION. RENONCEMENT. SACREMENTS. SPIRITUALITE. SURNATUREL. SYSTEMES de morale. TENTATION. THEOLOGALES vertus. Cf. Foi, EspĂ©rance, CharitĂ©. THEOLOGIE. THOMISME. Cf. passim toutes les solutions doctrinales. TRINITE. VERITE premiĂšre. VERTU. VIE DIVINE. — Cf. GrĂące habituelle. P. LETHIELLEUX, Editeur, 10, rue Cassette, Paris VIe AndrĂ© LETOUSEY Jean LABIGNE CONNAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST Histoire biblique - Histoire Ă©vangĂ©lique Les grandes paroles du MaĂźtre Initiation Ă  la liturgie L'ÉGLISE AU PÉRIL DES TEMPS L'histoire de l’Eglise est un drame de 20 siĂšcles, qui est celui du Royaume de Dieu sur terre. Chaque volume 13 X 20 cm, abondamment illustrĂ© de gravures dans le texte et hors-texte 178 et 146 pages. Deux ouvrages formant une synthĂšse historique et dogmatique de la doctrine chrĂ©tienne, spĂ©cialement conçue pour les adolescents. * ChanoĂŻne AndrĂ© BOYER MANUEL D’INSTRUCTION RELIGIEUSE DES ADOLESCENTS 3 volumes 13 X 18 cm, illustrĂ©s, de 120 Ă  148 pages. Pour donner aux jeunes l’essentiel de la doctrine. Pour les engager dans la vie chrĂ©tienne. * Notes 1 Parlant de la ThĂ©ologie morale pratique des manuels du XVII siĂšcle, qui sont Ă  l’origine des manuels contemporains, le P. Vereecke Ă©crit cette Theologia moralis practica » coupĂ©e dĂ©jĂ  de la philosophie vivante, coupĂ©e maintenant de la dogmatique et de la moralis speculativa » ces deux matiĂšres assimilĂ©es l’une Ă  l’autre dans l’enseignement courant, coupĂ©e par surcroĂźt de la spiritualitĂ© ni les Ă©crits d’un Jean de la Croix, ni ceux d’un François de Sales ne relĂšvent d’elle et les JĂ©suites pour alimenter leur piĂ©tĂ© et leur prĂ©dication n’ont-ils pas les Exercices », encombrĂ©e par contre de notions juridiques et de subtilitĂ©s casuistiques cette Theologia moralis practica » oublie bientĂŽt sa dĂ©termination modeste et s’intitule ThĂ©ologie Morale » tout court. On pressent qu’ainsi orientĂ©e elle ne se dĂ©veloppera pas comme une morale de la charitĂ© » HĂŠring, La Loi du Christ, t. I, p. 73. 2 Peut-ĂȘre peut-on reprocher Ă  ces livres de morale, d’ailleurs admirables, d’avoir rendu trop facile la science sacrĂ©e, en la prĂ©sentant, pour ainsi dire, toute mĂąchĂ©e. De lĂ , la conduite de tant de confesseurs qui se contentent de chercher des solutions toutes faites et souvent mal comprises Ă  des difficultĂ©s qui ne sont jamais absolument semblables aux cas proposĂ©s, au lieu de remonter aux principes qui servent Ă  tout rĂ©soudre » TraitĂ© de la confession des enfants et des jeunes gens. 11° Ă©d., p. 64-65. La 1" Ă©dition est de 1865. 3 Ces chapitres sont parus dans le SupplĂ©ment de l’Ami du ClergĂ© en 1957- 1958. 4 C est tout l’évangile qu’il faudrait citer en rĂ©fĂ©rence. Cf. au moins Mt. ch. V, VI VIL XVII et les lieux parallĂšles. 5 Ici encore, c’est tout S. Paul et tout S. Jean qu’il faudrait citer. Voir au moins J., I, 1-18 ; III ; VI, ; x, 1-19 ; xv, 1-15. — Rom., v Ă  VIII ; I Cor. VII XII, XII ; Gal.,, V ; Eph.,, L, IV, v, VI. — I Petr., I, IT ; IT Petr., et toute la I Ă©pĂźtre de S. Jean. 6 Cf. Cerfaux, La ThĂ©ologie de l’Eglise suivant S. Paul 7 Ib., passim et conclusion, p. 307-308. 8 La vie d'identification au Christ JĂ©sus, 60° Ă©dit. p. 25-26. 9 Sauf les morales Ă©volutionnistes, y compris celle du marxisme ; mais sont- ce lĂ  des morales » dignes de ce nom ? 10 La thĂ©ologie traditionnelle semble parfois par exemple en traitant de l’espĂ©rance attĂ©nuer cet aspect, parce qu’elle vise en tout l’essentiel. 11 Cf. Morale chrĂ©tienne et requĂȘtes contemporaines, p. 37. 12 Ib., p. 39. 13 Ib., p. 38. Sur ce point prĂ©cis, nous nous permettons un avis diffĂ©rent de l’auteur de cette Ă©tude. 14 Ib., p. 41-44. 15 Cf. spĂ©cialement OsĂ©e, ch. 1 Ă  4. Voir aussi HĂŠring, La Loi du Christ, p. 469 Ă  475 et J. RĂ©gnier. Le sens du pĂ©chĂ©, p. 36 Ă  48. 16 HĂŠring, La Loi du Christ, p. 17 Voir quelques dĂ©tails sur ce sujet dans la Bible de JĂ©rusalem, p. 1482, col. 2. — Pour les PĂšres de l’Eglise avant le concile de NicĂ©e, voir l’ouvrage du P. DaniĂ©lou. ThĂ©ologie du judĂ©o-christianisme DesclĂ©e 18 art. ThĂ©ologie, col. 353 P. Congar. 19 Sur les systĂšmes thĂ©ologiques, cf. A. Gardeil, Le donnĂ© rĂ©vĂ©lĂ© et la thĂ©ologie, 2° partie, ch. 3. 20 Sur ce point, rf. Chenu Introduction Ă  l’étude de saint Thomas d’Aquin Vrin. 21 Nous expliquerons Ă  cette occasion p. 232-233 comment facultĂ© et habitus ou vertus sont tous deux des principes prochains d’action. 22 Cf. P. Hayen. La communication de l’Etre d’aprĂšs saint Thomas d’Aquin, I, 1957, p. 33. 23 Il faut reconnaĂźtre, avec Et. Gilson, qu’Aristote, qui Ă©tait avant tout un naturaliste, a eu tort de concevoir la forme » et la finalitĂ© des ĂȘtres matĂ©riels Ă  la maniĂšre de la forme et de la finalitĂ© des ĂȘtres sensibles. Les scolastiques dĂ©cadents du Moyen Age ont eu tort de le suivre sur ce point et de confondre science et philosophie. Mais il ne s’agit pas d’explication scientifique il s’agit ici de mĂ©taphysique. Or en mĂ©taphysique, la forme substantielle se dĂ©fend trĂšs bien, mĂȘme Ă  notre Ă©poque. Cf. J. de TonquĂ©dec, La Philosophie de la nature, II, p. 66-92. 24 F, 59, 1 ; III, IL, 8 ; C. Gentiles, IIL, 21, 24. — Il n’y a aucune raison, en bonne mĂ©taphysique, d’abandonner cette vue grandiose de S. Thomas, quoi qu’en dise Leclerc cf. La philosophie morale de S. Thomas devant la pensĂ©e contemporaine, p. 81. 25 FA1F23 2, 26 Denzinger, n° 821. 27 Denzinger, n° 800. 28 Sur ce sujet, lire J. Rohmer, La finalitĂ© morale chez les thĂ©ologiens de saint Augustin Ă  Duns Scot Vrin. 29 Philippe, Initiation Ă  la philosophie d’Aristote, p. 35- 36. — Lire aussi sur ce sujet A. MAN-MON L’eudĂ©monisme aristotĂ©licien et la morale thomiste, dans Xenia Thomistica 1925, p. 429-449. 30 Aristote Morale Ă  Nicomaque, x, 8. 31 Morale Ă  Nicomaque, c. 7. 32 Clodius Piat, Aristote, p. 311. 33 Sur ce point, cf. Leclercq, Les grandes lignes de la philosophie morale, p. 233 Ă  245, en ce qui concerne uniquement la morale philosophique. 34 Clodius Piat, Aristote, p. 330. 35 Et. Gilson, Saint Thomas d’Aquin, p. 6. 36 Il nous semble que la position de S. Thomas sur ce point, compte tenu de l’ensemble de sa doctrine, Ă©chappe aux critiques que lui font certains auteurs cf. J. Leclerca, La philosophie morale de saint Thomas devant la pensĂ©e contemporaine, ch. VI. 37 L. X, ch. IV, 8 6. 38 IS-TT6, q. 4, a. 2. 39 La philosophie morale de saint Thomas devant la pensĂ©e contemporaine, p. 227-228. 40 [-II, q. 2. 41 Cf. P. Deman, EudĂ©monisme et charitĂ© en thĂ©ologie morale, dans Ephemerides theologicĂŠ lovanienses, 1953, p. 41-57. — Et cette prĂ©fĂ©rence de base, donnĂ©e Ă  la bĂ©atitude ainsi comprise, entraĂźne, pensons-nous, un immense avantage mĂ©thodologique c’est de permettre une merveilleuse structuration » mĂ©taphysique de toute la morale, — chose qu’on ne pourrait rĂ©aliser Ă  partir de la vertu de charitĂ©. 42 [-IIC, q. 4. 43 Et. Gilson, Le Thomisme, p. 383 4° Ă©d.. 44 A ce titre, elle est une des qualitĂ©s qu’Aristote Ă©numĂšre parmi les catĂ©gories ou prĂ©dicaments. 45 Ceci relĂšve proprement de l’hylĂ©morphisme. 46 I- II*6, a. 2. 47 C’est ce que. ailleurs IF-II%, 141, 6, ad 1, saint Thomas nomme la finis operis, la fin de l’action, expression devenue classique. 48 Cf. P. FoulquiĂ©, Morale, p. 98-99. L’auteur se rĂ©fĂšre ici aux travaux de Piaget. 49 CitĂ© ib., p. 99. 50 La fin dont il est question ici est la finis operantis, la fin de l’agent, ainsi dĂ©nommĂ©e par saint Thomas I-II*S, 141, 6, ad 1 pour la distinguer de la finis operis. 51 Pour complĂ©ter ces notes sommaires, on consultera avec profit P. Sertillanges, La Philosophie morale de saint Thomas d’Aquin, p. 27-46. 52 Revue des Deux Mondes, janvier 1955 p. 36. 93 Affection mentale caractĂ©risĂ©e par des troubles fonctionnels sans atteinte de la personnalitĂ©. Les deux principales nĂ©vroses sont l’hystĂ©rie et la psychasthĂ©nie » Henri PiĂ©ron, Vocabulaire de la Psychologie. 54 SchizoĂŻdie constitution mentale caractĂ©risĂ©e par la tendance Ă  la solitude, au repliement sur soi-mĂȘme, Ă  la rĂȘverie, et par une difficultĂ© d’adaptation aux rĂ©alitĂ©s extĂ©rieures » Henri PiĂ©ron, ib.. 55 Un graphologue, le P. Girolamo, Ă©tudia les autographes de 58 saints sans en connaĂźtre les auteurs. D’aprĂšs lui, trois seulement d’entre eux avaient une nature angĂ©lique » ; les 55 autres Ă©taient affligĂ©s de grossiers dĂ©fauts. Voir quelques dĂ©tails rĂ©vĂ©lateurs dans PrĂȘtre et ApĂŽtre de juin-juillet 1957, p. 138 56 Voir dans le mĂȘme sens Les Psychologues contre la morale, par le P. Rimaud Etudes d’octobre 1949, et Structure et dimensions de la libertĂ©, par M. Jean BerthĂ©lemy in-8 de 256 p., Ed. de l’Ecole. 57 Contra Gentiles, III, 140. — Cet argument est si fort qu’il garderait sa valeur mĂȘme si l’on n’admettait pas encore l’existence de Dieu. Et dans ce cas il serait prĂ©cisĂ©ment le point de dĂ©part d’une preuve de son existence. — Cf. Jolivet, TraitĂ© de Philosophie, t. IL, n° 368. 58 Podechard. Le Psautier, p. 184. 59 Cahier de la Pierre-qui-Vire SpiritualitĂ© Pascale. p. 143 1957. 60 I°-IIC 114, 1, ad 3. 61 Cf. Denzinger, n° 811 et 842 — Nous reviendrons sur la question du mĂ©rite quand nous parlerons de la charitĂ©. 62 ThĂ©ologie de saint Paul, II, 22° Ă©d., p. 351-352. — Cf. aussi Spicq Vie morale et TrinitĂ© Sainte selon saint Paul Ed. du Cerf, 1957 63 Cf. Somme Thrologique, , q. 43, 5, ad 1. 64 F, q. 43, 3, ad 1. 65 Edition de la Bonne Presse, p. 43-44. 66 P. Gilleman, Le primat de la charitĂ© en thĂ©ologie morale, p. 162. 67 La Vie Spirituelle du 10 novembre 1919, p. 77 et ss. C’est nous qui soulignons. 68 L’Ami du ClergĂ©, 12 mai 1932, p. 294-300. Ce thĂ©ologien est Mer Catherinet cf. l’ouvrage du mĂȘme auteur Initiation Ă  l’exercice de la prĂ©sence de Dieu, note 1, p. 44 de la 1" Ă©dition. Le P. Mersch, a dĂ©veloppĂ© des vues semblables dans la Nouvelle Revue ThĂ©ologique 1938 sous le titre expressif Filii in Filio. 69 Gardeil, art. citĂ©, p. 87. 70 P. Gilleman, Le Primat de la charitĂ© en thĂ©ologie morale, p. 160. 7 Cantique spirituel, strophe 38, citĂ© art. de l’ Ami du ClergĂ©, p. 295. 72 On lira avec fruit sur ce sujet GrĂące et éƓcumĂ©nisme, par C. MoƓller et G. Philips Chevetogne, 1957. 73 IS-TF6, q. 58, art. 2. 74 La philosophie morale de saint Thomas d’Aquin, 1916, p. 161. 75 Tome III, p. 224. 76 Les grandes lignes de la philosophie morale, p. 385-386. 77 Cf. Dom Lottin,, Morale fondamentale, p. 410-411. 78 Cf. Dom Lottin, Au cƓur de la morale chrĂ©tienne, p. 138. 79 Cf. Dom Lottin, Morale fondamentale, p. 412. 80 Nous reviendrons sur la nature des vertus infuses quand nous traiterons des vertus thĂ©ologales, et spĂ©cialement du rĂšgne de la charitĂ© chap. 24. 81 [-IIĂ©, q. 90-108. 82 Il peut se faire que certains fidĂšles comprennent mal le rĂ©cit de la GenĂšse ch. 3 relatant d’une maniĂšre imagĂ©e l’arbre de vie et de mort les interdictions de Dieu Ă  nos premiers parents. Quelle qu’ait Ă©tĂ© la nature de ces interdits, l’homme Ă©tait soumis Ă  la loi naturelle dĂšs l’instant de sa crĂ©ation. Et peut-ĂȘtre la dĂ©fense divine n’était-elle que l’expression de cette loi adaptĂ©e Ă  une mentalitĂ© primitive. 83 Jacques Leclercq, La philosophie morale de saint Thomas devant la pensĂ©e contemporaine, p. 332. 84 Cf. P. GrĂ©goire, dans Initiation thĂ©ologique, III, p. 334-335. 85 q. 91, art. 2. 86 Cf. H. Roos, Kierkegaard et le catholicisme, p. 46. 87 Cf. Dom Lottin, Morale fondamentale, p. 120 Ă  125. 88 Que ce soit pour promulguer la loi naturelle, la sanctionner, la consolider ou la spĂ©cifier cf. Dom Lottin, Au CƓur de la Morale chrĂ©tienne, p. 32- 33. 89 Cf. Ami du ClergĂ©, 1958, p. 92-109 et 113-118. 90 On trouvera une Ă©tude approfondie de ce thĂšme dans Albert Cartier, Existence et vĂ©ritĂ© Privat, 1955. 91 Somme thĂ©ologique, F, q. 62, art. 8, ad 3. 92 P. Lyonnet, dans Bible de JĂ©rusalem, note a de Rom.,, VII 7, oĂč l’on trouvera les rĂ©fĂ©rences. Toutes les notes de ce chapitre sont Ă  lire. 93 De vera religione, x, 19. 94 Somme, I°-IT*, q. 106, art. 1. 95 Ib., ad I. 96 Ignace Lepp, L’Existence authentique, p. 79-80. 97 Ib., p. 77 et passim. 98 Somme ThĂ©ologique, I°-II%, q. 82, a. I. 99 Expression du P. Deman, Cours inĂ©dit du Saulchoir, 1934-1935. 100 P. FoulquiĂ©, Morale 1955, p. 192. 101 Cf. S. Thomas, De Veritate, II, 1 et 2. 102 Deut., IX, 4-6. MĂȘme idĂ©e, ps. 44 43, Ćž. 4. 103 Ep. cv, n. 13 Ă©d. Caillau. 104 Aversa enim a Sapientia incommutabili, stulte ac misere vivit.. À quo Verbo Dei enim existit, ut sit utcumque ac vivat, ad illum convertitur ut sapienter ac beate vivat.. ĂŠterna Sapientia.. nullo modo cessat occulta inspiratione vocationis loqui ei creaturĂŠ cui principium est » De Gen. ad litt., L. I, c. v, n. 10. 105 Henri Marrou, Saint Augustin et l’augustinisme, p. 76. 106 Cours inĂ©dit du Saulchoir, 1934-1935. 107 Rien n’empĂȘche de conserver, si on y tient, les autres distinctions ; mais il faudra parfois insister sur leur sens analogique. 108 E. Gilson, Le Thomisme, 4° Ă©d., p. 473, se rĂ©fĂ©rant aux travaux du P. Ambroise Gardeil. 109 La Vie Spirituelle, nov. 1933, p. [71-72]. 110 P. Bernard, la Foi Somme thĂ©ol., Ă©d. de la Revue des Jeunes, IL, p. 339. 111 Morale fondamentale, p. 384-385. 112 TraitĂ© de la vraie dĂ©votion Ă  la Sainte Vierge, n° 214. 113 Le travail du PB. Olivier, dans l’Initiation thĂ©ologique, p 525-592, est particuliĂšrement remarquable. Plus rĂ©cemment, Ph. Delhaye et J. BoulangĂ© ont renouvelĂ© le sujet dans EspĂ©rance et vie chrĂ©tienne DesclĂ©e, 1958. 114 Cf. Rom., v, 2 et les rĂ©fĂ©rences de la note k dans la Bible de JĂ©rusalem. 115 Michel Spanneut, La RĂ©demption cosmique, dans LA TABLE RONDE, n° 120, dĂ©cembre 1957, p. 54. 116 Ib., p. 59. 117 ITS-IT, q. 17, et 5. 118 Lanza, Theologia moralis, IL, p. 81. 119 P. Le Tilly, L’EspĂ©rance, Edition de la Somme de la Revue des Jeunes, p. 213. 120 Somme thĂ©ologique, I, q. 60, a. 5, ad 1. 121 Philosophie de l” homme, p. 134. 122 Ib. — Cette position franchement mĂ©taphysique rend facilement compte des difficultĂ©s accumulĂ©es par certains auteurs par exemple, Ch. Leclercq, La philosophie morale de saint Thomas devant la pensĂ©e contemporaine, p. 303-328. 123 Somme thĂ©ologique, I°-IT%, q. 109, a. 3. 124 Dans /nitiation thĂ©ologique, III, p. 630. 125 Voir par exemple l’étude du P. Olivier, ib., p. 631-641. 126 Philosophie de l’homme, p. 135. 127 IT Cor., XIII, 13. — Voir autres rĂ©fĂ©rences dans la Bible de JĂ©rusalem, ib., note b. 128 Article dĂ©jĂ  citĂ© de l’ Ami du ClergĂ©, 12 mai 1932, p. 298. 129 primat de la charitĂ© en thĂ©ologie morale, 2° Ă©d., p. 216. — RĂ©fĂ©rence au P. Mersch, La thĂ©ologie du Corps mystique, t. I, p. 231-232. 130 Dans ce paragraphe nous nous inspirons surtout de Mgr Lanza, Theologia moralis, IL, p. 115-120. 131 On pourra lire avec profit un exposĂ© trĂšs documentĂ© de cette opinion par le P. Nothomb, dans L’amour du Prochain Ed. du Cerf, p. 151-187. 132 ITS-IT, q. 25, a. 1. 133 IT-TT6q. 103, a. 3, ad 2. 134 Dans L’amour du Prochain, ouvrage collectif, Ed. dn Cerf, p. 127-135. 135 Theologia moralis, p. 119, note 2. 136 Lanza, ib. ; p. 119. 137 P. PlĂ©, dans L’amour du Prochain, p. 126. 138 Cf. chapitres XVI, sur les lois, et XIX, sur la grĂące actuelle. 139 Lanza, Theologia moralis, p. 121. 140 Le primat de la charitĂ© en thĂ©ologie morale, 2° Ă©d., p. 34. 141 P. Gilleman, op. cit., p. 59, n. 4. — On trouvera dans cette note une explication harmonieuse des diverses expressions de S. Thomas sur la question. 142 Cf. Lanza, Theologia moralis. II, p. 138. 143 Cf. Lanza, ib., p. 130. 144 Cf. Gilleman, op. cit., p. 62-64. 145 On trouvera dans Dom Lottin, Au cƓur de la morale chrĂ©tienne, p. 127 et 133, une autre explication de la formule forma virtutum la vraie causalitĂ© formelle » reviendrait Ă  la foi pratique et non Ă  la charitĂ©. 146 P. Perrin, dans Prudence chrĂ©tienne Ed. du Cerf, p. 33. 147 Cf. Philippe, Initiation Ă  la philosophie d’Aristote, p. 50-51. 148 La philosophie morale de S. Thomas d’Aquin. p. 218. 149 On les trouvera, par exemple, dans ce mĂȘme ouvrage du P. Sertillanges, p. 183-192 et 219-232, ou encore dans l’Initiation ThĂ©ologique, II, p. 702- 708. 150 P. Sertillanges, op. cit., p. 201. 151 Et. Gilson, Le thomisme, p. 391. 152 Haring, La Loi du Christ, I, p. 285. 153 Pie XII aux SupĂ©rieurs GĂ©nĂ©raux le 11 fĂ©vrier 1958 Doc. cath., 2 mars 1958, p. 260-261. 154 Cf. P. Deman, dans Prudence chrĂ©tienne Ed. du Cerf, p. 30. 155 P. Gilleman, Le primat de la charitĂ© en thĂ©ologie morale, p. 173. 156 Somme thĂ©ologique, I°-IF%, q. 19, a. 5 et 6. — Cf. [*, q. 79, a. 13. 157 Telle est du moins la tendance qui se manifeste dans les revues. Quant Ă  savoir si la rĂ©alitĂ© correspond Ă  ces belles aspirations, c’est une autre affaire. 158 Tonneau, Revue des Sciences philosophiques et thĂ©ologiques, oct. 1956, p. 642. 159 Le primat de la charitĂ© en thĂ©ologie morale, p. 269. 160 Dictionnaire de SpiritualitĂ©, art. Conscience », col. 1567. 161 In omni dubio, ubi agitur de solo licito, sequi licet opinionem certe et solide probabilem, etsi contraria opinio sit vere probabilior ». — Synopsis theologiĂŠ moralis et pastoralis, t. 11, 1948, p. 293. 162 Au cƓur de la morale chrĂ©tienne, p. 99. — Cf. Morale fondamentale, p. 315. 163 C’est pourquoi le beau texte du P. Gilleman, que nous venons de citer, ne nous semble nullement l’expression du probabilisme traditionnel. 164 Au cƓur de la morale, p. 106. 165 Rappelons qu’un principe rĂ©flexe, ou indirect, est une proposition de Droit destinĂ©e Ă  libĂ©rer la conscience d’un doute. Ex. une loi douteuse n’oblige pas en cas de doute, c’est l’occupant qui l’emporte ; en cas de doute, on ne prĂ©sume pas un fait, on le prouve ; etc. ». Ce principe ne prouve nullement la vĂ©ritĂ© du jugement ; son seul rĂŽle est de donner Ă  la conscience une certitude pratique, qui la rassure et lui permet d’agir. C’est Suarez qui, le premier, appliqua ce procĂ©dĂ© en morale. 166 Radio-message au CongrĂšs catĂ©chĂ©tique de Boston, 26 octobre 1946. 167 Cf. Dom Lottin, Morale fondamentale, p. 489, et Au cƓur de la morale chrĂ©tienne, p. 177 et 86. 168 Cf. Dom Lottin, Morale fondamentale, p. 100-103. 169 Somme thĂ©ologique, K°-II%, q. 74, a. 3 et 4. 170 Pour plus de prĂ©cisions on lira avec profit le petit livre de RĂ©gnier, Le sens du pĂ©chĂ©, 126 p. Lethielleux, 1954. 171 Dom Lottin, Au CƓur de la Morale chrĂ©tienne, p. 142. Cf. Morale fondamentale, p. 434. Participant d’une dĂ©marche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accĂšs par le temps, cette Ă©dition numĂ©rique redonne vie Ă  une Ɠuvre existant jusqu'alors uniquement sur un support imprimĂ©, conformĂ©ment Ă  la loi n° 2012-287 du 1% mars 2012 relative Ă  l’exploitation des Livres Indisponibles du XX siĂšcle. Cette Ă©dition numĂ©rique a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e Ă  partir d’un support physique parfois ancien conservĂ© au sein des collections de la BibliothĂšque nationale de France, notamment au titre du dĂ©pĂŽt lĂ©gal. Elle peut donc reproduire, au-delĂ  du texte lui-mĂȘme, des Ă©lĂ©ments propres Ă  l’exemplaire qui a servi Ă  la numĂ©risation. Cette Ă©dition numĂ©rique a Ă©tĂ© initialement fabriquĂ©e par la sociĂ©tĂ© FeniXX au format ePub ISBN 9782402219686 le 22 novembre 2017. La couverture reproduit celle du livre original conservĂ© au sein des collections de la BibliothĂšque nationale de France, notamment au titre du dĂ©pĂŽt lĂ©gal. * La sociĂ©tĂ© FeniXX diffuse cette Ă©dition numĂ©rique en vertu d’une licence confiĂ©e par la Sofia — SociĂ©tĂ© Française des IntĂ©rĂȘts des Auteurs de l’Écrit — dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1 mars 2012. Avec le soutien du
Lacritique de "Twilight Love - 3 mÚtres au-dessus du ciel" sorti en 2013, par l'équipe de FilmsdeLover.com, le site dédié aux films d'amour et comédies romantiques.
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